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15 Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l'auteur altier de quelque chansonnette
Au mème instant prend droit de se croire poëte :
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet;
200 I met tous les matins six impromptus au net.
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,
Il ne se fait graver au-devant du recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.'

1. Fameux graveur. (BOILEAU, 1713.) - Robert Nanteuil, né à Reims en 1630, mort à Paris le 18 de décembre 1678. Nanteuil a gravé en 1658 un portrait du père de Boileau. Cf. Robert-Dumesnil, tome IV, n. 43 de l'œuvre de Nanteuil. (M. CHÉRON.) — Boileau voulait terminer ce chant par les deux vers qui suivent, et qu'il supprima, selon Brossette, pour ne pas déplaire à MM. de l'Académie française:

Et dans l'Académie, orné d'un nouveau lustre,

Il fournira bientôt un quarantième illustre.

On regrettera toujours de ne trouver parmi ces définitions si justes et si vraies des petits genres de poésie aucune mention de la fable. C'est un oubli qu'il est aussi difficile d'expliquer que d'excuser.

CHANT III.

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux , par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux :1 D'un pinceau délicat l'artifice agréable

Qui,

Du plus affreux objet fait un objet aimable."

1. « C'est dans le chapitre quatrième de sa Poétique (d'Aristote) que Boileau a puisé ces beaux vers. Voici ce que dit Aristote : « L'imitation et l'har<< monie ont produit la poésie... Nous voyons avec plaisir, dans ses tableaux, <«< des animaux affreux, des hommes morts ou mourants, que nous regarde«<rions avec chagrin et avec frayeur dans la nature. Plus ils sont bien imités, plus ils vous causent de satisfaction. » (VOLTAIRE, Dict. philosophique.) · Aristote dit encore dans sa Rhétorique, liv. I, chap. IX, « que tout ce qui sera imité parfaitement sera très-agréable, comme sont les ouvrages de peinture, de sculpture, de poésie, en un mot, tout ce qui consiste en imitation, quand bien même ce qui auroit été imité seroit très-désagréable en soi: car enfin, le plaisir qu'on a de voir une belle imitation ne vient point précisément de ce qui a été imité, mais bien de notre esprit, qui fait alors en luimême cette réflexion et ce raisonnement qu'en effet il n'est rien de plus ressemblant, et qu'on diroit que c'est la chose même et non pas une simple représentation. » Boileau ajoutait qu'il ne faut pas que l'imitation soit entière, parce qu'une ressemblance trop parfaite inspirerait autant d'horreur que l'original même. Voilà pourquoi il introduit avec tant de goût dans ces vers les mots suivants : D'un pinceau délicat l'artifice agréable. « L'illusion, dit en effet M. Cousin, est si peu le but de l'art, qu'elle peut être complète et n'avoir aucun charme... Il y a plus, lorsque l'illusion va trop loin, le sentiment de l'art disparaît pour faire place à un sentiment purement naturel, quelquefois insupportable. Si je croyais qu'Iphigénie est en effet sur le point d'être immolée par son père à vingt pas de moi, je sortirais de la salle en frémissant d'horreur. » (Du vrai, du beau et du bien, p. 183.)

2. Vauquelin de la Fresnaye avait dit avant Boileau :

C'est un art d'imiter, un art de contrefaire,
Que toute poésie, ainsi que de pourtraire,

Et l'imitation est naturelle en nous :

Un autre contrefaire il est facile à tous :

Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D'OEdipe tout sanglant fit parler les douleurs,1
D'Oreste parricide exprima les alarmes,2

Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes. 3

Et nous plaît en peinture une chose hideuse,

Qui seroit à la voir en essence fâcheuse.

Comme il fait plus beau voir un singe bien pourtrait,

Un dragon écaillé proprement contrefait

Un visage hideux de quelque laid Thersite,
Que le vray naturel qu'un sçavant peintre imite :
Il est aussi plus beau voir d'un pinceau parlant
Dépeinte dans les vers la fureur de Roland,
Et l'amour forcené de la pauvre Climène,
Que de voir tout au vray la rage qui les mène.

1. Sophocle. (Boileau, 1713.) Boileau fait allusion à la scène si touchante où, dans Sophocle, OEdipe, qui vient de se crever les yeux, paraît sur le théâtre : « ..... Mes fils, Créon, n'en prends aucun souci : ce sont des hommes... quelque part qu'ils vivent, ils ne sauraient manquer. Mais, hélas! mes malheureuses filles, qui jamais n'eurent d'autre table que celle de leur père, qui partageaient avec lui tout ce qu'il touchait, ah! je te les confie. Je voudrais les presser sur mon cœur et gémir avec elles. Permets, prince noble, généreux prince. Si mes mains les touchaient, je croirais les voir encore. Tu consens. Mais, ô dieux! ne les entends-je pas qui pleurent à mes côtés? Créon a eu pitié de moi. Il a fait venir près de moi ces enfants qui me sont si chères. » (Vers 1425-1451.)

