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toute critique injurieuse! Mais on n'a respecté ni ma douleur ni mes regrets.

J'entends d'ici mes adversaires me répondre :

<«< Vos études, vos voyages, vos sacrifices, vos douleurs, vos regrets ne font rien à l'affaire; le public n'entre point dans toutes ces raisons. Les Martyrs sont-ils une bonne ou une méchante épopée? voilà la question. Il n'y a point d'auteur censuré qui ne crie à l'injustice, à la persécu tion; qui n'en appelle à la postérité; qui ne se compare à Racine outragé, quoiqu'il n'ait rien de commun avec Ra cine. Les droits de la critique sont de dire nettement et clairement son avis, de juger impitoyablement un livre sans considérations aucunes, sans ménagements, sans égards aux réclamations de l'auteur. »

Non, ce ne sont point là les droits de la critique; et puisqu'elle ignore ses véritables droits, je vais tâcher de les lui faire connoître.

point rendu l'insulte pour l'insulte1. Me rencontre-t-on dans ces salons et sur ces théâtres où se forge la renommée? Suis-je de quelque assemblée littéraire? Vais-je lisant mes ouvrages à quiconque veut les écouter? Je vis seul; je n'ai point d'école, point de jeunes gens qui viennent recueillir les paroles du maître. Si j'en crois pourtant la faveur publique, il ne tiendroit qu'à moi de m'entourer de nombreux disciples. Avant la révolution, étant encore dans ma plus grande jeunesse, un heureux hasard me jeta dans la société de M. de la Harpe, et j'eus le bonheur de recevoir les leçons de cet excellent maître. Il a daigné me rappeler dans son testament, et je déplore tous les jours la perte d'un homme si utile aux lettres. Quel défenseur n'ai-je pas perdu! Tout le monde sait l'amitié qui me lie❘ au digne successeur de l'Aristarque françois; amitié qui compte déjà bien des années, puisqu'elle remonte à l'époque où j'ai connu M. de la Harpe. D'autres littérateurs distingués, que je fréquentois à cette même époque, ont Un homme prend tout à coup le titre d'auteur; il se suivi des routes différentes de la mienne : ils se sont dé- présente au public sans nom, sans talent, sans bonnes clarés mes ennemis, sans que je les aie provoqués ; ils m'ont études; tout annonce en lui une incapacité absolue pour attaqué dans leurs écrits avec violence. Je ne me suis pas l'art du poëte, de l'orateur, de l'historien : c'est alors que plaint de leur infidélité au souvenir d'une ancienne liaison; la critique a le droit incontestable de repousser cet homme, j'ai lu les critiques qu'ils ont faites de mes premiers ousans égards, sans ménagements, sans considérations auvrages, j'y ai remarqué du goût, de l'esprit, du talent, cunes. Elle peut employer contre lui toutes sortes d'ardu savoir. S'ils m'ont paru quelquefois aller trop loin, j'aimes, hors celles qu'interdit l'honneur. Raisonnements, pensé ou que mon amour-propre me trompoit, ou qu'ils étoient emportés malgré eux au delà des bornes, par cette chaleur d'opinion dont on a tant de peine à se défendre. Je me plais même à reconnoître que les rudes leçons d'une amitié changée m'ont été utiles, et que si les Martyrs ont moins de taches que mes précédents écrits, je le dois à ces jugements, peut-être un peu rigoureux. Je ne pense nullement comme ces hommes de lettres en matière de religion; mais cela ne me rend point leur ennemi, et je ne le dis point par une hypocrisie superbe 2.

Ce ton n'est guère, il me semble, celui d'un chef de parti, d'un homme de coterie. Aujourd'hui que l'on a passé envers moi toutes les bornes; aujourd'hui que l'on a tenu, en parlant des Martyrs, un langage que l'on ne m'avoit jamais adressé dans la plus grande chaleur de la controverse sur Atola, qu'ai-je opposé à cette altaque? Pendant huit mois, un profond silence; maintenant cet Examen, où je n'ai pas même employé les réponses personnelles que je trouvois dans la brochure d'un défenseur inconnu.

