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que l'esprit de saint Etienne vivait encore dans Pontigny. Le reste se jeta dans le siècle, et la religion eut à gémir sur les écarts de plusieurs d'entre eux. L'abbé Depaguy se retira à Saint-Florentin, où il occupa les loisirs de sa retraite à transcrire et à mettre en ordre, dans trois volumes in-folio, les titres et les chartes des divers établissemens de cette ville, et sauva ainsi de l'oubli et de la destruction des pièces du plus haut intérêt pour l'histoire de Saint-Florentin. Durant le peu de temps qu'il gouverna l'abbaye de Pontigny, il avait transcrit de sa propre main tous les titres de son abbaye, comme on l'a vu ailleurs. Ce savant et laborieux abbé mourut à Saint-Florentin en 1810, plein de jours et de tristesse, après avoir vu enlever les dernières pierres de son abbaye.

Lorsqu'en 1795 l'abbaye fut vendue, l'église profanée, le corps de saint Edme, par une protection spéciale de la Providence, resta dans sa châsse, et aucun des hommes de la révolution n'osa y porter ses mains sacriléges. Malgré le refroidissement de la foi, les peuples voisins conservent toujours de la vénération pour les reliques du saint archevêque de Cantorbéry. C'est le plus précieux trésor de la paroisse, et comme la sauve-garde de la belle église dans laquelle elles reposent.

Jusqu'en 1821, l'église de Pontigny eut pour curé M. François-Nicolas Robert, ancien moine de l'abbaye, intrépide défenseur des biens de son église. Il refusa constamment les stalles au chapitre de Troyes, qui les demandait pour remplacer celles de Clairvaux qu'il possédait déjà, et dont le travail ne.

peut entrer en parallèle avec celles de Pontigny. II accorda des reliques de saint Edme à la duchesse d'Angoulême. Ce fut après bien des refus que M. de Boulogne, évêque de Troyes, en obtint pour la chapelle de son séminaire. Pontigny faisait alors partie de l'évêché de Troyes. De grandes Eglises demandèrent les orgues, les grilles, les autels, et éprouvèrent des refus humilians.

En 1825, M. Cabias, desservant de Pontigny, crut devoir substituer une nouvelle châsse à l'ancienne, qui était de bois doré, fermée à la tête par un grillage à travers lequel on pouvait considérer la sainte relique. Il descendit donc cette châsse, sans avoir assez consulté l'archevêque de Sens, qui l'en blåma fortement. Il déposa le corps de saint Edme dans une chapelle ornée de tentures, où il resta six mois. La nouvelle châsse, plus légère et plus découverte, est fermée de grands carreaux en verre, et est, par là même, exposée aux spoliations et à la profanation. La cérémonie de cette translation se fit humblement, en présence des prétres des environs et des fidèles de la paroisse. Quel rapprochement avec ces translations solennelles auxquelles les rois, les princes, les évêques accouraient avec un pieux empressement. Que les temps sont changés! Le corps du Saint fut trouvé couché dans sa châsse, revêtu de ses ornemens pontificaux, depuis la mitre jusqu'aux brodequins. On répara la mitre qui se détachait en lambeaux, et on changea le linceul qui touchait le corps. Le bras de saint Edme, détaché du temps de saint Louis, est déposé dans une armoire pratiquée dans le mur d'une chapelle.

Je ne dois pas passer sous silence le concours extraordinaire qui se fit à Pontigny, cette même année 1825, le lendemain de la Pentecôte, jour où l'on célèbre ordinairement la fête de saint Edme, quoiqu'elle arrive le 16 novembre. Son corps, que l'on voyait dans une chapelle ardente, attira une foule immense. On assure qu'il s'y trouva plus de dix mille personnes. Un orage inattendu vint bientôt mettre fin à cette réunion, qui rappelait les beaux temps de l'abbaye. Tout-à-coup, à quatre heures et demie du soir, le ciel s'obscurcit, le tonnerre gronde, une grande pluie commence à tomber et se prolonge jusque dans la nuit. Lorsque les auberges et les maisons des particuliers furent remplies, le reste de la foule s'écoula le long des chemins; les uns allèrent coucher dans les villages voisins, les autres marchèrent une partie de la nuit; car on y était accouru d'Auxerre, de Joigny, de Brienon, de Saint-Florentin, de Seignelay, de Ligny-le-Châtel, de Chablis, et des villages d'alentour.

