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Je m'arrête dans un champ si vaste. Du reste, la seule inspection de ce qu'on appelle le Corps du droit romain suffit pour donner une idée sensible des progrès de la religion chrétienne. Les Institutes et le Digeste, composés en grande partie des décisions des prudens, ne renferment que quelques corrections devenues nécessaires et quelques additions aux principes de l'ancienne jurisprudence; mais le Code abrégé des constitutions impériales est empreint dans tout son ensemble d'une teinte religieuse et théologique. Jetez seulement les yeux sur les titres du premier livre, ils traitent de la sainte Trinité, de l'Eglise catholique, des églises, des évêques et des clercs, des manichéens et des samarites, des apostals, de la défense de représenter en terre, en marbre ou en pierre l'image du Christ, et de beaucoup d'autres sujets qui sont plutôt de la compétence des conciles que de la juridiction temporelle.

Le point de vue que vient de nous offrir la législation romaine est nouveau. Ce n'est plus seulement pour nous une suite de décisions plus ou moins sérieuses, une série de lois souvent contradictoires, sans principes, sans liaison et sans but ; c'est le tableau fidèle de l'ancienne et de la nouvelle constitution romaine, c'est l'histoire des mœurs et de l'esprit humain, c'est le récit du combat livré au paganisme par cette religion chrétienne qui a fini par triompher de la législation comme de l'univers. Ainsi s'agrandit la mission du jurisconsuite qui, dominé par une idée généreuse et féconde, s'enfonce dans les routes obscures et arides de la science, guidé par le double flambeau de l'histoire et la religion.

(Voir le 3′ art.'au no suivant ci-après p. 141).

X.

Philologie.

DES MONASTÈRES

QUI ONT CONSRVÉ LES AUTEURS PROFANES,

AU MOYEN-AGE.

Précautions prises pour conserver les livres dès le 6a siècle.-Prescriptions et œuvre de Cassiodore. Auteurs connus jusqu'au 10a siècle. — Invasions dévastatrices pendant ce siècle. Efforts des moines pour conserver les livres. Rareté et cherté des manuscrits au 11e siècle. Les classiques latins existaient encore en entier.-Influence des croisades sur la littérature. — Les études fleurissent au 12e siècle. — Ecoles des monastères. — Châte des études au 13° siècle.- Efforts de quelques savans au 14° siècle pour retrouver ou conserver les manuscrits. Découverte de l'imprimerie au

15° siècle.

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La conservation des chefs-d'œuvre de l'antiquité est le plus grand miracle des tems barbares. En effet, tandis que tout périssait jusqu'au souvenir d'une ancienne civilisation, tandis que les sociétés humaines étaient comme rentrées dans le chaos, comment est-il arrivé que les trésors littéraires de l'Ausonie aient traversé ces âges ténébreux? comment des générations plongées dans une sauvage ignorance ont-elles légué au monde ce grand héritage qu'elles ne comprenaient pas ? Ici les idées se confondent, l'esprit ne peut expliquer cette résurrection lente et glorieuse de la littérature romaine, et nous sommes contraints d'avouer que les œuvres du génie ont aussi leur providence.

Les productions antiques eurent des gardiens depuis les tems les plus reculés du moyen-âge jusqu'à l'époque de la découverte de l'im:

primerie, et nos vieux monumens historiques nous offrent à ce sujet de précieux détails. Nous ne prétendons pas pouvoir retracer d'une manière complète les destinées de ces œuvres désormais impérissables: dans le désert du moyen-âge, le traces de l'antiquité sont bien difficiles à suivre; mais il nous semble que l'intérêt du sujet pourra sup> pléer, en quelque sorte, à ce qu'il y aura d'incomplet dans ce tableau. Qui n'aimerait à connaître les périlleuses vicissitudes des chefs-d'œuvre de Rome? On éprouve je ne sais quelle joie je ne sais quel enthousiame, en voyant les noms et les ouvrages de Virgile, de Cicéron ou d'Ovide, échapper à la destruction et se mêler aux annales de l'Église latine.

Cassiodore, un des hommes les plus remarquables du 6° siècle, est le premier qui ait fait de la transcription des manuscrits une occupation pour les moines. Après 50 ans d'une vie orageuse, l'ancien ministre de Théodoric avait fondé dans la Calabre, sa partie, un monastère pour y passer ses derniers jours. Là Cassiodore, octogénaire, copiait lui-même et faisait copier des livres sacrés et profanes recueillis à grands frais. Personne alors ne pouvait apprécier mieux que ce grand homme les chefs-d'œuvre de l'Italie, et rien n'est plus touchant que de voir le vieux Cassiodore, dans le désert et sous l'habit grossier de cénobite, achever une carrière longue et glorieuse, reproduisant sur le papyrus les merveilles du génie.

en

Les chroniqueurs des 7° et 8° siècles ne citent aucun fait relatif à la conservation des classiques latihs; ils nous disent que les sciences étaient cultivées dans les cloîtres, et la littérature d'un autre âge ne leur est point étrangère. En lisant leurs ouvrages, on s'aperçoit qu'ils ont connu les chants du poète de Mantoue, les pages éloquentes de Cicéron, les récits de Tite-Live et de Salluste: il ont même une très-haute idée des anciens écrivains. « Maintenant le monde vieillit, >> dit Frédégaire dans la préface de son Histoire; le tranchant de notre >> esprit s'émousse. Nul homme de ce tems n'égale les auteurs des »tems passés, et personne n'ose y prétendre.

