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En histoire, nous fussions demeurés inférieurs aux anciens, sans le caractère nouveau d'images, de réflexions et de pensées qu'a fait naître la religion chrétienne : l'éloquence moderne fournit la même observation.

Restes des beaux-arts, solitudes des monastères, charmes des ruines, gracieuses dévotions du peuple, harmonies du cœur, de la religion et des déserts, c'est ce qui conduit à l'examen du culte. Partout, dans le culte chrétien, la pompe et la majesté sont unies aux intentions morales, aux prières touchantes ou sublimes. Le sépulcre vit et s'anime dans notre religion : depuis le laboureur qui repose au cimetière champêtre jusqu'au roi couché à SaintDenis, tout dort dans une poussière poétique. Job et David, appuyés sur le tombeau du chrétien, chantent tour à tour la mort aux portes de l'éternité.

Nous venons de voir ce que les hommes doivent au clergé séculier et régulier, aux institutions, au génie du christianisme.

Si Shoonbeck, Bonnani, Giustiniani et Hélyot avoient mis plus d'ordre dans leurs laborieuses recherches, nous pourrions donner ici le catalogue complet des services rendus par la religion à l'humanité. Nous commencerions par faire la liste des calamités qui accablent l'ame ou le corps de l'homme, et nous placerions sous chaque douleur l'ordre chrétien qui se dévoue au soulagement de cette douleur. Ce n'est point une exagération: un homme peut penser telle misère qu'il voudra, et il y a mille à parier contre un que la religion a deviné sa pensée et préparé le remède. Voici ce que nous avons trouvé après un calcul aussi exact que nous l'avons pu faire.

On compte à peu près, sur la surface de l'Europe chrétienne, quatre mille trois cents villes et villages.

Sur ces quatre mille trois cents villes et villages, trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze sont de la première, de la seconde, de la troisième et de la quatrième grandeur.

En accordant un hôpital à chacune de ces trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze villes (calcul au-dessous de la vérité), vous aurez trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze hôpitaux, presque tous institués par le génie du christianisme, dotés sur les biens de l'Église, et desservis par des ordres religieux.

Prenant une moyenne proportionnelle, et donnant seulement cent lits à chacun de ces hôpitaux, ou, si l'on veut, cinquante lits pour deux malades, vous verrez que la religion, indépendamment de la foule immense de pauvres qu'elle nourrit, soulage et

entretient par jour, depuis plus de mille ans, environ trois cent vingt-neuf mille quatre cents hommes.

Sur un relevé des colléges et des universités, on trouve à peu près les mêmes calculs, et l'on peut admettre hardiment qu'elle enseigne au moins trois cent mille jeunes gens dans les divers états de la chrétienté'.

Nous ne faisons point entrer ici en ligne de compte les hôpitaux et les colléges chrétiens dans les trois autres parties du monde, ni l'éducation des filles par les religieuses.

Maintenant il faut ajouter à ces résultats le dictionnaire des hommes célèbres sortis du sein de l'Église, et qui forment à peu près les deux tiers des grands hommes des siècles modernes il faut dire, comme nous l'avons montré, que le renouvellement des sciences, des arts et des lettres est dû à l'Église ; que la plupart des grandes découvertes modernes, telles que la poudre à canon, l'horloge, les lunettes, la boussole, et en politique, le système représentatif, lui appartiennent; que l'agriculture, le commerce, les lois et le gouvernement lui ont des obligations immenses; que ses missions ont porté les sciences et les arts chez des peuples civilisės, et les lois chez des peuples sauvages; que sa chevalerie a puissamment contribué à sauver l'Europe d'une invasion de nouveaux Barbares; que le genre humain lui doit :

Le culte d'un seul Dieu;

Le dogme plus fixe de l'existence de cet Être suprême;

La doctrine moins vague et plus certaine de l'immortalité de l'ame, ainsi que celle des peines et des récompenses dans une autre vie;

Une plus grande humanité chez les hommes;

Une vertu tout entière, et qui vaut seule toutes les autres, la charité;

Un droit politique et un droit des gens, inconnus des peuples antiques; et, par-dessus tout cela, l'abolition de l'esclavage.

Qui ne seroit pas convaincu de la beauté et de la grandeur du christianisme? Qui n'est écrasé par cette effrayante masse de bienfaits?

On a mis sous les yeux du lecteur les bases de tous ces calents, que l'on a laissés exprès infiniment au-dessous de la vérité.