L'abbaye de Pontigny fleurit six cent soixanteseize ans. Son histoire n'est pas sans nuages, parce que les abus sont inséparables de toutes les choses humaines. Cependant, quel tribut de reconnaissance ne mérite pas cette maison que la religion seule pouvait montrer à nos pays? Dès sa naissance, elle acquit cette prépondérance imposante que donnent l'indépendance temporelle, la noblesse des sentimens de la religion et la protection des rois. On l'a vue, investie de toute la confiance des grands, servir de pacificateur et d'arbitre entre eux et les peuples; on l'a vue chargée des présens qu'elle recevait des rois,

des évêques, des seigneurs et des peuples. Dans les temps orageux du moyen-âge, cette noble abbaye ne fut-elle pas le flambeau de la foi et de la civilisation? Ne s'éleva-t-elle pas contre l'anarchie qui dévorait nos contrées, alors que tout était barbare, exrepté elle? Les abbés, l'Evangile à la main, condamnaient l'ambition des uns, l'orgueil des autres, les usurpations, les brigandages, l'esclavage enfin. Leur charité ingénieuse finit par gagner les seigneurs du pays. Ceux-ci, entraînés par l'ascendant de la vertu, mettent leurs enfans au nombre de ces religieux qu'ils vénèrent; bientôt ils veulent qu'on apporte leurs cendres dans l'abbaye. Cette sorte d'alliance, contractée avec les premières familles du pays, permet aux abbés de tout entreprendre pour le bien spirituel et temporel des peuples. Si les derniers temps de l'abbaye ont donné moins d'édification que les siècles précédens, les fidèles avaient moins besoin de son appui.

Que dirai-je encore de notre illustre abbaye? EHe s'était acquise une réputation européenne par l'observance parfaite des réglemens de son ordre, par le nombre et la ferveur de ses frères; elle fut pendant plusieurs siècles le refuge spécial des pécheurs. Que d'âmes n'a-t-elle pas ravies aux enfers pour en enrichir le royaume des cieux? Là, des hommes de toute condition ont rejeté le pesant fardeau du monde pour se soamettre au joug de l'Evangile; là, des grands ont échangé le faste et le luxe du siècle contre la vie humble et pauvre des moines. On a vu des évêques déposer le gouvernement de leur église et venir embrasser à Pontigny une vie plus douce et

plus tranquille, aimant mieux obéir dans un cloître que de commander dans leur diocèse. Que d'hommes remplis de l'esprit de Dieu sont sortis de cette maison pour porter la bonne odeur de Jésus-Christ dans les différentes parties de l'Europe. S'il est permis à une province, à une ville, de revendiquer les grands hommes qui sont nés dans son sein, que de savans et saints personnages, formés à la science et à la vertu dans l'école de Pontigny, ont illustré nos contrées qui les avait vus naître? Si l'histoire de ces temps héroïques fût parvenue jusqu'à nous, que de beaux exemples elle présenterait à notre émulation!

Ces richesses que l'on a reprochées ou plutôt enviées à l'abbaye de Pontigny, n'étaient-elles pas toujours prêtes pour secourir une calamité nationale? Dans un malheur public, dans un temps de peste, dans une famine, n'a-t-on pas vu ces trésors s'ouvrir? n'a-t-elle pas engagé les vases de l'autel pour nourrir les pauvres, pour repousser l'ennemi commun?

Après la dispersion des religieux, en 1790, les comités révolutionnaires mirent l'abbaye au pillage ces forêts magnifiques, ces prés, ces étangs, ces vignes, ces immenses propriétés dont la piété des siècles passés s'était plu à la doter, devinrent la pâture des Vandales qui gouvernaient la France. Les bâtimens de l'abbaye et ses dépendances furent démolis jusques aux fondemens. Tandis que cet édifice, digne du crayon de l'artiste et de la description du savant, s'écroulait de toutes parts (1),

(1) Le plan de l'abbaye manque à l'histoire; je n'en ai pu découvrir de traces que dans le souvenir des anciens, alors quelle

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