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ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur 1. »

Je passe, et mon oreille retentit de la voix d'un prophète. Est-ce Isaïe, est-ce Jérémie qui apostrophe l'île de la Conférence, et les pompes nuptiales de Louis?

« Fêtes sacrées, mariagé fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler aujourd'hui vos cérémonies, vos pompes, avec ces pompes funèbres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines 2!

Le poëte (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poëte continue de se faire entendre; il ne touche plus la corde inspirée; mais baissant sa lyre d'un ton jusqu'à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voix du siècle que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours; où les joies de la terre étaient inconnues; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas sous la conduite de la sainte abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux 3.

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Cette page, que l'on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse. « Michel le Tellier, dit-il, commença l'hymne des divines miséricordes : MISERICORDIAS DOMINI IN ÆTERNUM CANTABO: Je chanterai éternellement les miséricordes

du Seigneur. Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. »

Nous avions cru pendant quelque temps que l'oraison fu

1 Orais. fun. d'Anne de Gonz.

2Orais. fun. de Marie-Thér. d'Autr.

3 Orais. fun. d'Anne de Gonz.

CHATEAUBRIAND. T. II.

nèbre du prince de Condé, à l'exception du mouvement qui la termine, était généralement trop louée; nous pensions qu'il était plus aisé, comme il l'est en effet, d'arriver aux formés d'éloquence du commencement de cet éloge, qu'à celles de l'oraison de madame Henriette : mais quand nous avons lu ce discours avec attention; quand nous avons vu l'orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit, et donner, comme en se jouant, un chant d'Homère; quand se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres; lorsque après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers, au catafalque du héros; lorsque, enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis, dont il a l'air de faire les funérailles, prêt à s'abîmer dans l'éternité; à ce dernier effort de l'éloquence humaine, les larmes de l'admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains.

CHAPITRE V.

QUE L'INCREDULITÉ EST LA PRINCIPALE CAUSE DE LA DÉCADENCE DU GOUT ET DU GÉNIE.

Ce que nous avons dit jusqu'ici a pu conduire le lecteur à cette réflexion, que l'incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux, et les Muses livrèrent à la barbarie ceux qui n'avaient plus de foi en elles.

Dans un siècle de lumières, on ne saurait croire jusqu'à quel point les bonnes mœurs sont dépendantes du bon goût et le bon goût des bonnes mœurs. Les ouvrages de Racine, devenant toujours plus purs à mesure que l'auteur devient

plus religieux, se terminent enfin à Athalie. Remarquez, au contraire, comment l'impiété et le génie de Voltaire se décèlent à la fois dans ses écrits, par un mélange de choses exquises et de choses odieuses. Le mauvais goût, quand il est incorrigible, est une fausseté de jugement, un biais nature! dans les idées; or, comme l'esprit agit sur le cœur, il est difficile que les voies du second soient droites, quand celles du premier ne le sont pas. Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d'œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n'est pas loin d'aimer le vice; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu.

Un écrivain qui refuse de croire en un Dieu auteur de l'univers, et juge des hommes dont il a fait l'âme immortelle, bannit d'abord l'infini de ses ouvrages. Il renferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne peut plus sortir. Il ne voit rien de noble dans la nature, tout s'y opère par d'impurs moyens de corruption et de régénération. L'abîme n'est qu'un peu d'eau bitumineuse; les montagnes sont des protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles ; et le ciel, où le jour prépare une immense solitude, comme pour servir de camp à l'armée des astres que la nuit y amène en silence; le ciel, disons-nous, n'est plus qu'une étroite voûte momentanément suspendue par la main capricieuse du Hasard.

Si l'incrédule se trouve ainsi borné dans les choses de la nature, comment peindra-t-il l'homme avec éloquence? Les mots pour lui manquent de richesse, et les trésors de l'expression lui sont fermés. Contemplez, au fond de ce tombeau, ce cadavre enseveli, cette statue du néant, voilée d'un linceul : c'est l'homme de l'athée! Foetus né du corps impur de de la femme, au-dessous des animaux pour l'instinct; poudre comme eux, et retournant comme eux en poudre; n'ayant point de passion, mais des appétits; n'obéissant point à des lois morales, mais à des ressorts physiques; voyant devant lui, pour toute fin, le sépulcre et des vers : tel est cet être qui se disait animé d'un souffle immortel! Ne nous parlez plus des mystères de l'âme, du charme secret de la vertu :

grâces de l'enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charme des tombeaux et de la patrie, vos enchantements sont détruits!

