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naturelle eût déja fouffert quelque altération, ce période du développement des facultés humaines, tenant un jufte milieu entre l'indolence de l'état primitif & la pétulante activité de notre amour propre, dut être l'époque la plus heureuse, & la plus durable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état étoit le moins fujet aux révolutions, le meilleur à l'homme, (voyez Note 16. *) & qu'il n'en a dû fortir que par quelque funefte hazard qui pour l'utilité commune eût dû ne jamais arriver. L'exemple des Sauvages qu'on a prefque tous trouvés à ce point. femble confirmer que le Genre-humain étoit fait pour y refter toujours, que cet état eft la véritable jeuneffe du Monde, & que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l'individu, & en effet vers la décrépitude de l'efpece.

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Tant que les hommes fe contenterent de leurs cabanes ruftiques, tant qu'ils se bornerent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes & de coquillages, à fe peindre le corps de diverfes couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs & leurs fléches, à tailler avec des pierres tranchantes quelque canots de pêcheurs ou quelques groffiers inftrumens de Mufique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquerent qu'à des ouvrages qu'un feul pouvoit faire, & qu'à des arts qui n'avoient pas besoin du concours de plufieurs mains, ils vécurent libres

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fains, bons, & heureux autant qu'ils pouvoient l'être par leur nature; & continuerent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut befoin du fecours d'un autre ; dès qu'on s'apperçut qu'il étoit utile à un feul d'avoir des provifions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduifit, le travail devint néceffaire & les vaftes forêts fe changerent en des campagnes riantes qu'il fallut arrofer de la fueur des hommes, & dans lefquelles on vit bientôt l'esclavage & la mifere germer & croître avec les moiffons.

La métallurgie & l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produifit cette grande révofution, Pour le Poëte, c'eft l'or & l'argent; mais pour le Philofophe, ce font le fer & le bled qui ont civilifé les hommes, & perdu le Genre-humain. Aufli l'un & l'autre étoient-ils inconnus aux Sauvages de l'Amérique qui pour cela font toujours demeurés tels, les autres Peuples femblent même être reftés barbares tant qu'ils ont pratiqué l'un de ces arts fans l'autre. Et l'une des meilleures raifons peut-être pourquoi l'Europe a été, finon plutôt, du moins plus conftamment & mieux policée que les autres parties du monde, c'eft qu'elle eft à la fois la plus abon dante en fer & la plus fertile en bled.

Il est très-difficile de conjecturer comment les hommes font parvenus à connoître & employer le fer car il n'eft pas croyable qu'ils aient imaginé

d'eux-mêmes de tirer la matiere de la mine & de lui donner les préparations nécessaires pour la mettre en fufion avant que de fçavoir ce qui en réfulteroit. D'un autre côté on peut d'autant moins attribuer cette découverte à quelque incendie accidentel que les mines ne fe forment que dans des lieux arides, & dénués d'arbres & de plantes; de forte qu'on diroit que la Nature avoit pris des précautions pour nous dérober ce fatal fecret. Il ne reste donc que la circonstance extraordinaire de quelque Volcan qui, vomiffant des matieres métalliques en fusion, aura donné aux Obfervateurs l'idée d'imiter cette opération de la Nature; encore faut-il leur supposer bien du courage & de la prévoyance pour entreprendre un travail auffi pénible & envisager d'aussi loin les avantages qu'ils en pouvoient retirer ce qui ne convient gueres qu'à des efprits déja plus exer➡ cés que ceux-ci ne le devoient être.

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Quant à l'agriculture, le principe en fut connu longtems avant que la pratique en fût établie, & il n'eft gueres poffible que les hommes fans eeffe occupés à tirer leur fubsistance des arbres & des plantes n'euffent affez promptement l'idée des voies que la Nature emploie pour la génération des végétaux; mais leur induftrie ne se tourna probablement que fort tard de ce côté-là, foit parce que les arbres qui, avec la chaffe & la pêche fourniffoient à leur nourriture, n'avoient pas befoin de leurs foins, foit faute de connoître

l'ufage du bled, foit faute d'inftrument pour le cultiver, soit faute de prévoyance pour le befoin à venir, foit enfin faute de moyens pour empê→ cher les autres de s'approprier le fruit de leur travail. Devenus plus induftrieux, on peut croire qu'avec des pierres aigues, & des bâtons pointus ils commencerent par cultiver quelque légumes ou racines autour de leur cabanes, longtemps avant de favoir préparer le bled, & d'avoir les inftrumens néceffaires pour la culture en grand, fans compter que, pour se livrer à cette Occupation & enfemencer des terres, il faut fe réfoudre à perdre d'abord quelque chofe pour ga→ gner beaucoup dans la fuite; précaution fort éloignée du tour d'efprit de l'homme Sauvage qui, comme je l'ai dit, a bien de la peine à fonger le matin à fes befoins du foir.

L'invention des autres arts fut donc néceffaire pour forcer le Genre-humain de s'appliquer à celui de l'agriculture. Dès qu'il fallut des hommes pour fondre & forger le fer, il fallut d'autres hommes pour nourrir ceux-là. Flus le nombre des ouvriers vint à fe multiplier, moins il y eut de mains employées à fournir à la fubfiftance commune, fans qu'il y eût moins de bouches pour la confommer, & comme il fallut aux uns des denrées en échange de leur fer, les autres trouverent enfin le fecret d'employer le fer à la multiplication des denrées. De-là naquirent d'un côté le labourage & l'agriculture, & de l'autre

l'art

Part de travailler les métaux, & d'en multiplier les ufages.

De la culture des terres s'enfuivit néceffairement leur partage; & de la propriété une fois reconnue, les premieres reglos de juftice: car pour rendre à chacun le fien, il faut que chacun puiffe avoir quelque chofe; de plus les hommes commençant à porter leurs vues dans l'avenir, & fe voyant tous quelques biens à perdre, il n'y en avoit aucun qui n'eût à craindre pour soi la répréfaille des torts qu'il pouvoit faire à autrui. Cette origine eft d'autant plus naturelle qu'il est impoffible de concevoir l'idée de la propriété naiffante d'ailleurs que de la main d'œuvre : car on ne voit pas ce que, pour s'approprier les chofes qu'il n'a point faites, l'homme y peut met→ tre de plus que fon travail. C'est le feul travail qui donnant droit au cultivateur fur le produit de la terre qu'il a labourée, lui en donne par conféquent fur le fonds, au moins jufqu'à la récolte, & ainfi d'année en année, ce qui faifant une poffeffion continue, fe transforme aifément en propriété. Lorsque les Anciens, dit Grotius, ont donné à Cérès l'épithete de légiflatrice, & à une fête célébrée en fon honneur, le nom de Thefmophories, ils ont fait entendre par-là que le partage des terres a produit une nouvelle forte de droit; c'est-à-dire le droit de propriété différent de celui qui résulte de la loi maturelle.

Les chofes en cet état euffent pu demeurer
Tome II.

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