Ne pourrois-je point, à mon tour, avec plus de justice, accuser mes adversaires de cabale et d'esprit de parti? Je

demanderois si des gens pleins de bonne foi et de droiture ne se sont point assemblés pour délibérer sur le sort qu'on feroit aux Martyrs ? Je demanderois si, dans l'incroyable chaleur de la haine, on n'est point allé jusqu'à proposer d'insulter ma personne autant que mon ouvrage? Ceux qui connoissent à fond l'odieuse intrigue montée contre les Martyrs, verront bien que je ne dis pas tout. Et quel moment a-t-on choisi pour m'attaquer! moment où la moindre noblesse de caractère eût suffi pour interdire

Défense du Génie du Christianisme.

Tandis que j'écrivois ceci, les littérateurs distingués dont je parle avec cette modération remplissoient les almanachs de vers injurieux contre les Martyrs. La meilleure réponse que je puisse faire à ces littérateurs, c'est de laisser subsister tel qu'il est le paragraphe qui a donné lieu à cette note.

plaisanteries, vérités dures et tranchantes, tout est bon, parce qu'elle fait alors une œuvre charitable : elle arrête

un malheureux au commencement d'une carrière où l'attendent les humiliations et le ridicule s'il est riche, le mépris et la misère si la fortune lui a refusé ses dons. Les lettres, sans le talent propre à les rendre utiles ou agréables, ne servent qu'à corrompre le cœur, qu'à nous gonfler de haine et d'envie, qu'à nous arracher aux devoirs de la société, et à nourrir en nous un amour-propre féroce aux dépens de tous les sentiments généreux.

Mais quand la critique croit avoir le droit d'user de la même rigueur dans toute occasion et avec toute espèce d'hommes, dès qu'un ouvrage lui déplaît, elle est dans une grossière erreur. Il résulteroit de là que Boileau pour. roit être traité comme Chapelain, si le Lutrin ou l'Art poétique encouroient la disgrâce d'un censeur, et que le premier barbouilleur de jugements littéraires pourroit manquer impunément au génie de Corneille.

Il y a donc nécessairement une règle qu'il n'est permis à personne de violer. Or, cette règle, la voici :

Ce qui décide du ton et des égards que l'on doit employer dans l'examen d'un ouvrage, c'est le plus ou moins de renommée, le plus ou moins d'estime qui s'attache au nom de l'écrivain, et, jusqu'à un certain degré, le plus ou moins de temps, de veilles, d'études, de travaux, que cet écrivain a consacrés aux lettres.

Qu'un auteur ait donc obtenu un succès incontestable,

puisque c'est un fait; que ce succès se soutienne après dix ans révolus; que des éditions sans cesse renouvelées, des traductions dans toutes les langues, aient fait, à tort ou à raison, connoître le nom de cet auteur dans toute l'Europe; que cet auteur jouisse d'ailleurs de la réputation d'un honnête homme, la critique qui ne lui oppose qu'une parodie burlesque passe les bornes de son pouvoir : elle doit se souvenir que ce n'est plus un écolier qu'elle corrige; mais qu'elle est appelée à juger un homme vieilli dans l'art, et dont elle ne peut relever les erreurs qu'avec dé

fiance, mesure et politesse; elle sera d'autant plus tenue à ces égards, que l'auteur aura mieux connu le prix de l'estime publique, et que, respectant cette estime, il n'aura point broché son nouvel ouvrage, mais aura fait tous les sacrifices pour rendre cet ouvrage digne du succès qu'ont obtenu ses premiers écrits. Ajoutons que, dans ce cas, l'auteur a le droit de demander que son juge ait au moins cette compétence qui tient à la gravité des études et du caractère, et d'exiger que le peintre en grotesque ne soit pas admis à prononcer sur les tableaux du peintre d'his toire.

Si cette opinion sur les devoirs des juges littéraires n'étoit que la mienne, elle ne mériteroit pas sans doute la peine qu'on s'y arrêtât; mais c'est aussi celle du maître de tous les critiques, d'un homme qui se connoissoit en bons et en mauvais ouvrages, et qui se fit un jeu toute sa vie de tourmenter les Cassagne et les Cotin. « Traiter de haut << en bas, dit Boileau, un auteur approuvé du public, c'est « traiter de haut en bas le public même 1. »

Tels sont les devoirs que la raison, l'équité, la modération, l'honneur, prescrivent à la critique. Ont-ils été remplis envers moi, ces devoirs, et dois-je être placé ou dans la classe de l'homme nouveau qui cède imprudemment à la dangereuse tentation d'écrire, ou dans celle de l'homme connu qui a fait des lettres l'occupation principale de sa vie? Ce n'est pas à moi à répondre à cette question.