Nécessairement encore l'incrédulité introduit l'esprit raisonneur, les définitions abstraites, le style scientifique, et avec lui le néologisme, choses mortelles au goût et à l'éloquence.

Il est possible que la somme de talents départie aux auteurs du dix-huitième siècle soit égale à celle qu'avaient- reçue les écrivains du dix-septième '. Pourquoi donc le second siècle est-il au-dessous du premier? Car il n'est plus temps de le dissimuler, les écrivains de notre âge ont été en général placés trop haut. S'il y a tant de choses à reprendre, comme on en convient, dans les ouvrages de Rousseau et de Voltaire, que dire de ceux de Raynal et de Diderot (4)? On a vanté, sans doute avec raison, la méthode de nos derniers métaphysiciens. Toutefois on aurait dû remarquer qu'il y a deux sortes de clartés : l'une tient à un ordre vulgaire d'idées (un lieu commun s'explique nettement); l'autre vient d'une admirable faculté de concevoir et d'exprimer clairement une pensée forte et composée. Des cailloux au fond d'un ruisseau se voient sans peine, parce que l'eau n'est pas profonde; mais l'ambre, le corail et les perles, appellent l'œil du plongeur à des profondeurs immenses, sous les flots transparents de l'abîme.

Or, si notre siècle littéraire est inférieur à celui de Louis XIV, n'en cherchons d'autre cause que notre religion. Nous avons déjà montré combien Voltaire eût gagné à être chrétien il disputerait aujourd'hui la palme des muses à Racine. Ses ouvrages auraient pris cette teinte morale sans laquelle rien n'est parfait: on y trouverait aussi ces souvenirs du vieux temps, dont l'absence y forme un si grand vide.

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■ Nous accordons ceci pour la force de l'argument; mais nous sommes bien loin de le croire. Pascal et Bossuet, Molière et la Fontaine, sont quatre hommes tout à fait incomparables, et qu'on ne retrouvera plus. Si nous ne mettons pas Racine de ce nombre, c'est qu'il a un rival dans Virgile.

Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères; les tombeaux sont sans intérêt pour lui; les institutions de ses aïeux ne lui semblent que des coutumes barbares; il n'a aucun plaisir à se rappeler les sentences, la sagesse et les goûts de sa mère.

Cependant il est vrai que la majeure partie du génie se compose de cette espèce de souvenirs. Les plus belles choses qu'un auteur puisse mettre dans un livre sont les sentiments qui lui viennent, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse. Voltaire a bien péché contre ces règles critiques (pourtant si douces !), lui qui s'est éternellement moqué des mœurs et des coutumes de nos ancêtres. Comment se fait-il que ce qui enchante les autres hommes soit précisément ce qui dégoûte un incrédule?

La religion est le plus puissant motif de l'amour de la patrie; les écrivains pieux ont toujours répandu ce noble sentiment dans leurs écrits. Avec quel respect, avec quelle magnifique opinion les écrivains du siècle de Louis XIV ne parlent-ils pas toujours de la France! Malheur à qui insulte son pays! Que la patrie se lasse d'être ingrate avant que nous nous lassions de l'aimer; ayons le cœur plus grand que ses injustices.

Si l'homme religieux aime sa patrie; c'est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l'habitude de son cœur. Il donne la main à ses pères et à ses enfants; il est planté dans le sol natal, comme le chêne qui voit audessous de lui ces vieilles racines s'enfoncer dans la terre, et à son sommet des boutons naissants qui aspirent vers le ciel.

Rousseau est un des écrivains du dix-huitième siècle dont le style a le plus de charme, parce que cet homme, bizarre à dessein, s'était au moins créé une ombre de religion. Il avait foi en quelque chose qui n'était pas le Christ, mais qui pourtant était l'Évangile; ce fantôme de christianisme, tel quel, a quelquefois donné beaucoup de grâces à son génie. Lui qui s'est élevé avec tant de force contre les sophistes, n'eût-il

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