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« la dégradation dont tu laisses apercevoir tant de signes effrayants; et l'éclat dont une foule de grands « hommes t'ont couvert impose encore silence à l'Eu. « rope, qui t'observe. La nature, qui balance tout avec « sagesse, en te donnant un caractère impétueux et « terrible, pour en prévenir les dangers t'a fait trois « présents inestimables, ton Roi, ton culte et tes pré« jugés. Eh bien ! ces hommes que tu appelles tes Représentants, te priveront de tout cela. Ils seront « plus forts que toi, plus forts que la nature: en peu « de mois, ils feront de toi un autre peuple; ils cor« rompront la corruption même, et l'histoire sera crue « à peine lorsqu'elle parlera de toi. Semblables à ces << reptiles impurs dont toute la force est dans le venin, « ils ne posséderont que l'art de faire le mal; on les verra déployer, dans ce genre, des talents infernaux ; << ils sauront s'emparer de ta fougue naturelle, et la « tourner toute entière vers le crime. Au moment « même où ils ont l'insolence de t'appeler le premier « Peuple de l'univers, ils vont t'abaisser au niveau des <brutes; ils te rendront athée et anthropophage. Au"jourd'hui la coupe de Thyeste te fait frémir sur la « scène : tu la repousses comme une licence de l'art << qui ne peut s'accorder avec la délicatesse de tes « mœurs. Encore quelque temps, et l'on te verra réali«ser des horreurs dont l'image fantastique passe main<< tenant les forces de ta sensibilité. Tu te baigneras « dans le sang; tu le boiras, tu t'amuseras avec des « meurtres, et les victimes manqueront aux bourreaux << avant que les bourreaux manquent aux victimes.

« La majesté des Rois arrêterait les projets de ces « grands conjurés: pour la détruire, ils t'apprendront << à la mépriser, à l'insulter, en te disant qu'elle est ton << ouvrage. Dogme fatal et absurde! l'homme ne peut << rien créer; il n'a reçu, pour son malheur, que le << pouvoir de détruire; en peu d'heures il peut abattre «<le chêne antique; mais, s'il est une fois privé de son « ombrage, il faut à la nature un siècle entier pour le <«<lui rendre. Quand le charme divin sera rompu, quand << le pouvoir mystérieux du Gouvernement n'agira plus << sur l'imagination, toutes les forces physiques se << heurteront à la fois, et tu présenteras tout à coup à « l'univers effrayé le spectacle des vices gangreneux <<< d'un vieux peuple, réunis à la féroce énergie des << sauvages. Les mœurs ne pourront te défendre; car, << de peur que la vertu n'ose te parler, la pudeur même <<< sera solennellement exilée de tes murs. Au sein de ta «< capitale, on verra ce que les hommes n'ont jamais « vu, la prostitution monter sur le théâtre, appeler, «publiquement, à ce spectacle étrange, des spectateurs << dont elle sera sûre, et tes magistrats, tyrans du Roi << et valets du peuple, n'oser fermer ce théâtre qu'après <huit jours. Encore, si dans le naufrage épouvantable <<< de tes lois et de tes mœurs, il te restait au moins un << fanal pour te ramener! Un culte est plus nécessaire « pour toi que pour tous les autres peuples du monde; « mais, celui de tes pères ayant pour ennemis mortels << les hommes qui vont devenir tes maîtres et tes oracles, ils t'apprendront à le fouler aux pieds avec une « étonnante brutalité, et tu seras encore un peuple uni

« que dans ce genre d'excès. Chez les autres nations, « l'impiété a toujours été isolée, et presque toujours << timide; chez toi, elle sera un complot universel, une « grande conjuration populaire. Tu t'élanceras en << masse contre l'ensemble des vérités religieuses; ct, « pour assouvir cette nouvelle fureur, nul crime ne << t'arrêtera. Tes Législateurs te diront que tu as le « droit de voler le patrimoine de tes Prêtres, et tu le « voleras; et, tandis que tu les dépouilleras d'une propriété consacrée par les titres les plus solennels << et par le consentement des siècles, tu leur refuseras « la subsistance physique, en leur proposant de l'a che«ter par le crime et l'infamie. Mais bientôt,la faim, << devenant pour ta cruelle impationce un instrament < trop lent, tu préféreras le poignard: d'une main <ferme, tu saisiras les dépouilles de l'autel, et de l'au<< tre tu l'inonderas du sang de ses Ministres, qui tom«beront en foule sous le fer des assassins, avec le « courage et le sang-froid des premiers héros du chris<< tianisme. >> Vous frémissez! Eh bien! voilà les fruits de la liberté et de l'égalité! voilà les droits de l'homme et les dons de la France. Lorsqu'elle vola la Savoie, il y a quelques mois, elle vous dit qu'ello respecterait vos propriétés et vos consciences; et maintenant, à la place de ce bonheur, qu'elle osait vous promettre, qu'avez-vous vu, qu'avez-vous éprouvé sous sa domination? La misère et le désespoir. Elle vous a foulés impitoyablement ; elle a détruit votre culte, dépouillé vos temples, précipité vos richesses dans le gouffre insatiable creusé par les tyrans de ce peuple

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108 PREMIÈRE LETTRE D'UN ROYALISTE SAVOISIEN.

libre. A la place des métaux précieux qu'elle vous arrachait, elle vous envoyait son papier flétri, signe et instrument de vol; et, pour joindre la dérision au brigandage, ses envoyés attachaient à vos murs une proclamation où ils vous assuraient que ce papier valait de l'or. Enfin, elle vous a communiqué une partie des maux qui la dévorent, et vous ne voyez devant vous que l'affreuse perspective de les éprouver tous, a la main de la Providence ne se hâte de vous sauver.

Mais tout nous dit que l'instant de la délivrance approche: et, quoiqu'une longue et fatale expérience nous ait appris à trembler sur l'avenir, croyez qu'en réprimant même les élans de l'espérance, autant que l'exige tout ce qu'une imagination éclairée peut supposer de plus inquiétant, le retour plus ou moins éloigné à la puissance légitime peut toujours être envisagé par nous comme un de ces événements dont les probabilités se multiplient au point de s'approcher de la certitude,

5 Mai 1793.

D'UN

ROYALISTE SAVOISIEN

A SES COMPATRIOTES

RETOUR A L'ORDRE ET A LA PUISSANCE

LÉGITIME.

Tout père frappe à côté..
LA FONTAINE.

Faites les suppositions que vous voudrez; imaginez les intrigues les plus étranges, les brouilleries les plus inattendues, les rapprochements les plus monstrueux, l'oubli le plus fatal des intérêts de la souveraineté et de ceux des peuples: enfin, donnez-vous carrière, et ne ménagez pas votre siècle.

Ou bien, dans ces moments où l'humeur ne vous dominera pas, imaginez ce qui doit arriver suivant les règles ordinaires de la probabilité; abandonnez les choses à leur propre poids; ne rêvez rien de triste ni d'odieux, et croyez encore à la raison et à l'honneur.

Vos spéculations finiront toujours par une conquête, ou par un traité, qui rendront la Savoie à son légitime souverain.

Assurément, l'Europe s'est montrée bien douce, bien complaisante, bien chrétienne, quoi qu'on en dise;

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