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et au commencement du treizième. On voit les dangers violens qui entouraient sans cesse les possessions des monastères et leurs immunités ecclésias-. tiques; car le pape n'écrit que sur les plaintes qui lui avaient été portées. Alors chacun se faisait justice soi-même. On coupait les arbres, on brûlait, on abattait la maison de son ennemi, ou on le laissait. à demi-mort sur un chemin. Le pouvoir religieux et la barbarie du siècle, dans leurs inexprimables. conflits, sont livrés à toutes les angoisses et à toutes les péripéties d'une lutte violente, pour engendrer, non sans douleurs, l'ordre social moderne.

L'ignorance dans laquelle le peuple était plongé ne contribuait pas peu à entretenir ces désordres. On ne connaissait pas l'imprimerie; les livres étaient rares; très-peu de personnes savaient lire : les écoles semblaient s'être réfugiées dans les cathédrales et dans les monastères. Les enfans étaient, dans ces écoles, l'objet d'une prédilection particulière; on veillait avec un soin étonnant, une douceur de.. mère, à leurs mœurs, à leurs études, et jusqu'à leur sommeil. Les écoles de l'abbaye de Saint Germain d'Auxerre avaient déjà eu une grande célébrité. Aussi, les papes firent-ils tous leurs efforts. pour rallumer le flambeau des études; ils firent cultiver les lettres dans les monastères, fondèrent des écoles, des universités, honorèrent et protégèrent les sciences, et dirigèrent le monde chrétien dans ces voies de progrès qui lui assurent une supériorité incontestable sur tous les peuples non-chrétiens. L'ignorance était telle au douzième siècle, que certains seigneurs croyaient avoir tout fait pour

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Dieu, et réparé leurs injustices, en bâtissant une église ou en dotant un monastère. Le bonheur des peuples, l'amour de la justice, l'éloignement des vices grossiers, étaient presque comptés pour rien. Par une bizarrerie inconcevable, un père dotait une église, son fils la dépouillait; ou bien, après avoir causé des peines inouïes à un monastère, le coupable, amené par la foi, tombait aux pieds de l'abbé pour lui demander pardon. Nos historiens ont fait la même remarque à l'égard des croisés, qui alliaient une foi vive à une vie dissolue. Tel était le peuple que l'abbaye de Pontigny avait à régénérer par la force de l'exemple, l'instruction et l'efficacité de ses prières. Ses efforts ne tardèrent pas à être couronnés du succès. Peu à peu la foi éclaira les esprits, polit les mœurs, établit la justice et enfanta des chefsd'œuvre de civilisation dans les siècles suivans. Ik fallait qu'alors les abbés fussent de saints et de grands hommes, pour dominer de leur autorité morale les désordres des siècles grossiers, et enchaîner par le respect de la religion, par leur science et par leurs vertus, les seigneurs, les peuples, les évêques, et jusqu'aux souverains pontifes eux-mêmes.

On croirait que les moines étaient agités sans cesse par ces provocations du dehors; il paraît qu'il en était tout autrement : persuadés que le lieu du repos n'est pas sur la terre, que le royaume des cieux appartient à ceux qui souffrent, ils demeuraient en paix. De même que dans la primitive. Eglise, les persécutions ne faisaient qu'accroître la foi des fidèles, les vexations qu'on faisait éprouver aux moines leur fournissaient de nouveaux motifs

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de redoubler la ferveur de leurs prières, et d'exercer la charité dans toute sa perfection, en priant pour leurs persécuteurs. Cela même ne diminuait rien de la vénération que l'on avait pour eux. Au milieu de leurs tribulations, ils étaient comme inondés de bienfaits. On ambitionnait, comme la plus insigne faveur, d'être enterré dans leur abbaye, ou d'avoir une part à leurs prières. Si l'abbaye eût pu être à l'abri des persécutions, les siècles que nous parcourons n'auraient été remplis que du récit de sa grandeur. Peut-être aussi aurait-on eu à déplorer le relâchement et l'oubli de la croix, qu'amènent naturellement les prospérités temporelles.

