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Le couple infortuné se décide à prier Dieu, et à se recommander à la miséricorde éternelle. Il se prosterne et élève un cœur et une voix humiliés vers celui qui pardonne. Ces accents montent au séjour céleste, et le Fils se charge lui-même de les présenter à son Père. On admire avec raison dans l'Iliade les Prières boiteuses qui suivent l'Injure pour réparer les maux qu'elle a faits. Cependant Milton lutte ici sans trop de désavantage contre cette fameuse allégorie ces premiers soupirs d'un cœur contrit, qui trouvent la route que tous les soupirs du monde doivent bientôt suivre ; ces humbles vœux qui viennent se mêler à l'encens qui fume devant le Saint des saints; ces larmes pénitentes qui réjouissent les esprits célestes, ces larmes qui sont offertes à l'Éternel par le rédempteur du genre humain, ces larmes qui touchent Dieu luimême (tant a de puissance la première prière de l'homme repentant et malheureux!), toutes ces beautés réunies ont en soi quelque chose de si moral, de si solennel, de si attendrissant, qu'elles ne sont peut-être point effacées par les Prières du chantre d'Ilion.

Le Très-Haut se laisse fléchir, et accorde le salut final de l'homme. Milton s'est emparé avec beaucoup d'art de ce premier mystère des Écritures; il a mêlé partout l'histoire d'un Dieu qui, dès le commencement des siècles, se dévoue à la mort pour racheter l'homine de la mort. La chute d'Adam devient plus puissante et plus tragique, quand on la voit envelopper dans ses conséquences jusqu'au Fils de l'Éternel.

Nonobstant ces beautés, qui appartiennent au fond du Paradis perdu, il y a une foule de beautés de détail dont il seroit trop long de rendre compte. Milton a surtout le mérite de l'expression. On connoît les ténèbres visibles, le silence ravi, etc. Ces hardiesses, lorsqu'elles sont bien sauvées, comme les dissonnances en musique, font un effet très brillant; elles ont un faux air de génie: mais il faut prendre garde d'en abuser; quand on les recherche, elles ne deviennent plus qu'un jeu de mots puéril, pernicieux à la langue et au goût.

Nous observerons encore que le chantre d'Éden, à l'exemple du chantre de l'Ausonie, est devenu original en s'appropriant des richesses étrangères : l'écrivain original n'est pas celui qui n'imite personne, mais celui que personne ne peut imiter.

Cet art de s'emparer des beautés d'un autre temps pour les accommoder aux mœurs du siècle où l'on vit a surtout été connu du poëte de Mantoue. Voyez, par exemple, comme il a transporté à la mère d'Euryale les plaintes d'Andromaque sur la mort d'Hector.

Homère, dans ce morceau, a quelque chose de plus naïf que Virgile, auquel il a fourni d'ailleurs tous les traits frappants, tels que l'ouvrage échappant. des mains d'Andromaque, l'évanouissement, etc. (et il en a quelques autres qui ne sont point dans l'Énéide, comme le pressentiment du malheur, et cette tête qu'Andromaque échevelée avance à travers les créneaux). Mais aussi l'épisode d'Euryale est plus pathétique et plus tendre. Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d'un fils; ces habits devenus inutiles dont elle occupoit son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l'on promenoit la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu, sont des choses qui n'appartiennent qu'à l'ame de Virgile. Les plaintes d'Andromaque plus étendues perdent de leur force; celles de la mère d'Euryale plus resserrées tombent avec tout leur poids sur le cœur. Cela prouve qu'une grande différence existoit déja entre les temps de Virgile et ceux d'Homère, et qu'au siècle du premier, tous les arts, même celui d'aimer, avoient aequis plus de perfection.

CHAPITRE IV.

De quelques Poëmes françois et étrangers,

QUAND le christianisme n'auroit donné à la poésie que le Paradis perdu; quand son génie n'auroit inspiré ni la Jérusalem délivrée, ni Polyeucte, ni Esther, ni Athalie, ni Zaïre, ni Alzire, on pourroit encore soutenir qu'il est favorable aux Muses. Nous placerons dans ce chapitre, entre le Paradis perdu et la Henriade, quelques poëmes françois et étrangers dont nous n'avons qu'un mot à dire. Les morceaux remarquables répandus dans le Saint Louis du père Lemoine ont été si souvent cités, que nous ne les répèterons point ici. Ce poëme informe a pourtant quelques beautés qu'on chercheroit en vain dans la Jérusalem. Il y règne une sombre imagination très propre à la peinture de cette Egypte pleine de souvenirs et de tombeaux, et qui vit passer tour à tour les Pharaons, les Ptolémées, les Solitaires de la Thébaïde et les Soudans des Barbares.

