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dres monastiques ou militaires. Les villes qui sont sorties le plus tôt de la barbarié sont celles mêmes qui ont été soumises à des princes ecclésiastiques. L'Europe doit la moitié de ses monuments et de ses fondations utiles à la munificence des cardinaux, des abbés et des évêques.

Mais on dira peut-être que ces travaux n'attestent que la richesse immense de l'Église.

Nous savons qu'on cherche toujours à atténuer les services : l'homme hait la reconnoissance. Le clergé a trouvé des terres incultes; il y a fait croître des moissons. Devenu opulent par son propre travail, il a appliqué ses revenus à des monuments publics. Quand vous lui reprochez des biens si nobles, et dans leur emploi et dans leur source, vous l'accusez à la fois du crime de deux bienfaits.

L'Europe entière n'avoit ni chemins ni auberges; ses forêts étoient remplies de voleurs et d'assassins ses lois étoient impuissantes, ou plutôt il n'y avoit point de lois; la religion seule, commė une grande colonne élevée au milieu des ruines gothiques, offroit dés abris et un point de communication aux hommes.

Sous la seconde race de nos rois, la France étant tombée dans l'anarchie la plus profonde, les voyageurs étoient surtout arrêtés, dépouillés et massacrés aux passages des rivières. Des moines hábiles et courageux entreprirent de remédier à ces maux. Ils formèrent entre eux une compagnie, sous le nom d'Hospitaliers pontifes ou faiseurs de ponts. Ils s'obligeoient, par leur institut, à prêter main-forte aux voyageurs, à réparer les chemins publics, à construire des ponts, et à loger les étrangers dans des hospices qu'ils élevèrent au bord des rivières. Ils se fixèrent d'abord sur la Durance, dans un endroit dangereux, appelé Maupas ou Mauvais-pas, et qui, grace à ces généreux moines, prit bientôt le nom de Bonpas, qu'il porte encore aujourd'hui. C'est cet ordre qui a bâti le pont du Rhône à Avignon. On sait que les messageries et les postes, perfectionnées par Louis XI, furent d'abord établies par l'Université de Paris.

Sur une rude et haute montagne du Rouergue, couverte de neige et de brouillards pendant huit mois de l'année, on aperçoit un monastère, bâti vers l'an 1120 par Alard, vicomte de Flandre. Ce seigneur, revenant d'un pèlerinage, fut attaqué dans ce lieu par des voleurs; il fit voeu, s'il se sauvoit de leurs mains, de fonder en ce désert un hôpital pour les voyageurs, et de chasser les brigands de la montagne. Étant échappé au péril, il fut fidèle à

ses engagements, et l'hôpital.d'Albrac ou d'Aubrac s'éleva in loco horroris et vasta solitudinis, comme le porte l'acte de fondation. Alard y établit des prêtres pour le servicé de l'église, des chevaliers hospitaliers pour escorter les voyageurs, et des dames de qualité pour laver les pieds des pèlerins, faire leurs lits, et prendre soin de leurs vêtements.

Dans les siècles de barbarie, les pèlerinages étoient fort utiles; ce principe religieux, qui attiroit les hommes hors de leurs foyers, servoit puissamment au progrès de la civilisation et des lumières. Dans l'année du grand jubilé', on ne reçut pas moins de quatre cent quarante mille cinq cents étrangers à l'hôpital de Saint-Philippe-de-Néri, à Rome; chacun d'èux fut nourri, logé et défrayé entièrement pendant trois jours.

Il n'y avoit point de pèlerin qui ne revint dans son village avec quelque préjugé de moins et quelque idée de plus. Tout se balance dans les siècles: certaines classes riches de la société voyagent peut-être à présent plus qu'autrefois; mais, d'une autre part, le paysan est plus sédentaire. La guerre l'appeloit sous la bannière de son seigneur, et la religion dans les pays lointains. Si nous pouvions revoir un de ces anciens vassaux que nous nous représentons comme une espèce d'esclave stupide, peut-être sérionsnous surpris de lui trouver plus de bon sens et d'instruction qu'au paysan libre d'aujourd'hui.

Avant de partir pour les royaumes étrangers, le voyageur s'adressoit à son évêque, qui lui donnoit une lettre apostolique, avec laquelle il passoit en sûreté dans toute la chrétienté. Lá formé de ces lettres varioit selon le rang et la profession du porteur, d'où on les appeloit formata. Ainsi, la religion n'étoit occupée qu'à renouer les fils sociaux, que la barbarie rompoit sans cessé.