2. Euripide (Oreste, v. 211). Le malheureux Oreste se réveille, sort d'un pénible accablement et s'écrie: «Toi qui charmes les sens, qui apaises les sou rances, doux Sommeil, que tu m'es venu à propos dans ma détresse! Oubli des maux! dieu bienfaisant! que ton secours a de puissance, qu'il semble désirable aux infortunés! Mais, où étais-je donc, et comment me trouvé-je en ce lieu? Je ne sais plus ce que j'ai fait dans mon égarement. » Bientôt il retombe dans ses alarmes : « Je t'en conjure, ò ma mère, ne lance point contre moi ces femmes aux yeux sanglants, à la tête hérissée de vipères. Les voilà! les voilà qui bondissent à mes côtés... O Phébus! ils me tueront, ces chiens dévorants, ces êtres hideux et farouches, ces prêtresses des morts, ces terribles déesses! » (M. PATIN, Tragiques grecs; Euripide, t. I, 247.) — Longin a cité et commenté quelques vers de cette scène, et Boileau les a traduits :

Mère cruelle, arrête, éloigne de mes yeux
Ces filles de l'enfer, ces spectres odieux.
Ils viennent; je les vois; mon supplice s'apprête.
Quels horribles serpents leur sifflent sur la tête!

3. Divertir (divertere), c'est tourner l'esprit de quelqu'un vers un autre

Vous donc qui, d'un beau feu pour le théâtre épris, o Venez en vers pompeux y disputer le prix, Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,

1

Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés, Soient au bout de vingt ans encor redemandés ? 1 15 Que dans tous vos discours la passion émue

2

Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue. *
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne nous remplit d'une douce « terreur, »
Ou n'excite en notre âme une «< pitié » charmante, 3
20 En vain vous étalez une scène savante :

Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir
Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s'endort, ou vous critique.'

côté; c'est, en effet, ce qu'on demande aux jeux du théâtre, on veut qu'ils nous fassent oublier nos occupations de tous les jours.

1.

Fabula quæ posci vult et spectata reponi.

(HORACE, Art poétique, v. 190).

2. Horace parle ainsi de cette puissance d'émouvoir les âmes qui est la force du poëte dramatique :

Ille per extentum funem mihi posse videtur
Ire poeta, meum qui pectus inaniter angit,

Irritat, mulcet, falsis terroribus implet,

Ut magus, et modo me Thebis, modo ponit Athenis.

(Livre II, ép. I, v. 210.)

3. « Ces trois épithètes, dit La Harpe, ne sont pas accumulées sans dessein; elles indiquent assez clairement que la terreur et la pitié doivent avoir leur douceur et leur charme, et que quand nous nous rassemblons au théâtre, les impressions mêmes qui nous font le plus de mal doivent pourtant nous faire plaisir, parce que, sans cela, il n'y aurait aucune différence entre la réalité et l'illusion. » (Cours de littérature, 1821, t. IX, p. 341.)

4. « Au reste, il n'étoit point content de la tragédie d'Othon, qui se passoit toute en raisonnements, et où il n'y avoit point d'action tragique. Corneille avoit affecté d'y faire parler trois ministres d'État, dans le temps

25 Le secret est d'abord de plaire et de toucher: 1
Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.2

Que dès les premiers vers l'action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l'entrée.3

Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,"
3 De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.
J'aimerois mieux encor qu'il déclinât son nom,

5

où Louis XIV n'en avoit pas moins que Galba, c'est-à-dire MM. Le Tellier, Colbert et de Lionne. M. Despréaux ne se cachoit point d'avoir attaqué directement Othon dans les quatre vers de son Art poétique :

Vos froids raisonnements, etc. »

(Bolæana, p. 132.)

1.

Non satis est pulchra esse poemata; dulcia sunto

Et quocunque volent animum auditoris agunto.

2. « Que ceux qui travaillent pour la scène tragique aient toujours ce précepte gravé dans leur mémoire. » (VOLTAIRE, Commentaire sur Pompée, acte IV, scène Iv, v. 1er.)

3. On appelle exposition ces premières scènes d'un poëme dramatique, où le sujet s'offre aux spectateurs. Il est difficile de n'y rien omettre, de ne dire que ce qu'il faut, de faire avancer le drame, et d'animer l'intérêt dès le début. Nous avons dans les œuvres de Racine plusieurs de ces expositions parfaites. Les connaisseurs citent surtout celle de Bajazet. Douze éditions originales, de 1674 à 1713, portent aplanisse; d'autres donnent par erreur m'aplanisse.

4. C'est le texte de 1674 à 1713. - Brossette, in-4° et in-12, a mis d'un auteur, et cette leçon a été adoptée dans plus de quarante éditions. (BERRIAT-SAINT-PRix.)

-

5. Il y a de pareils exemples dans Euripide. (BOILEAU, 1713.) — Voici le début d'Hippolyte, c'est Vénus qui parle :

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Les Pheniciennes commencent par une véritable généalogie de Jocaste et c'est Jocaste qui la fait elle-même :

Ἐγὼ δὲ παῖς μὲν κλήζομαι Μενοικέως,
Κρέων τ ̓ ἀδελφὸς γαστρὸς ἐκ μιᾶς ἔφυ.
Καλοῦσι ὁ Ἰοκάστην με (τοῦτο γὰρ πατὴρ
Ἔθετο).

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