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Les lettres, qui avaient jeté de l'éclat sous le règne de Charlemagne, furent encouragées par les successeurs de ce grand prince. Louisle-Débonnaire et Charles-le-Chauve étendirent leur protection sur ceux qui cultivaient les sciences, et ce dernier monarque, qu'enthousiasmaient les seuls noms d'Athènes et de Lacédémone, eut la pensée

d'introduire dans son royaume les mœurs et les usages de la Grèce antique. On a remarqué qu'après la mort de Charlemagne, les auteurs profanes trouvèrent un peu plus de lecteurs qu'ils n'en avaient auparavant; voilà pourquoi au 9e siècle leurs chefs-d'œuvre furent conservés avec assez de soin. Loup, abbé de Ferrières, dont le nom est célèbre dans l'histoire littéraire de cette époque, fit transcrire des ouvrages de Suétone, de Salluste, de Cicéron et de Tite-Live, qu'il avait découverts dans les monastères de France et d'Italie. Il reçut du pontife Benoît III le traité de Cicéron de Oratore, les douze livres des Institutions de Quintilien, et les Commentaires de Donat sur Térence. Les noms de Virgile, de Tullius, de Pline, de Probus et de Priscien, figuraient dans le catalogue de l'abbaye de Saint-Riquier, et l'église de Reims possédait les œuvres de Lucain, de Tite-Live, de Virgile et de Jules César. Cependant, tandis que les cénobites se livraient à l'étude de l'antiquité, souvent la guerre venait troubler la paix de leurs solitudes; les cloîtres devenaient la proie des Normands, des Bulgares ou des Sarrasins, conquérans barbares qui long-tems épouvantèrent l'Europe. L'incendie dévorait les bibliothèques, les trésors entassés par l'étude, le fruit de ces veilles longues et laborieuses, périssaient quelquefois au milieu des inva

sions.

Ces invasions furent plus fréquentes dans le 10° siècle; les troupes conquérantes continuèrent leurs brigandages avec plus de fureur que jamais, et les chroniques nous parlent d'un grand nombre d'églises et de monastères renversés de fond en comble. Que de manuscrits disparurent sous les décombres, ou furent livrés aux flammes! Les amis des lettres doivent déplorer ces révolutions, qui peut-être ont privé le monde d'une foule de livres anciens, dignes de la postérité. Toutefois le 10° siècle a des titres à notre reconnaissance, puisque, malgré les fléaux de l'invasion, il sauva un grand nombre de manuscrits classiques. Lebœuf, dont les savantes recherches nous ont servi pour ce travail, a vu, dans on fragment de manuscrit, que, sous le roi Robert, on possédait à Saint-Bénigne de Dijon, Priscien et Horace, et qu'on prêta même ce dernier aux chanoines de Langres. Le couvent de Montirender, au diocèse de Châlons-sur-Marne, s'était enrichi de la Rhétorique de Cicéron, des Eglogues et des Géorgiques de Virgile et de

deux exemplaires de Térence. La cathédrale de Metz conservait un Virgile et un Horace de huit à neuf cents ans, et Perse et Juvénal avaient trouvé un asile protecteur dans l'église d'Autun. En Italie, on donnait à transcrire aux moines, pour leur travail manuel du carême, des livres sacrés ou profanes; les religieux de France avaient la même occupation pendant la sainte quadragésime. Au monastère de Fleuri, on étudiait beaucoup les auteurs profanes, et chaque élève de cette abbaye, était obligé de donner deux exemplaires de quelque ouvrage ancien ou moderne. Dans les écrits d'Abbon, abbé de Fleuri, on trouve Salluste, Térence, Horace ou Virgile, cités presque à chaque page, ce moine célèbre rechercha beaucoup les livres de l'antiquité, il n'oublia rien pour en multiplier les copies, et la bibliothèque de son couvent était devenue une des plus riches de l'époque.

Comme, dans le 10° siècle, la transcription des manuscrits avait été négligée, ils devinrent rares et chers. Le fait suivant pourra donner une idée du prix des livres au commencement du 11° siècle. Un recueil d'homélies coûta à Grécie, comte d'Anjou, deux cent brebis, un muid de froment, un muid de seigle, un muid de millet et un certain nombre de peaux de martre. Cette cherté énorme ne fut que de courte durée. Le 11e siècle est remarquable par le soin que mirent les cénobites à recueillir les monumens de l'ancienne littérature, et à multiplier par la transcription les manuscrits romains, précieuses conquêtes de la barbarie. Dans les premières années de ce siècle, le fameux Gerbert, que l'Europe accusait de magie, à cause de son vaste savoir, nous apparaît recherchant avec ardeur en France, en Italie et en Allemagne, les productions du génie antique; il n'épargna ni l'or ni la peine pour rassembler tous ces débris épars. Sous sa direction furent transcrits les livres des monastères d'Orbais et de Saint-Bâle, les ouvrages de Jules César et de Pline, l'Achileide de Stace, plusieurs fragmens de Cicéron, de Suétone et de Quinte-Curce; il envoya à Rome quelques exemplaires de ces deux derniers auteurs. L'abbaye de Fleuri possédait le traité de Cicéron sur la République. Ce livre, qui depuis avait disparu sans retour, vient d'être découvert en partie, au bout de huit siècles, par l'abbé Angélo Maï, bibliothécaire du atican: nous devons aussi à ce savant la découverte de quelques fragmens de Cornélius Népos, de Tacite et de Salluste.

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