En général, les monastères étoient des hôtelleries où les étrangers trouvoient en passant le vivre et le couvert. Cette hospitalité, qu'on admire chez les anciens, et dont on voit encore les restes en Orient, étoit en honneur chez nos religieux : plusieurs d'entre eux, sous le nom d'hospitaliers, sé consacrérent particulièrement à cette vertu touchante. Elle se manifestoit, comme aux jours d'Abraham, dans toute sa beauté antique, par le lavement des pieds, la flamme du foyer et les douceurs du repas et de la couche. Si le voyageur étoit pauvre, on lui donnoit des habits, des vivres, et quelque argent pour se rendre à un autre monastère, où il recevoit les mêmes secours. Les dames montées sur leur palefroi, les preux

En 1600.

cherchant aventures, les rois égarés à la chasse, frappoient, au milieu de la nuit, à la porte des vieilles abbayes, et venoient partager l'hospitalité qu'on donnoit à l'obscur pèlerin. Quelquefois deux chevaliers ennemis s'y rencontroient ensemble, et se faisoient joyeuse réception jusqu'au lever du soleil, où, le fer à la main, ils maintenoient l'un contre l'autre la supériorité de leurs dames et de leurs patries. Boucicault, au retour de la croisade de Prusse, logeant dans un monastère avec plusieurs chevaliers anglois, soutint seul contre tous qu'un chevalier écossois, attaqué par eux dans les bois, avoit été traîtreusement mis à mort.

Dans ces hôtelleries de la religion, on croyoit faire beaucoup d'honneur à un prince quand on lui proposoit de rendre quelques soins aux pauvres qui s'y trouvoient par hasard avec lui. Le cardinal de Bourbon, revenant de conduire l'infortunée Élisabeth en Espagne, s'arrêta à l'hôpital de Roncevaux, dans les Pyrénées; il servit à table trois cents pèlerins, et donna à chacun d'eux trois réaux pour continuer leur voyage. Le Poussin est un des derniers voyageurs qui aient profité de cette coutume chrétienne; il alloit à Rome, de monastère en monastère, peignant des tableaux d'autel pour prix de l'hospitalité qu'il recevoit, et renouvelant ainsi chez les peintres l'aventure d'Homère.

CHAPITRE IX.

Arts et Métiers, Commerce.

RIEN n'est plus contraire à la vérité historique que de se représenter les premiers moines comme des hommes oisifs, qui vivoient dans l'abondance aux dépens des superstitions humaines. D'abord cette abondance n'étoit rien moins que réelle. L'ordre, par ses travaux, pouvoit être devenu riche; mais il est certain que le religieux vivoit très durement. Toutes ces délicatesses du cloître, si exagérées, se réduisoient, même de nos jours, à une étroite cellule, des pratiques désagréables, et une table fort simple, pour ne rien dire de plus. Ensuite, il est très faux que les moines ne fussent que de pieux fainéants: quand leurs nombreux hospices, leurs colléges, leurs bibliothèques, leurs cultures, et tous les autres services dont nous avons parlé, n'auroient pas suffi pour occuper leurs loisirs, ils avoient encore trouvé bien d'autres manières d'être utiles; ils se consacroient aux arts mécaniques, et étendoient le commerce au-dehors et au-dedans de l'Europe.

La congrégation du Tiers-Ordre de Saint-François, appelée des Bons-Fieux, faisoit des draps et des galons, en même temps qu'elle montroit à lire aux enfants des pauvres, et qu'elle prenoit soin des malades. La compagnie des Pauvres Frères cordonniers et tailleurs étoit instituée dans le même esprit. Le couvent des Hieronymites, en Espagne, avoit dans son sein plusieurs manufactures. La plupart des premiers religieux étoient maçons, aussi bien que laboureurs. Les bénédictins bâtissoient leurs maisons de leurs propres mains, comme on le voit par l'histoire des couvents du mont Cassin, de ceux de Fontevrault, et de plusieurs autres.