Disons plutôt, afin de quitter ce triste sujet, et pour faire voir que ce n'est point ma vanité blessée qui se lamente; disons que, si j'ai le droit d'être choqué de certaines leçons, cela ne me rend point injuste. Je sais que je suis amplement dédommagé d'une persécution passagère, par le suffrage des hommes supérieurs, par les critiques décentes de la plupart des journaux, par le jugement favorable de cette société polie que recherchoient surtout Boileau, Racine et Voltaire; enfin, par les applaudissements de la grande majorité du public. Je n'ai jamais espéré d'ailleurs que les Martyrs obtinssent, dans le premier moment, un succès aussi populaire que celui du Génie du Christianisme. Les temps sont changés : l'ouvrage n'est pas du même genre; il convient à beaucoup moins de lecteurs. Jamais un livre de cette nature ne fut reçu d'abord avec enthousiasme, le Télémaque excepté; et l'on sait que sa prompte renommée tint à des causes indépendantes de son mérite réel. S'il paroissoit aujour. d'hui, il est hors de doute que le vulgaire des lecteurs et des critiques le trouveroit froid, traînant, ennuyeux, et même écrit avec une négligence impardonnable; et cependant, quel chef-d'œuvre de goût, de style et de simplicité! | Malgré l'opposition de mes ennemis, malgré les préjugés de toute espèce qu'on a voulu faire naître contre les Martyrs, j'ai encore réussi beaucoup au delà de mon attente il s'est plus écoulé d'exemplaires de mon dernier ouvrage en quelques mois, qu'il ne s'est vendu d'exemplaires du Génie du Christianisme en plusieurs années. Sans parler des juges qui se sont déclarés pour moř, ceux qui ont condamné les Martyrs m'ont donné, pour ces mêmes Martyrs, des éloges que je n'ai jamais obtenus pour 1 Lettres à Brossette, tom. I, pag. 61.

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mes autres écrits; éloges tels qu'ils sembloient devoir exclure ensuite le ton qu'on a pris avec moi. Mon amourpropre, comme auteur, a donc de quoi se consoler; mais je ne puis m'empêcher de gémir sur le misérable esprit qui règne dans notre littérature. Quelle idée doivent prendre de nous les étrangers, en lisant ces critiques, moitié furibondes, moitié bouffonnes, d'où la décence, l'urbanité, la bonne foi, sont bannies; ces jugements où l'on n'aper çoit que la haine, l'envie, l'esprit de parti, et mille petites passions honteuses? En Italie, en Angleterre, ce n'est pas ainsi qu'on accueille un ouvrage : on l'examine avec soin, même avec rigueur, mais toujours avec gravité. S'il renferme quelque talent, on s'en fait un titre d'honneur pour la patrie. En France, on diroit qu'un succès littéraire est une calamité pour tous ceux qui se mêlent d'écrire. Je l'avouerai : quand je vois traîner dans la fange les lambeaux de mes ouvrages, je regrette quelquefois cette carrière où personne n'avoit le droit de prononcer mon nom publiquement sans mon aveu, et où je disposois seul d'une noble obscurité.

Enfin on a parlé, à mon sujet, de philosophe et de philosophie, et cela d'un ton qui n'a fait tort qu'à celui qui l'a pris. Expliquons-nous :

S'il faut, pour être philosophe, applaudir aux progrès des lumières, honorer les sciences, aimer les lettres et les arts, désirer le bonheur des hommes, idolâtrer la patrie, je suis philosophe.

Si, pour mériter ce titre, il faut mépriser la sagesse et la gloire de nos ancêtres, blasphémer une religion qui a civilisé, éclairé et consolé la terre, substituer à l'éternelle parole et aux commandements immuables de Dieu le vain langage et la raison changeante de l'homme; s'il faut vanter l'indépendance avec un cœur d'esclave, n'avoir pour soi que les crimes et jamais les vertus d'une opinion, je n'ai point été, je ne suis point, et je ne serai jamais philosophe.

