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CHANT II.

Cependant cet oiseau qui prône les merveilles, 1
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas;
5 La Renommée enfin, cette prompte courrière,

1

1. Eneide, liv. IV, v. 173. (BOILEAU, 1713.)- Voici quelques-uns de ces

vers:

Extemplo Libyæ magnas it fama per urbes

Fama, malum quo non aliud velocius ullum,...

Monstrum horrendum, ingens, cui quot sunt corpore pluma,

Tot vigiles oculi subter (mirabile dictu).

Tot linguæ, totidem ora sonant, tot subrigit aures;...

Hæc tum multiplici populos sermone replebat

Gaudens, et pariter facta atque infecta canebat.

Ovide, dans les Métamorphoses, liv. XII, Stace, dans la Théb., liv. III, Valerius Flaccus, dans les Argonaut., liv. II, Jean-Baptiste Rousseau, dans POde au prince Eugène, str. 1 et 2, Voltaire, dans la Henriade, liv. VIII, v. 477 à 484, ont fait un portrait de la Renommée. Voici les vers de Voltaire :

Du vrai comme du faux la prompte messagère,
Qui s'accroît dans sa course, et d'une aile légère,
Plus prompte que le temps, vole au delà des mers,
Passe d'un pôle à l'autre et remplit l'univers;
Ce monstre composé d'yeux, de bouches, d'oreilles,
Qui célèbre des rois la honte ou les merveilles,
Qui rassemble sous lui la curiosité,
L'espoir, l'effroi, le doute et la crédulité;
De sa brillante voix, trompette de la gloire,

Du héros de la France annonçait la victoire.

On remarquera que Voltaire, en empruntant un vers à Boileau, l'a enrichi d'un mot et d'une idée. - Desmarets disait : « On n'a jamais appelé la Renommée un oiseau. Cela n'est point de la fiction poétique. D

Va d'un mortel effroi glacer la perruquière;1
Lui dit que son époux, d'un faux zèle conduit,
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit."

3

A ce triste récit, tremblante, désolée, " o Elle accourt, l'œil en feu, la tête échevelée, Et trop sûre d'un mal qu'on pense lui celer :

Oses-tu bien encor, traître, dissimuler? 4 Dit-elle et ni la foi que ta main m'a donnée, Ni nos embrassements qu'a suivi l'hyménée,

5

15 Ni ton épouse enfin toute prête à périr,

Ne sauroient donc t'ôter cette ardeur de courir!

1. Dans les éditions de 1674 à 1698, il y avait :

D'une course légère,

Va porter la terreur au sein de l'horlogère.

2. Dans les éditions de 1674 à 1682, après ce vers, il y avait ceux-ci :

Que, sous ce piége adroit, cet amant infidèle
Trame le noir complot d'une flamme nouvelle,
Las des baisers permis qu'en ses bras il reçoit,

El porte en d'autres lieux le tribut qu'il lui doit.

Boileau trouvait trop long l'épisode de la perruquière tel qu'il l'avait d'abord composé, et il en retrancha quelques vers. Il disait, en effet, dans la IVe préface, en annonçant les deux derniers chants du Lutrin : « Je me persuade qu'ils consoleront aisément les lecteurs de quelques vers que j'ai retranchés à l'épisode de l'horlogère qui m'avoit toujours paru un peu trop long. » Il ajoute dans une note inédite qui est parmi les papiers de Brossette: « Et il y avoit quelque chose tendant à saleté. »

3. De 1674 à 1682:

A ce triste récit, tremblante et désolée.

4. Énéide, liv. IV, v. 305-308. (BOILEAU, 1713.) - Voici ces vers; c'est Didon qui parle :

Dissimulare etiam sperasti, perfide tantum

Posse nefas? tacitusque mea decedere terra?
Nec te noster amor, nec te data dextera quondam,

Nec moritura tenet crudeli funere Dido!

5. Dans toutes les éditions avouées par Despréaux, de 1674 à 1713, il y

a qu'a suivi, nous avons cru devoir respecter ce texte. Il faudrait aujourd'hui qu'a suivis.

Perfide! si du moins, à ton devoir fidèle,

1

Tu veillois pour orner quelque tête nouvelle, 1
L'espoir d'un juste gain, consolant ma langueur,
20 Pourroit de ton absence adoucir la longueur. 2
Mais quel zèle indiscret, quelle aveugle entreprise
Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une église?
Où vas-tu, cher époux? est-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de si douces nuits?