Parmi les seigneurs qui ont suscité des peines à l'abbaye de Pontigny, on remarque un Jobert de Maligny, un Etienne de Venousse, un Jean de Ligny, un Milès de Noyers. D'ailleurs, tous ceux qui sont cités dans les Cartulaires de Pontigny, sont revenus à de meilleurs sentimens, et ont fait à l'abbaye une amende honorable avant leur mort. Quant à ceux qui n'ont vécu que pour exercer la patience des abbés et des religieux, leurs noms sont mis dans l'oubli. Jobert de Maligny était un riche T. II, p. 478. seigneur, qui possédait des biens à Fouchère, à Montigny, à Poinchy et à Chablis. En 1187, il reconnut ses torts, en présence de Manassès, évêque de Langre; il confessa avoir persécuté injustement la maison de Pontigny, par ses procès, ses violences, tantôt s'armant lui-même contre elle, tantôt soulevant ses serfs pour l'opprimer; il répara ses injustices et déclara qu'il voulait vivre désormais en bonne intelligence avec l'abbé et les religieux. Son

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épouse Ermengarde, Guy son fils, Milo et Burs, ses frères, se réconcilièrent en même temps. Etienne de Venousse, écuyer, fils de Itier de VeT. III, p. 27. nousse, s'était mis en possession du bois de Revisy l'avait fait couper, après en avoir chassé les gardes forestiers de l'abbaye. Il reconnut aussi ses torts en 1235; il avoua qu'il n'avait aucun droit dans ces bois, demanda pardon des violences qu'il avait exercées envers les moines, et s'offrit de réparer tous les dommages qu'il avait causés.

Le chapitre de Saint-Martin de Tours, effrayé du rapide accroissement de l'abbaye de Pontigny, craignit que bientôt elle n'effaçât son petit monastère de Chablis. C'est pourquoi, par une délibération de 1198, le chapitre arrêta que l'abbaye de Pontigny ne posséderait pas plus de trente-six arpens de vigne à Chablis; qu'elle continuerait d'en payer dix muids de vin de rente; qu'elle n'y pourrait acheter aucune propriété; qu'elle conserverait seulement ses. possessions actuelles. Cette défense de s'agrandir dans une autre contrée était un effet des petites rivalités féodales. Pour conserver la prééminence dans un pays, il fallait veiller à ce qu'aucun voisin puissant n'y fit des acquisitions importantes. En 1188, le chapitre de Saint-Etienne de Sens fit à l'abbaye de Pontigny la remise des dimes sur ses biens d'AT.11, p. 56 et 59. vrolles; mais on fit promettre auparavant à l'abbé et aux moines, qu'ils ne feraient aucune nouvelle acquisition sur cette commune, soit en terres ou en prés, soit en bois ou en vignes. Milès de Bouilly était convenu, avec cette même abbaye, qu'elle T. III, p. 53. n'achèterait aucun bien au-delà de l'Armançon, sans sa permission.

P. 340.

Les abbés de Pontigny tiraient un grand produit TI, p. 229.; de leurs vins. On en peut juger par la faculté que leur accorda Henri II, comte de Champagne, en 1190, de conduire, chaque année, dans la ville de Troyes, jusqu'à deux cents muids de vin de leur crû, sans payer de droits d'entrée. Il était à Vézelay, partant pour la Terre-Sainte, lorsqu'il accorda cette faveur. On voit que nos pays avaient alors dans la Champagne un débouché important pour leurs vins. Auxerre faisait des envois au-delà de Paris : on s'occupait peu de cette capitale, qui absorbe aujourd'hui tous nos produits. En 1312, les douaniers de Louis-le-Hutin, roi de France, comte palatin de Champagne et de Brie, prétendirent que le vin de l'abbaye devait payer un droit, parce que le muid de 1312 était plus grand que celui de 1190, époque où la franchise des droits avait été accordée. L'affaire fut portée devant le roi, qui déclara que puisqu'on ne pouvait préciser quelle était la capacité du muid (1) de 1190, on devait se conformer à celui qui avait cours présentement à Troyes et aux environs, et ne point exiger de droits. En 1260, les abbés de Pontigny recevaient du comte d'Auxerre cent muids de vin, sur la dîme de Junay, pour la rente du bois de Bar, qu'ils lui avaient cédé.

(1) Le muid de cette époque devait être bien inférieur au nôtre; car alors on ne connaissait ni le gamé, ni le tresseau, qui donnent du vin en abondance. Les vignes étaient ordinairement très-vieilles, et plantées en pinot; elles donnaient de bons vins, mais en petite quantité. On pourrait croire, sans s'éloigner de la vérité, que ce muid ancien ne contenait pas deux feuillettes comme le nôtre, mais une seule, un peu plus grande que celles dont nous nous servons.

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