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res fenfations, & profitant à peine des dons que lui offroit la Nature, loin de fonger à lui rien arracher; mais il fe préfenta bientôt des difficultés, il fallut apprendre à les vaincre : la hauteur des arbres qui l'empêchoit d'atteindre à leurs fruits, la concurrence des animaux qui cherchoient à s'en nourrir, la ferocité de ceux qui en vouloient à fa propre vie, tout l'obligea de s'appliquer aux exercices du corps; il fallut fe rendre agile, vîte à la courfe, vigoureux au combat. Les armes naturelles qui font les branches d'arbres; & les pierres, fe trouverent bientôt fous fa main. Il apprit à furmonter les obstacles de la Nature, à combattre au befoin les autres animaux, à difputer fa fubfiftance aux hommes mêmes, ou à fe dédommager de ce qu'il falloit céder au plus fort.

A mesure que le Genre-humain s'étendit, les peines fe multiplierent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, dès faifons put les forcer à en mettre dans leurs manieres de vivre. Des années ftériles, des hyvers longs & rudes, des étés brûlans qui confument tout, exigerent d'eux une nouvelle induftrie. Le long de la mer & des rivieres ils inventerent la ligne & le hameçon, & devinrent pêcheurs & Ichtyopha ges. Dans les forêts ils fe firent des arcs & des fléches, & devinrent Chaffeurs & Guerriers. Dans les pays froids ils fe couvrirent des peaux des bêtes qu'ils avoient tuées. Le tonnerre, un voi

can, ou quelque heureux hazard leur fit connoître le fen, nouvelle reffource contre la rigueur de Phyver ils apprirent à conferver cet élément, puis à le reproduire, & enfin à en préparer les viandes qu'auparavant ils dévoroient crues.

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Cette application réitérée des êtres divers à lui-même & des uns aux autres, dut naturellement engendrer dans l'efprit de l'homme les perceptions de certains rapports. Ces relations que nous exprimons par les mots de grand, de petit, de fort, de foible, de vîte, de lent, de peureux, de hardi, & d'autres idées pareilles, comparées au befoin & prefque fans y fonger, produifirent enfin chez lui quelque forte de réflexion, ou plutôt une prudence machinale qui lui indiquoit les précautions les plus néceffaires à fa fûreté.

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Les nouvelles lumieres qui réfulterent de ce développement, augmenterent fa fupériorité fur les autres animaux, en la lui faifant connoître. Il s'exerça à leur dreffer des piéges, il leur donna le change en mille manieres, & quoique plufieurs le furpaffaffent en force au combat, ou en viteffe à la courfe; de ceux qui pouvoient lui fervir ou lui nuire, il devint avec le tems le maître des uns & le fléau des autres. C'est ainsi que le premier regard qu'il porta fur lui-même, y produifit le premier mouvement d'orgueil; c'eft ainfi que fçachant encore à peine diftinguer les rangs, & fe contemplant au premier par fom

efpece, il se préparoit de loin à y prétendre par fon individu.

ces,

Quoique fes femblables ne füffent pas pour fui ce qu'ils font pour nous, & qu'il n'eût gueres plus de commerce avec eux qu'avec les autres animaux, ils ne furent pas oubliés dans fes obfervations. Les conformités que le temps put lui faire appercevoir entre eux, fa femelle & luimême, le firent juger de celles qu'il n'appercevoit pas, & voyant qu'ils fe conduifoient tous, comme il auroit fait en de pareilles circonftanil conclut que leur maniere de penfer & de fentir étoit entiérement conforme à la fienne, & cette importante vérité bien établie dans fon efprit, lui fit fuivre, par un pressentiment auffi fûr & plus prompt que la Dialectique, les meikleures regles de conduite que, pour fon avanta& fa fûreté, il lui convînt de garder avec eux. Inftruit par l'expérience que l'amour du bienêtre eft le feul mobile des actions humaines, il fe trouva en état de diftinguer les occafions rares où l'intérêt commun devoit le faire compter fur l'affiftance de fes fenblables, & celles plus rares encore où la concurrence devoit le faire défier d'eux. Dans le premier cas il s'uniffoit avec eux en troupeau, ou tout au plus par quelque forte d'affociation libre qui n'obligeoit perfonne, & qui ne duroit qu'autant que le befoin paffager qui l'avoit formée. Dans le fecond chacun cherchoit à prendre fes avantages, foit à force ouverte a

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s'ils croyoit le pouvoir; foit par adreffe & fubti lité, s'il fe fentoit le plus foible.

Voilà comment les hommes purent infenfible¬ ment acquérir quelque idée groffiere des engage mens mutuels, & de l'avantage de les remplir mais feulement autant que pouvoit l'exiger l'intérêt préfent & fenfible: car la prévoyance n'étoit rien pour eux, & loin de s'occuper d'un avenir éloigné, ils ne fongeoient pas même au lendemain. S'agiffoit-il de prendre un cerf, chacun fentoit bien qu'il devoit pour cela garder fidellement fon pofte; mais fi un lievre venoit à paffer à la portée de l'un d'eux, il ne faut pas douter qu'il ne le pourfuivît fans fcrupule, & qu'ayant atteint fa proie il ne fe fouciât fort peu de faire. manquer la leur à fes compagnons.

Il eft aifé de comprendre qu'un pareil com merce n'exigeoit pas un langage beaucoup plus rafiné que celui des corneilles ou des finges, qui s'attroupent à-peu-près de même. Des cris inarticulés, beaucoup de gefters, & quelques bruits imitatifs, durent compofer pendant longtems la Langue univerfelle, à quoi joignant dans chaque contrée quelques fons articulés, & conventionels dont, comme je l'ai déja dit, il n'est pas trop. facile d'expliquer Pinftitution, on eut des langues particulieres, mais groffieres, imparfaites, & telles à-peu-près qu'en ont encore aujourd'hui diverfes Nations fauvages. Je parcours comme un traît des multitudes de fiectes, forcé par le tems

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qui s'écoule, par l'abondance des chofes que j'ai à dire, & par le progrès prefque infenfible des commencemens; car plus les événemens étoient lents à fe fuccéder, plus ils font prompts à dé crire.

Ces premiers progrès mirent enfin l'homme à portée d'en faire de plus rapides. Plus l'efprit s'éclairoit & plus l'industrie se perfectionna. Bientôt ceffant de s'endormir fous le premier arbre, ou de fe retirer dans des cavernes, on trouva quelques fortes de haches de pierres dures, & tranchantes, qui fervirent à couper du bois , creufer la terre, & faire des huttes de branchages, qu'on s'avifa enfuite d'enduire d'argile & de boue. Ce fut-là l'époque d'une premiere révolu➡ tion qui forma l'établiffement & la diftinction des familles, & qui introduifit une forte de proprié té; d'où peut-être naquirent déja biën des querelles & des combats. Cependant comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à fe faire des logemens qu'ils fe fentoient capables de défendre, il eft à croire que les foibles trouverent plus court & plus für de les imiter que de tenter de les déloger : & quant à ceux qui avoient déja des cabanes, chacun dut peu chercher à s'approprier celle de fon voifin, moins parce qu'elle ne lui appartenoit pas que parce qu'elle lui étoit inutile & qu'il ne pouvoit s'en emparer, fans s'expofer à un combat très-vif avec la famille qui l'occupoit.

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