25 Quoi! d'un œil sans pitié vois-tu couler mes larmes?
Au nom de nos baisers jadis si pleins de charmes,
Si mon cœur, de tout temps facile à tes désirs,
N'a jamais d'un moment différé tes plaisirs;
Si, pour te prodiguer mes plus tendres caresses,
30 Je n'ai point exigé ni serments, ni promesses;
Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part,
Diffère au moins d'un jour ce funeste départ."

1. De 1674 à 1698 :

Tu veillois pour régler quelque horloge nouvelle.

Didon se consolerait du départ d'Énée s'il la quittait pour relever les murs de Troie :

Quid? Si non arva aliena domosque
Ignotas peteres, et Troja antiqua maneret.

(Eneide, liv. IV, v. 310.)

2. Dans les fragments de 1673, on lisait :

Oh! si ta main du moins, sous un rasoir fidèle,
Alloit faire tomber quelque barbe nouvelle,
L'espoir du gain pourroit soulager mes ennuis.

3. « Je voudrois bien savoir, dit Pradon, quel nom avoient les baisers de l'horlogère et de l'horloger; cela seroit assez curieux à apprendre. Desmarets en pensait autant.- Quels redoutables censeurs!

4. Mene fugis? per ego has lacrymas dextramque tuam, te
(Quando aliud mihi jam miseræ nihil ipsa reliqui),
Per connubia nostra, per inceptos hymenæos,
Si bene quid de te merui, fuit aut tibi quidquam
Dulce meum, miserere domus labentis, et istam,

En achevant ces mots, cette amante enflammée
Sur un placet1 voisin tombe demi-pâmée.*
35 Son époux s'en émeut, et son cœur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu ;
Mais enfin rappelant son audace première :

Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fière,

Je ne veux point nier les solides bienfaits

40 Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits;3

Oro, si quis adhuc precibus locus, exue mentem.

(VIRGILE, Eneide, liv. IV, v. 314-319.)

Amar fait observer que dans le premier chant Boileau semble avoir voulu surtout se régler sur Homère, et que dans celui-ci c'est avec Virgile qu'il rivalise surtout. Voilà bien ce nouveau genre de burlesque qu'il annonçait à ses lecteurs.

1. Place!, petit siége qui n'a ni bras ni dossier. « Prends ce banc, ce placet ou cette chaise à bras.» (NOUGUIER, Odyssée à la mode, p. 59.) « Un lit et deux placets composoient tout son bien.» (BOILEAU, sat. I.) — « Douze placets de bois de noyer, dont six grands et six moyens. » (Inventaire de Gabrielle d'Estrées.) - D'après Ménage, c'est, avec un changement de genre, un diminutif de place. xvIe siècle : « Aucunes maisonnettes, petites ou grandes boutiques, ny aussi aucune eschelle, banc ou placette. (Nour. Coust. gen., t. I, p. 1007.) — (E. LITTRÉ, Dict. de la langue française.) Racine à son fils : « J'ai fait mettre un petit placet dans le car rosse, afin que Henri revienne avec vous. » (Lettre XII.)

2. Marmontel et Andrieux ne trouvent pas irréprochable cet épisode de la perruquière. Andrieux proposait le plan que l'auteur du Lutrin aurait dù suivre. D'abord le secret aurait été imposé aux champions du trésorier; la discrétion du perruquier aurait éveillé la jalousie de la perruquière. Le soir même de l'entreprise, elle se montrerait plus parée, plus aimable que de coutume, et cependant c'est dans un tel moment qu'il faut s'arracher de ses bras. Le perruquier oublierait à table l'heure du rendezvous, quand ses deux compagnons, Boirude et Brontin, viendraient frapper à sa porte pour le rappeler à son devoir, comme les chevaliers viennent pour arracher Renaud au pouvoir d'Armide. C'est alors que la perruquière ferait ses efforts pour retenir son mari, qui, lié par ses serments, ne pourrait plus ici, comine dans le plan de Boileau, calmer d'un seul mot les inquiétudes de son épouse, et qui, partagé entre l'amour conjugal et le devoir, ferait enfin triompher le devoir.

3.

Ego te, quæ plurima fando
Enumerare vales, nunquam, regina, negabo

3

Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire. 1
Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi
L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
45 Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée, *
Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée,
Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,
Nous goûterions encor des plaisirs défendus.
Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :
50 Ne m'ôte pas l'honneur d'élever un pupitre,'
Et toi-même, donnant un frein à tes désirs,
Raffermis ma vertu qu'ébranlent tes soupirs. 5
Que te dirai-je enfin? c'est le ciel qui m'appelle.
Une église, un prélat m'engage en sa querelle.

Promeritam; nec me meminisse pigebit Elisæ,

Dum memor ipse mei, dum spiritus hos regit artus...
(VIRGILE, Eneide, liv. IV, v. 333-336.)

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