ÉPITRE IV.1 AU LECTEUR. 2 3 Je ne sais si les rangs de ceux qui passèrent le Rhin à la nage devant Tholus sont fort exactement gardés dans le poëme que je donne au public; et je n'en voudrois pas être garant, parce que franchement je n'y étois pas, et que je n'en suis encore que fort médiocrement instruit. Je viens même d'apprendre en ce moment que M. de Soubise, dont je ne parle point, est un de ceux qui s'y est le plus signalé. Je m'imagine qu'il en est ainsi de beaucoup d'autres, et j'espère de leur faire justice dans une autre édition. Tout ce que je sais, c'est que ceux dont je fais mention ont passé des premiers. Je ne me déclare donc caution que de l'histoire du fleuve en colère, que j'ai apprise d'une de ses naïades, qui s'est réfugiée dans la Seine. J'aurois bien pu aussi parler de la fameuse rencontre qui suivit le passage; mais je la réserve pour un poëme à part. C'est là que j'espère rendre aux mânes de M. de Longueville' l'honneur que tous les écrivains lui doivent, et que je peindrai cette victoire qui fut arrosée du plus illustre sang de l'univers; mais il faut un peu reprendre haleine pour cela. 5 1. Composée au mois de juillet 1672 et publiée au mois d'août de la même année. (Brossette.) 2. Texte de la première édition séparée, 1672. 3. François de Rohan, prince de Soubise, second fils d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon et de Marie de Bretagne-Vertus, mort le 24 août 1712, dans sa quatre-vingt-huitième année. Il traversa le Rhin à la nage à la tête des gendarmes de la garde, dont il était capitaine-lieutenant. Il fut depuis lieutenant général, puis gouverneur de Berri, et ensuite de Champagne et de Brie. (M. CHÉRON.) 4. Charles-Paris d'Orléans, duc de Longueville et d'Estouteville, né le 29 de janvier 1649, tué au passage du Rhin le 12 de juin 1672, au moment où il allait être élu roi de Pologne. Cf. lettres de Mme de Sévigné des 17 et 20 de juin, et 3 de juillet 1672. 5. Il n'a point exécuté ce projet. AU ROL 1 En vain, pour te louer, ma muse toujours prête Pour trouver un beau mot, courir jusqu'au Tessel.3 1. En 1672 le roi avait déclaré la guerre aux Hollandais. Turenne, Condé, Luxembourg commandaient les trois corps d'armée que Louis avait formés pour cette expédition. La campagne ne dura que deux mois. Le roi conquit dans ce peu de temps trois provinces et prit plus de quarante villes. 10 Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie. Et qui peut sans frémir aborder Voërden?1 Quel vers ne tomberoit au seul nom de Heusden?? Zutphen, Wageninghen, Harderwic, Knotzembourg? Et partout sur le Whal, ainsi que sur le Lech, 20 Le vers est en déroute, et le poëte à sec. " 3 Encor si tes exploits, moins grands et moins rapides, Par quelque coup de l'art nous pourrions nous sauver. 25 Mais, dès qu'on veut tenter cette vaste carrière, Pégase s'effarouche et recule en arrière; 1. Nous unissons dans une seule note tous ces noms qui faisaient le désespoir du poëte. Issel, rivière de Hollande qui se jette dans le Zuiderzée; Tessel, île hollandaise de l'océan Germanique; Woërden, ville forte de la Hollande, sur le Rhin; Heusden, autre ville de Hollande; Doësbourg, prise par Monsieur le 22 de juin 1672; Zutphen, capitale du comté de ce nom, prise par Monsieur le 26 de juin; Wageninghem, Harderwic, villes du duché de Gueldre, qui se rendirent les 22 et 23 de juin; Knotzembourg, fort sur le Wahal, assiégé le 15, pris le 17 de juin par Turenne; le Wahal et le Lech sont deux branches du Rhin qui se mêlent à la Meuse. (M. Chéron.) 2. Boileau pâlit au seul nom de Voërden; Que dirait-il si, non loin d'Helderen, Il eût fallu suivre entre les deux Nethes Bathiani, si savant en retraites ; Avec d'Estrées à Rosmal s'avancer? La gloire parle, et Louis me réveille; Le nom du roi charme toujours l'oreille; Mais que Lawfelt est rude à prononcer! (VOLTAIRE, Epitre à la duchesse du Maine.) 3. « La difficulté vaincue, dit Le Brun, rend ces deux vers doublement plaisants. Mon Apollon s'étonne; et Nimègue est à toi1 Aujourd'hui toutefois mon zèle m'encourage: Venez donc, et surtout gardez bien d'ennuyer: 6 Au pied du mont Adule, entre mille roseaux, 3 1. Nimègue, capitale du duché de Gueldre, fut prise par Turenne le 7 de juillet de la même année. 2. Orsoi, place forte du duché de Clèves, fut prise en deux jours au commencement de juin 1672. 3. Le fait eut lieu le 12 juin 1672. 4. Presque toutes les éditions donnent que nous l'essayons; c'est une faute d'orthographe ou de grammaire qui n'a point encore été remarquée; les verbes en ayer font yions à la première personne du subjonctif; il faut donc écrire l'essayions. Nous n'osons pas changer le texte de Boileau. Cependant dans l'édition de Brossette nous trouvons l'essayions. La rime de crayons nous fait croire qu'il y a là une inadvertance de la part du poëte, à moins que la grammaire n'exigeât pas alors cette orthographe. 5. Édition de 1671 à 1685: Le malheur sera grand, si nous nous y noyons. Edition de 1694 à 1697: Il fait beau s'y noyer, si nous nous y noyons. 6. Montagne où le Rhin prend sa source. (BOILEAU, 1713.) — C'est le mont Saint-Gothard dans le canton des Grisons (Suisse). Adule, Adula, c'est le nom ancien, il convient à la diction du poète. 1 Lorsqu'un cri, tout à coup suivi de mille cris, Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours,' 5 Visus; eum tenuis glauco velabat amictu Carbasus, et crines umbrosa tegebat arundo. (VIRGILE, Énéide, VII, v. 31-34.) 1. Voltaire a trouvé ce passage digne d'être imité dans sa Henriade : Soudain de mille cris le bruit épouvantable Vient arracher ses sens à ce calme agréable: Courir des assassins à pas précipités. 2. Affreux, qui jette la terreur. Étymologie: affre, grande terreur, grand effroi. le mot affreux. Pradon reprochait à Boileau de répéter en bien des endroits Autre observation de Pradon, sur ces mots : Conduit par la victoire, il dit : « Il seroit bien plus glorieux pour le roi d'entraîner la victoire que de se laisser conduire par elle. Ce sont des délicatesses que Boileau n'a point vues. » Que Pradon a le goût bien plus délicat! 3. Molière n'approuva pas ce vers, parce qu'il signifie que la présence du roi a déshonoré le fleuve du Rhin. L'auteur lui représenta que ce sont les naïades de ce fleuve qui parlent du héros de la France comme d'un ennemi qui veut soumettre à son joug leur empire; qu'ainsi il est naturel qu'elles disent que Louis a flétri l'ancienne gloire du Rhin. Mais Molière ne se rendit pas. (Brossette.) 4. Les 4 et 6 de juin 1672. 5. Lieu sur la rive du Rhin (près du fort de Skink) où étoit un bureau (Tol' huis) de péage. (BROSSETTE.) |