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Nous donnerons encore un exemple de ce genre ferme d'éloquence qu'on paraît refuser à Massillon, en ne parlant que de son abondance et de sa douceur. Pour cette fois, nous prendrons un passage où l'orateur abandonne son style favori, c'est-à-dire le sentiment et les images, pour n'être qu'un simple argumentateur. Dans le sermon sur la Vérité d'un avenir, il presse ainsi l'incrédule :

« Que dirai-je encore? Si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu'il faut jeter au vent, et qui n'appartient à personne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes; la loi des mariages, un vain scrupule; la pudeur, un préjugé; l'honneur et la probité, des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés ?

« Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies; voilà cette force, cette raison, cette sagesse qu'ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l'univers entier retombe dans un affreux chaos, et tout est confondu sur la terre, et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées, et les lois les plus inviolables de la société s'évanouissent, et la discipline des mœurs périt, et le gouvernement des États et des empires n'a plus de règle, et toute l'harmonie des corps politiques s'écroule, et le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autres lois que la force, plus d'autre frein que leurs passions et la crainte de

l'autorité, plus d'autre lien que l'irréligion et l'indépendance, plus d'autres dieux qu'eux-mêmes : voilà le monde des impies; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c'est que vous êtes digne d'y occuper une place.

>>

Que l'on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l'on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées dans les orateurs chrétiens, un ordre d'idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l'antiquité.

Massillon a fait quelques oraisons funèbres; elles sont inférieures à ses autres discours. Son Éloge de Louis XIV n'est remarquable que par la première phrase: « Dieu seul est grand, mes frères ! » C'est un beau mot que celui-là, prononcé en regardant le cercueil de Louis le Grand (3).

CHAPITRE IV.

BOSSUET ORATEUR.

Mais que dirons-nous de Bossuet comme orateur? A qui le comparerons-nous? et quels discours de Cicéron et de Démosthène ne s'éclipsent point devant ses Oraisons funèbres? C'est pour l'orateur chrétien que ces paroles d'un roi semblent avoir été écrites: L'or et les perles sont assez communs, mais les lèvres savantes sont un vase rare et sans prix1. Sans cesse occupé du tombeau, et comme penché sur les gouffres d'une autre vie, Bossuet aime à laisser tomber de sa bouche ces grands mots de temps et de mort, qui retentissent dans les abîmes silencieux de l'éternité. Il se plonge, il se noie dans des tristesses incroyables, dans d'inconcevables douleurs. Les

'Prov,, cap. xx, v. 15.

cœurs après plus d'un siècle retentissent encore du fameux cri: Madame se meurt, Madame est morte. Jamais les rois ont-ils reçu de pareilles leçons? jamais la philosophie s'exprima-t-elle avec autant d'indépendance? Le diadème n'est rien aux yeux de l'orateur; par lui le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu du globe est obligé de s'entendre dire devant des milliers de témoins, que ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n'est que songe, et qu'il n'est lui-même que poussière.

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d'éloquence; la citation, si bien fondue avec le texte, qu'elle ne fait plus qu'un avec lui; enfin, la réflexion ou le coup d'œil d'aigle sur les causes de l'événement rapporté. Souvent aussi cette lumière de l'Église porte la clarté dans la discussion de la plus haute métaphysique ou de la théologie la plus sublime; rien ne lui est ténèbres. L'évêque de Meaux a créé une langue que lui seul a parlée, où souvent le terme le plus simple et l'idée la plus relevée, l'expression la plus commune et l'image la plus terrible servent, comme dans l'Écriture, à se donner des dimensions énormes et frappantes.

Ainsi, lorsqu'il s'écrie, en montrant le cercueil de Madame: La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite! Pourquoi frissonne-t-on à ce mot si simple, telle que la mort nous l'a faite? C'est par l'opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes; c'est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l'âme; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avaient changé d'acception, et que le langage fût bouleversé comme le cœur.

Nous avons remarqué qu'à l'exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de la Fontaine, les écrivains du siècle de

Louis XIV, faute d'avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce de sentiment mélancolique dont on fait aujourd'hui un si étrange abus.

Mais comment donc l'évêque de Meaux, sans cesse au milieu des pompes de Versailles, a-t-il connu cette profondeur de rêverie ? C'est qu'il a trouvé dans la religion une solitude ; c'est que son corps était dans le monde et son esprit au désert; c'est qu'il avait mis son coeur à l'abri dans les tabernacles secrets du Seigneur; c'est, comme il l'a dit lui-même de Marie-Thérèse d'autriche, « qu'on le voyait courir aux autels pour y goûter avec David un humble repos, et s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte de la cour, il trouvait le Carmel d'Élie, le désert de Jean, et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus. »

Les Oraisons funèbres de Bossuet ne sont pas d'un égal mérite, mais toutes sont sublimes par quelque côté. Celle de la reine d'Angleterre est un chef-d'œuvre de style et un modèle d'écrit philosophique et politique.

Celle de la duchesse d'Orléans est la plus étonnante, parce qu'elle est entièrement créée de génie. Il n'y avait là ni ces tableaux de troubles des nations, ni ces développements des affaires publiques qui soutiennent la voix de l'orateur. L'intérêt que peut inspirer une princesse expirant à la fleur de son âge semble se devoir épuiser vite. Tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort; et c'est pourtant sur ce fonds stérile que Bossuet a bâti un des plus beaux monuments de l'éloquence; c'est de là qu'il est parti pour montrer la misère de l'homme par son côté périssable, et sa grandeur par son côté immortel. Il commence par le ravaler au-dessous des vers qui le rongent au sépulcre, pour le peindre ensuite glorieux avec la vertu dans des royaumes incorruptibles.

On sait avec quel génie, dans l'oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l'art oratoire, jusqu'à l'interprétation d'un songe, en même

temps qu'il a déployé dans ce discours sa haute capacité pour les abstractions philosophiques.

Si, pour Marie-Thérèse et pour le chancelier de France, ce ne sont plus les mouvements des premiers éloges, les idées du panégyriste sont-elles prises dans un cercle moins large, dans une nature moins profonde? << Et mainte

nant, dit-il, ces deux âmes pieuses (Michel le Tellier et Lamoignon), touchées sur la terre du désir de faire régner les lois, contemplent ensemble à découvert les lois éternelles d'où les nôtres sont dérivées; et si quelque légère trace de nos faibles distinctions paraît encore dans une si simple et si claire vision, elles adorent Dieu en qualité de justice et de règle. »

Au milieu de cette théologie, combien d'autres genres de beautés, ou sublimes, ou gracieuses, ou tristes, ou charmantes! Voyez le tableau de la Fronde : « La monarchie ébranlée jusqu'aux fondements, la guerre civile, la guerre étrangère, le feu en dedans et en dehors.... Était-ce là de ces tempêtes par où le ciel a besoin de se décharger quelquefois?... ou bien était-ce comme un travail de la France, prête à enfanter le règne miraculeux de Louis ? » Viennent des réflexions sur l'illusion des amitiés de la terre, qui « s'en vont avec les années et les intérêts, >> et sur l'obscurité du cœur de l'homme, « qui ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux autres 2. »

Mais la trompette sonne, et Gustave paraît: « Il paraît à la Pologne surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle ? Où sont ces armes guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés, et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites,

Orais. fun. d'Anne de Gonz.

2 Ibid.

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