La Pucelle de Chapelain, le Moïse sauvé de Saint-Amand, et le David de Coras, ne sont plus connus que par les vers de Boileau. On peut cependant tirer quelque fruit de la lecture de ces ouvrages le David surtout mérite d'être parcouru.

Le prophète Samuel raconte à David l'histoire des rois d'Israël :

Jamais, dit le grand saint, la fière tyrannie
Devant le Roi des rois né demeure impunie:
Et de nos derniers chefs le juste châtiment
En fournit à toute heure un triste monument.

Contemple donc Héli, le chef du tabernacle,
Que Dieu fit de son peuple et le juge et l'oracle:
Son zèle à sa patrie eût pu servir d'appui,
S'il n'eût produit deux fils trop peu dignes de lui.

Mais Dieu fait sur ses fils, dans le vice obstinés,
Tonner l'arrêt des coups qui leur sont destinés;
Et par un saint héraut, dont la voix les menace,
Leur annonce leur perte et celle de leur race.
O Ciel ! quand tu lanças ce terrible décret,
Quel ne fut point d'Héli le deuil et le regret!
Mes yeux furent témoins de toutes ses alarmes,

Et mon front, bien souvent, fut mouillé de ses larmes.

Ces vers sont remarquables, parcequ'ils sont assez beaux comme vers. Le mouvement qui lès termine pourroit être avoué d'un grand poëte.

L'épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité :

On ne sait qui des deux, ou l'épouse, ou l'époux,

Eut l'ame la plus pure et le sort le plus doux, etc.

Enfin Coras réussit quelquefois dans le vers descriptif. Cette image du soleil à son midi est pittoresque :

Cependant le soleil, couronné de splendeur,

Amoindrissant sa forme, augmentoit son ardeur.

Saint-Amand, presque vanté par Boileau, qui lui accorde du génie, est néanmoins inférieur à Coras. La composition du Moïse sauvé est languissante, le vers lâche et prosaïque, le style plein d'antithèses et de mauvais goût. Cependant on y remarque quelques morceaux d'un sentiment vrai, et c'est sans doute ce qui avoit adouci l'humeur du chantre de l'Art poétique.

Il seroit inutile de nous arrêter à l'Araucana, avec ses trois parties et ses trente-cinq chants originaux, sans oublier les chants supplémentaires de Don Diego de Santistevan Ojozio. Il n'y a point de merveilleux chrétien dans cet ouvrage; c'est une narration historique de quelques faits arrivés dans les montagnes du Chili. La chose la plus intéressante du poëme est d'y voir figurer Ercilla lui-même, qui se bat et qui écrit. L'Araucana est mesuré en oc

taves, comme l'Orlando et la Jérusalem. La littérature italienne donnoit alors le ton aux diverses littératures de l'Europe. Ercilla chez les Espagnols, et Spencer chez les Anglois, ont fait des stances et imité l'Arioste, jusque dans son exposition. Ercilla dit:

No las damas, amor, no gentilezas,
De caballeros canto enamorados,
Ni las muestras, regalos y ternezas
De amorosos afectos y cuidados:
Mas el valor, los hechos, las proezas
De aquellos Españoles esforzados,
Que á la cerviz de Arauco no domada
Pusiéron duro yugo por la espada.

C'étoit encore un bien riche sujet d'épopée que celui de la Lusiade. On a de la peine à concevoir comment un homme du génie. du Camoëns n'en a pas su tirer un plus grand parti. Mais enfin il faut se rappeler que ce poëte fut le premier poëte épique moderne, qu'il vivoit dans un siècle barbare, qu'il y a des choses touchantes', et quelquefois sublimes, dans ses vers, et qu'après tout il fut le plus infortuné des mortels. C'est un sophisme digne de la dureté de notre siècle, d'avoir avancé que les bons ouvrages se font dans le malheur : il n'est pas vrai qu'on puisse bien écrire quand on souffre. Les hommes qui se consacrent au culte des Muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes ames, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages.