Voyez la note 58, à la fin du volume.

CHAPITRE XIII

ET DERNIER.

Quel seroit aujourd'hui l'état de la Société, si le Christianisme n'eut point paru sur la terre? - Conjectures. Conclusion.

Nous terminerons cet ouvrage par l'examen de l'importante question qui fait le titre de ce dernier chapitre en tâchant de découvrir ce que nous serions probablement aujourd'hui si le christianisme n'eût pas paru sur la terre, nous apprendrons à mieux apprécier ce que nous devons à cette religion divine.

Auguste parvint à l'empire par des crimes, et régna sous la forme des vertus. Il succédoit à un conquérant, et, pour se distinguer, il fut tranquille. Ne pouvant être un grand homme, il voulut être un prince heureux. Il donna beaucoup de repos à ses sujets un immense foyer de corruption s'assoupit ; ce calme fut appelé prospérité. Auguste eut le génie des circonstances: c'est celui qui recueille les fruits que le véritable génie a préparés; il le suit, et ne l'accompagne pas toujours..

Tibère méprisa trop les hommes, et surtout leur fit trop voir ce mépris. Le seul sentiment dans lequel il mit de la franchise étoit le seul où il eût dû dissimuler; mais c'étoit un cri de joie qu'il ne pouvoit s'empêcher de pousser, en trouvant le peuple et le sénat romain au-dessous même de la bassesse de son propre cœur.

Lorsqu'on vit ce peuple-roi se prosterner devant Claude, et adorer le fils d'Énobarbus, on put juger qu'on l'avoit honoré, en gardant avec lui quelque mesure. Rome aima Néron. Longtemps après la mort de ce tyran, ses fantômes faisoient tressaillir l'empire de joie et d'espérance. C'est ici qu'il faut s'arrêter, pour contempler les mœurs romaines. Ni Titus, ni Antonin, ni Marc-Aurèle, ne purent en changer le fond : un Dieu seul le pouvoit.

Le peuple romain fut toujours un peuple horrible: on ne tombe point dans les vices qu'il fit éclater sous ses maîtres, sans une certaine perversité naturelle, et quelque défaut de naissance dans le cœur. Athènes corrompue ne fut jamais exécrable dans les fers elle ne songea qu'à jouir. Elle trouva que ses vainqueurs ne lui avoient pas tout ôté, puisqu'ils lui avoient laissé le temple des Muses.

Quand Rome eut des vertus, ce furent des vertus contre nature. Le premier Brutus égorge ses fils, et le second assassine son père. Il y a des vertus de position qu'on prend trop facilement pour des vertus générales, et qui ne sont que des résultats locaux. Rome

libre fut d'abord frugale, parcequ'elle étoit pauvre; courageuse, parceque ses institutions lui mettoient le fer à la main, et qu'elle sortoit d'une caverne de brigands. Elle étoit d'ailleurs féroce, injuste, avare, luxurieuse elle n'eut de beau que son génie; son caractère fut odieux.

Les décemvirs la foulent aux pieds. Marius verse à volonté le sang des nobles, et Sylla celui du peuple: pour dernière insulte, celui-ci abjure publiquement la dictature. Les conjurés de Catilina s'engagent à massacrer leurs propres pères, et se font un jeu 'de renverser cette majesté romaine que Jugurtha se propose d'acheter 2. Viennent les triumvirs et leurs proscriptions: Auguste ordonne au père et au fils de s'entre-tuer 3, et le père et le fils s'entretuent. Le sénat se montre trop vil, même pour Tibère4. Le Dieu Néron a des temples. Sans parler de ces délateurs, sortis des premières familles patriciennes ; sans montrer les chefs d'une même conjuration se dénonçant et s'égorgeant les uns les autres ; sans représenter des philosophes discourant sur la vertu au milieu des débauches de Néron; Sénèque excusant un parricide, Burrhus le louant et le pleurant à la fois ; sans rechercher sous Galba, Vitellius, Domitien, Commode, ces actes de lâcheté qu'on a lus cent fois, et qui étonnent toujours, un seul trait nous peindra l'infamie romaine Plautien, ministre de Sévère, en mariant sa fille au fils aîné de l'empereur, fit mutiler cent Romains libres, dont quelques-uns étoient mariés et pères de famille : «< Afin, dit l'historien, que sa fille eût à sa suite des eunuques dignes d'une reine d'Orient '.

