DE PASCAL PUBLIÉES DANS LEUR TEXTE AUTHENTIQUE AVEC UN COMMENTAIRE SUIVI Par ERNEST HAVET Professeur au Collège de France, Agrégé de la Faculte des Lettres de Paris r EXTRAIT D'UNE ÉTUDE SUR LES PENSÉES DE PASCAL' .. Pascal est d'abord un mathématicien, un savant; il l'est dès l'enfance, si on peut dire qu'il ait eu une enfance; dépense le feu de sa jeunesse dans ces travaux; avant vingt-cinq ans, il est en possession des plus grands résultats. Puis, du milieu de la vie aride de la science, nous voyons ce cœur, que la poursuite de ia vérité abstraite ne satisfait pas, s'ouvrir à des pensées qui le remplissent davantage. Il cherche la passion, mais pure, et la vertu, mais brûlante. Il était chrétien, il devient dévot: ce n'est pas assez, il devient sectaire, car la piété commune ne lui suffit pas. La dévotion qui l'a conquis ne le laisse plus échapper et finit par absorber tout son être. Elle est encore exaltée par la maladie, qui s'est saisie de lui dès l'adolescence, et qui dopuis ne cesse de lui livrer des assauts, jusqu'à ce qu'elle l'accable à trente-neuf ans, irritant par ses continuelles atteintes l'impatience de son esprit absolu et la mélancolie de son âme ardente. Eh bien le géomètre, le cœur passionné, le malade, se retrouvent dans les Pensées. C'est une œuvre d'extrême logique et d'extrême sensibilité, où l'émotion la plus vive est 1 Voyez notre édition in-8o, p. zı et suivantes. au cœur même de la critique la plus rigoureuse et la plus sèche; et, de temps en temps, ur cri douloureux ou une brusque secousse nous avertit que cette intelligence supérieure, qui semblait oublier son corps, a senti les pointes de la souffrance et la menace de la mort. S'il ne s'agissait que d'exposer la thèse de Pascal et ce qu'on peut appeler son système de philosophie, il n'y a rien à faire pour cela, car c'est ce qui a été fait admirablement par lui-même. Ce système était déjà formé et arrêté dans son esprit avant qu'il eût rien écrit des Pensées ni qu'il songeât à les écrire; il l'a développé à l'époque même où il entra à Port-Royal, dans ce fameux entretien avec M. de Saci, que Fontaine nous a conservé (voyez page xxin). C'est là qu'il se place entre les deux espèces de philosophie qui, dit-il, se partagent le monde : d'un côté, celle des sages, des vertueux, des stoïciens, qui serait la sienne s'il n'était chrétien, car l'homme naturel est stoïcien dans Pascal; de l'autre, celle des douteurs, des railleurs, des relâchés, épicuriens et pyrrhoniens, tels que Montaigne. Et après avoir montré que ces philosophies ne sauraient ni subsister l'une sans l'autre ni s'accorder l'une avec l'autre, de manière qu'il n'y a pas, ce semble, de sagesse possible pour l'esprit humain, il trouve dans la religion, c'est-à-dire dans le dogme de la chute et de la grâce, qui est pour lui toute la religion, une sagesse supérieure où il lui paraît que les principes qui semblaient incompatibles se concilient et mettent une double vérité à la place d'une double erreur. Il faut se reporter à cet entretien; il contient la clef des Pensées, il en est, comme je l'ai dit ailleurs, la véritable intro- ▾ duction (a). (a) Le système, la méthode philosophique de Pascal, prise abstraitement, a été analysée et discutée d'une manière supérieure dans l'articl Pascal du Dictionnaire des sciences philosophiques (par M. Franck). |