Le mélange que le Camoëns a fait de la fable et du christianisme nous dispense de parler du merveilleux de son poëme.

Klopstock est tombé dans le défaut d'avoir pris le merveilleux du christianisme pour sujet de son poëme. Son premier personnage est un dieu; cela seul suffiroit pour détruire l'intérêt tragique. Toutefois il y a de beaux traits dans le Messie. Les deux amants ressuscités par le Christ offrent un épisode charmant que n'auroient pu fournir les fables mythologiques. Nous ne nous rappelons point de personnages arrachés au tombeau, chez les anciens, si ce n'est Alceste, Hippolyte et Hérès de Pamphylie ".

Néanmoins nous différons encore ici des critiques; l'épisode d'Inès nous semble pur, touchant, mais bien loin d'avoir les développements dont il étoit susceptible.

a Dans le dixième livre de la République de Platon.

Voilà ce que portoit la première édition. Depuis ce temps, l'un de nos meilleurs philologues, aussi savant que poli, M. Boissonade, m'a envoyé la note suivante des hommes ressuscités dans l'antiquité païenne par le secours des dieux ou de l'art d'Esculape :

« Esculape, qui ressuscita Hippolyte, avoit fait d'autres miracles. Apollodore (Bibl. In,

L'abondance et la grandeur caractérisent le merveilleux du Messie. Ces globes habités par des êtres différents de l'homme, cette profusion d'anges, d'esprits de ténèbres, d'ames à naître, ou d'ames qui ont déja passé sur la terre, jettent l'esprit dans l'immensité. Le caractère d'Abbadona, l'ange repentant, est une conception heureuse. Klopstock a aussi créé une sorte de séraphins mystiques inconnus avant lui.

Gessner nous a laissé dans la Mort d'Abel un ouvrage plein d'une tendre majesté. Malheureusement il est gâté par cette teinte doucereuse de l'idylle, que les Allemands répandent presque toujours sur les sujets tirés de l'Écriture. Leurs poëtes pèchent contre une des plus grandes lois de l'épopée, la vraisemblance des mœurs, et transforment en innocents bergers d'Arcadie les rois pasteurs de l'Orient.

Quant à l'auteur du poëme de Noé, il a succombé sous la richesse de son sujet. Pour une imagination vigoureuse, c'étoit pourtant une belle carrière à parcourir, qu'un monde antédiluvien. On n'étoit pas même obligé de créer toutes les merveilles : en fouillant le Critias, les Chronologies d'Eusèbe, quelques traités de Lucien et de Plutarque, on eût trouvé une ample moisson. Scaliger cite un fragment de Polyhistor, touchant certaines tables. écrites avant le déluge, et conservées à Sippary, la même vraisemblablement que la Sipphara de Ptolémée. Les Muses parlent et entendent toutes les langues; que de choses ne pouvoient-elles pas lire sur ces tables!

CHAPITRE V.

La Henriade.

Si un plan sage, une narration vive et pressée, de beaux vers, une diction élégante, un goût pur, un style correct, sont les seules qualités nécessaires à l'épopée, la Henriade est un poëme achevé; mais cela ne suffit pas : il faut encore une action héroïque et surnaturelle. Et comment Voltaire eût-il fait un usage heureux du « 40, 3) dit, sur le témoignage de différents auteurs, qu'il rendit la vie à Capanée, à Lycurgue, à Tyndare, à Hyménéus, à Glaucus. Télésarque, cité par le Scoliaste d'Eu⚫ ripide (Alc. 2), parle encore de la résurrection d'Orion tentée par Esculape. Voyez les « notes de MM. Heyne et Clavier sur le passage d'Apollodore, et celles de M. Walckenaer « sur l'Hippolyte d'Euripide, p. 318. »

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1 A moins qu'on ne fasse venir Sippary du mot hébreu Sepher, qui signifie bibliothèque. Josèphe, liv. 1, ch. 2, de Antiq. Jud., parle de deux colonnes, l'une de brique et l'autre de pierre, sur lesquelles les enfants de Seth avoient gravé les sciences humaines, afin qu'elles ne périssent point au déluge qui avoit été prédit par Adam. Ces deux colonnes subsistèrent longtemps après Noé.

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