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A cette lâcheté de caractère joignez une épouvantable corruption de mœurs. Le grave Caton vient pour assister aux prostitutions des jeux de Flore. Sa femme Marcia étant enceinte, il la cède à Hortensius; quelque temps après, Hortensius meurt, et ayant laissé Marcia héritière de tous ses biens, Caton la reprend, au préjudice du fils d'Hortensius. Cicéron se sépare de Terentia, pour épouser Publia, sa pupille. Sénèque nous apprend qu'il y avoit des femmes qui ne comptoient plus leurs années par consuls, mais par le nombre de leurs maris ; Tibère invente les scellarii et les spin1 Sed filii familiarum, quorum ex nobilitate maxuma pars erat, parentes interficerent. Sallust., in Catil., XLIV.

2 Sallust., in Bell. Jugurth. — 3 Suet., in Aug., et Amm. Alex.

4 Tacit., Ann.- 5 Id., ibid., lib. xv, 56, 57.

6 Id., ibid., lib. xtv, 45. Papinien, jurisconsulte et préfet du prétoire, qui ne se piquoit pas de philosophie, répondit à Caracalla, qui lui ordonnoit de justifier le meurtre de son frère Géta: « Il est plus aisé de commettre un parricide que de le justifier. » Hist. Aug. 7 Dion,, lib. Lxxvi, page 1271. - 8 De Benefic., 111, 46.

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triæ; Néron épouse publiquement l'affranchi Pythagore, et Héliogabale célèbre ses noces avec Hiéroclès 2.

Ce fut ce même Néron, déja tant de fois cité, qui institua les fêtes Juvénales. Les chevaliers, les sénateurs et les femmes du premier rang étoient obligés de monter sur le théâtre, à l'exemple de l'empereur, et de chanter des chansons dissolues, en copiant les gestes des histrions 3. Pour le repas de Tigellin, sur l'étang d'Agrippa, on avoit bâti des maisons au bord du lac, où les plus illustres Romaines étoient placées vis-à-vis de courtisanes toutes nues. A l'entrée de la nuit tout fut illuminé 4, afin que les débauches eussent un sens de plus et un voile de moins.

La mort faisoit une partie essentielle de ces divertissements antiques. Elle étoit là pour contraste et pour rehaussement des plaisirs de la vie. Afin d'égayer les repas, on faisoit venir des gladiateurs, avec des courtisanes et des joueurs de flûte. En sortant des bras d'un infame, on alloit voir une bête féroce boire du sang humain; de la vie d'une prostitution, on passoit au spectacle des convulsions d'un homme expirant. Quel peuple que celui-là, qui avoit placé l'opprobre à la naissance et à la mort, et élevé sur un théâtre les deux grands mystères de la nature, pour déshonorer d'un seul coup tout l'ouvrage de Dieu!

Les esclaves qui travailloient à la terre avoient constamment les fers aux pieds: pour toute nourriture, on leur donnoit un peu de pain, d'eau et de sel; la nuit, on les renfermoit dans des souterrains qui ne recevoient d'air que par une lucarne pratiquée à la voûte de ces cachots. Il y avoit une loi qui défendoit de tuer les lions d'Afrique, réservés pour les spectacles de Rome. Un paysan qui eût disputé sa vie contre un de ces animaux eût été sévèrement puni 5. Quand un malheureux périssoit dans l'arène, déchiré par une panthère ou percé par les bois d'un cerf, certains malades couroient se baigner dans son sang, et le recevoir sur leurs lèvres avides. Caligula souhaitoit que le peuple romain n'eût qu'une seule tête, pour l'abattre d'un seul coup 7. Ce même empereur, en attendant les jeux du Cirque, nourrissoit les lions de chair humaine, et Néron fut sur le point de faire manger des hommes tout vivants à un Égyptien connu par sa voracité 8. Titus, pour célébrer la fête de son père Vespasien, donne trois mille Juifs à dévorer aux bêtes 9. On conseilloit à Tibère de faire

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Tac., Ann., XV, 37. - Dion., lib. LXXIX, page 1363. Hist. Aug., page 10.

› Tacit., Ann., x1, 15. — 4 1d., ibid., XV, 37.—5 Cod. Theod., tome vi, page 92.

6 Tert., Apologet. — 7 Suet., in V ́it. — 8 Id., in Calig, et Ner,

9 Joseph., de Bell. Judaic., lib. VII.

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