C'est ici mon dernier combat: il est temps de mettre un terme à ces vaines agitations. J'ai passé l'âge des chimè res, et je sais à quoi m'en tenir sur la plupart des choses de la vie. Quelle que soit désormais la justice ou l'injus⚫ tice de la critique, je lui abandonne mes ouvrages : on pourra les ensevelir, les exhumer, les ensevelir de nouveau, je ne réclamerai plus. Je suis las de recevoir des indultes pour remerciments des plus pénibles travaux. Dans aucun temps, dans aucun pays, un homme qui auroit consacré huit années de sa vie à un long ouvrage; qui, pour le rendre moins imparfait, eût entrepris des voyages lointains, dissipé le fruit de ses premières études, quitté sa famille, exposé sa vie; dans aucun temps, dis-je, dans aucun pays, cet homme n'eût été jugé avec une légèreté si déplorable. Je n'ai jamais senti le besoin de la fortune qu'aujourd'hui. Avec quelle satisfaction je laisserois le champ de bataille à ceux qui s'y distinguent par tant de hauts faits, pour l'honneur des muses et l'encouragement ses talents! Non que je renonçasse aux lettres, seule consolation de la vie; mais personne ne seroit plus appelé, de mon vivant, à me citer à son tribunal pour un ouvrage

nouveau.

FIN DU TOME TROISIÈME.

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CHAP. X. Suite du prêtre. La sibylle. — Joad. Pa-

rallèle de Virgile et de Racine. . .

---

CHAP. XI. Le guerrier. Définition du beau idéal.

CHAP. XII. Suite du guerrier. . . .

LIVRE TROISIÈME.

SUITE DE LA POÉSIE DANS SES RAPPORTS AVEC LES
HOMMES. PASSIONS.

CHAPITRE PREMIER. Que le Christiansime a changé
les rapports des passions en changeant les bases
du vice et de la vertu...

CHAP. 11. Amour passionné. Didon.

CHAP. III. Suite du précédent. La Phèdre de Racine.
CHAP. IV. Suite des précédents. Julie d'Étange;
Clémentine..

CHAP. V. Suite des précédents. Héloïse et Abeilard.
CHAP. VI. Amour champêtre. Le Cyclope et Galatée.
CHAP. VII. Suite du précédent. Paul et Virginie...
CHAP. VIII. La religion chrétienne considérée elle-
même comme passion. . . .

BEAUX-ARTS.

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CHAP. IX. Du vague des passions ..

111

CHAP. II. Chimie et histoire naturelle. . .
CHAP. I. Des philosophes chrétiens. Métaphysi
ciens.

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156

LIVRE QUATRIÈME.

DU MERVEILLEUX, OU DE LA POÉSIE DANS SES RAPPORTS
AVEC LES ÊTRES SURNATURELS.

CHAPITRE PREMIER. Que la mythologie rapetissoit
la nature; que les anciens n'avoient point de
poésie proprement dite descriptive. . .

CHAP. V. Moralistes ; la Bruyère.
CHAP. VI. Suite des moralistes.

CHAP. IV. Suite des philosophes chrétiens. Publicis-

tes...

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. Ibid.

159

LIVRE TROISIÈME.

HISTOIRE.

112

CHAP. II. De l'allégorie.

113

CHAP. III. Partie historique de la poésie descriptive

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CHAP. IV. Pourquoi les François n'ont que des mé-

CHAP. IX. Application des principes établis dans les
chapitres précédents. Caractère de Satan. . . . .
CHAP. X. Machines poétiques. Vénus dans les bois
de Carthage. Raphaël au berceau d'Éden. ...
CHAP. XI. Suite des machines poëtiques. Songe
d'Énée. Songe d'Athalie.

moires.

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CHAP. VI. Voltaire historien. . .

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CHAP. VII. Philippe de Commines et Rollin.
CHAP. VIII. Bossuet historien. . .

ibid.

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CHAP. XII. Suite des machines poétiques. Voyages
des dieux homériques. Satan allant à la décou-
verte de la création

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CHAP. XIII. L'Enfer chrétien.

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CHAP. XIV. Parallèle de l'Enfer et du Tartare. En-

CHAP. II. Des orateurs. Les Pères de l'Église.

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