Quant au commerce intérieur, beaucoup de foires et de marchés appartenoient aux abbayes, et avoient été établis par elles. La célèbre foire du Landit, à Saint-Denis, devoit sa naissance à l'Université de Paris. Les religieuses filoient une grande partie des toiles de l'Europe. Les bières de Flandre, et la plupart des vins fins de l'Archipel, de la Hongrie, de l'Italie, de la France et de l'Espagne, étoient faits par les congrégations religieuses; l'exportation et l'importation des grains, soit pour l'étranger, soit pour les armées, dépendoient encore en partie des grands propriétaires ecclésiastiques. Les églises faisoient valoir le parchemin, la cire, le lin; la soie, les marbres, l'orfèvrerie, les manufactures en laine, les tapisseries et les matières premières d'or et d'argent; elles seules, dans les temps barbares, procuroient quelque travail aux artistes, qu'elles faisoient venir exprès de l'Italie et jusque du fond de la Grèce. Les religieux eux-mêmes cultivoient les beaux-arts, et étoient les peintres, les sculpteurs et les architectes de l'âge gothique. Si leurs ouvrages nous paroissent grossiers aujourd'hui, n'oublions pas qu'ils forment l'anneau où les siècles antiques viennent se rattacher aux siècles modernes ; que, sans eux, la chaîne de la tradition des lettres et des arts eût été totalement interrompue il ne faut pas que la délicatesse de notre goût nous mène à l'ingratitude.

A l'exception de cette petite partie du Nord comprise dans la ligue des villes Anséatiques, le commerce extérieur se faisoit autrefois par la Méditerranée. Les Grecs et les Arabes nous apportoient les marchandises de l'Orient qu'ils chargeoient à Alexandrie. Mais les Croisades firent passer entre les mains des Francs cette source de richesse. « Les conquêtes des Croisés, dit l'abbé Fleury, leur assurèrent la liberté du commerce pour les marchandises de la Grèce, de Syrie et d'Egypte, et par conséquent pour

L

celles des Indes, qui ne venoient point encore en Europe par d'autres routes '. »

Le docteur Robertson, dans son excellent ouvrage sur le commerce des anciens et des modernes aux Indes Orientales, confirmé, par les détails les plus curieux, ce qu'avance ici l'abbé Fleury. Gênes, Venise, Pise, Florence et Marseille dûrent leurs richesses et leur puissance à ces entreprises d'un zèle exagéré, que le véritable esprit du christianisme a condamnées depuis longtemps. Mais enfin on ne peut se dissimuler que la marine et le commerce moderne ne soient nés de ces fameuses expéditions. Ce qu'il y eut de bon en elles appartient à la religion, le reste aux passions humaines. D'ailleurs, si les Croisés ont eu tort de vouloir arracher l'Égypte et la Syrie aux Sarrasins, ne gémissons donc plus quand nous voyons ces belles contrées en proie à ces Turcs, qui semblent arrêter la peste et la barbarie sur la patrie de Phidias et d'Euripidé. Quel mal y auroit-il si l'Égypte étoit depuis saint Louis une colouie de la France, et si les descendants des chevaliers françois régnoient à Constantinople, à Athènes, à Damas, à Tripoli, à Carthage, à Tyr, à Jérusalent?

Au reste, quand le christianisme a marché seul aux expéditions lointaines, on a pu juger que les désordres des Croisades n'étoient pas venus de lui, mais de l'emportement des hommes. Nos missionnaires nous ont ouvert des sources de commerce pour lesquelles ils n'ont versé de sang qué le leur, dont, à la vérité, ils ont été prodigues. Nous renvoyons le lecteur à ce que nous avons dit sur ce sujet au livre des Missions.

CHAPITRE X.

Des Lois civiles et criminelles.

RECHERCHER quelle a été l'influence du christianisme sur les lois et sur les gouvernements, comme nous l'avons fait pour la morale et pour la poésie, seroit le sujet d'un fort bel ouvrage. Nous indiquerons seulement la route, et nous offrirons quelques résultats, afin d'additionner la somme des bienfaits de la religion.

Il suffit d'ouvrir au hasard les conciles, le droit canonique, les bulles et les rescrits de la cour de Rome, pour se convaincre que nos anciennes lois recueillies dans les Capitulaires de Charlemagne, dans les formules de Marculfe, dans les ordonnances des rois de France, ont emprunté une foule de règlements à l'Église, ou pluHist. eccl., tome xvIII, sixième discours, page 20. vid. Fleury, loc. cit.

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