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elle ne peut fe fuffire à elle-même! On veut avoir des courtifans qu'on amufe, parce que fans eux on s'ennuiroit à être courtisan.

Quelle fecouffe à une ame foible, d'être tranfportée tout d'un coup de la plus grande obfcurité au plus grand jour ! Peu faite pour un mouvement fi difproportionné à fes forces, faut-il faut-il être furpris, fi elle fe trouble, fi elle fe perd de vue, fi elle ne fe connoît plus ? Attendons que fa propre infuffifance la replace dans fa fituation naturelle alors, peut être honteufe ellemême de fon élévation, elle n'en fera que plus raifonnable, & plus humaine.

A voir les hommes fi furpris de la chûte inopinée d'un grand, qui ne croiroit qu'ils vont profiter de fon exemple, & fe corriger des mêmes vices qui l'ont fait périr? La nouvelle eft publique: ils s'en amufent quelque-tems : mais fans nulle réflexion fur leur propre conduite, ils courrent la plupart au même précipice.

Défions-nous de notre fituation, dès qu'elle nous rend trop heureux. Il faut quelquefois des disgraces, on n'en devient que plus fage & plus habile tel ne connoiffoit pas la mer dans la bo. nace, qui après avoir effuyé quelque tempête, devient un bon pilote.

Ne perfuadera-t-on jamais aux Pomerions que dès là qu'ils font nés dans la roture, ils font exclus de certains poftes après lefquels ils courent toute leur vie; que des raifons d'état exigent que ces places ne foient remplies que par des perfonnes de la première qualité; que l'ufage en eft établi; & qu'en vain on fouhaiteroit fur cela quelque réforme en faveur des gens de mérite, quoique nés dans une condition obfcure?

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trouveroit dans l'inaction, vous ne laiffez pas encore au premier coup qu'ils frappent, de vous faifir d'un livre, pour marquer votre affiduité au travail, ou pour avoir en main un prétexte de les congédier. Tout ce qui approche tant foit peu de la diffipation vous allarme; les fêtes publiques, les fpectacles les moins dangereux, les promenades, les fociétés mêmes dans votre famille; quel changement ! Il n'eft pas jufqu'à votre manière de vous mettre qui ne foit étudiée, & il femble que vous ne fongiez qu'à vous rendre difforme. Deyenez pontife inceffamment, je vous y exhorte, je vous en conjure, ne fût-ce, mon cher Utime, que pour être autorifé à jouer le rôle qu'il vous plaira.

C'est être peu verfé dans la connoiffance des gens en place, de croire qu'ils nous obfervent affez dans nos démarches pour en être déterminés à nous faire plaifir le feul moyen de s'en faire des protecteurs utiles, c'eft de commencer par leur laiffer entrevoir qu'ils feront de nous ce qu'ils voudront.

Je ne dois rien attendre d'un grand, s'il n'attend rien de moi; d'un orgueilleux, s'il ne me trouve rampant ; d'un fuffifant, fi je ne me fais aux baffeffes; d'un préfomptueux, fi je ne lui applaudis toujous; d'un homme prévenu de foi, fi je ne lui cède en tout; d'un ami, fi je ne donne pas dans fes caprices; de ceux qui font au-deffous de moi, fi je ne leur fuis bon à rien, ni de ceux enfin avec qui je cours la même carrière, s'ils me foupçonnent de vouloir les devancer. Etrange embarras ! pour un homme qui voudroit travailler à fon avancement, fans qu'il en coutât à fon honneur, & qui fait néanmoins que pour y réuffir, il ne faut rien négliger.

Savoir fe déguiser, c'eft un grand art pour s'avancer. On fait que la vertu, toute négligée qu'elle eft, fait de fortes impreffions, quand elle fe montre conftamment la même ; & c'eft parce qu'on le fait, que tant de gens s'enveloppent de fes apparences; mais qu'attendre de celui, qui, méprifant le foin de plaire à Dieu, ofe fe fervir de Dieu même, qu'il fert mal, pour plaire plus fûrement aux hommes ?

S II.

Amphirion a paru avoir affez de piété pour mériter l'Epilcopat, il n'en a point eu affez pour le refufer, quoiqu'il fe connût incapable d'occu per un pofte fi difficile: que conclure?

Qu'on foit chafte, prudent, grave, modefte, & capable d'inftruire; qu'on ne foit ni fujet au vin, ni prompt, ni emporté, mais équitable, doux, pacifique & défintéressé ; qu'on se soit

rendu le maître de ses paffions, & affez habile pour réduire ceux qu'on veut gouverner à la même exactitude que l'on s'eft impofée dans tous fes devoirs; d'ailleurs qu'on fe foit exercé dans l'œuvre difficile de la conduite des ames, avant que d'en devenir l'évêque, le pere & le docteur; alors le fuffrage des peuples qu'on aura édifiés, décidera feul du choix que fera le prince; & l'obfcurité n'étant plus exclue des poftes, ni la fcience dans l'oubli ni le vrai mérite étouffé, on ne verra plus la foi atfoiblie, les dignités peu ménagées, ni le caractère méprifé (Les hommes.)

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DISCERNEMENT, f. m. I. Si tu as la vue fine, dit quelqu'un, fers-t-en pour juger comme les hommes les plus fage.

I I.

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raifin cette robe de pourpre, un tiffu de poils de brebis imbibé du fang d'un coquillage. Ces idées qui vont droit au fait, & qui percent au dedans des objets, donnent à connoître tout ce qu'ils font Il faut en ufet ainfi fur toutes les chofes de la vie. Si-tôt qu'un ob. jet fe préfente à l'imagination comme fort eftimable, il faut le mettre à nud; confidérer fon peu de valeur, le dépouiller de tout ce qui lui donnoit un air de dignité. Un beau dehors eft un dangereux léducteur. Lorfque tu crois le plus fortement ne t'attacher qu'à une chofe honnête, c'eft alors qu'elle te fait le plus d'illufion. Vois donc ce que Crates & Xénocrates difent à ce fujet.

VIII.

Une araignée fe glorifie d'avoir pris une mouche; &, parmi les hommes, l'un fe glorifie d'a

Les objets fe tiennent immobiles hors de l'en-voir pris un lièvre ; un autre, un poiffon ; celui-ci, ceinte de nos ames ; ils ne fe connoiffent pas eux mêmes, & ne peuvent nous apprendre ce qu'ils font. Qu'est ce donc qui nous l'apprend? C'eft la raifon qui nous guide.

III.

Socrate, dans fes difcours, mettoit les maximes débitées par bien des gens au rang de ces loupsgaroux dont on fait peur aux petits enfans.

IV.

Il faut contempler, tout nuds & dépouillés de leurs écorces, les motifs, les rapports des actions; ce que c'eft que la douleur, la volupté, la gloire. Quelle eft la caufe qui nous ôte un repos que perfonne n'a le pouvoir de nous ôter? Tout dépend de nos opinions.

V.

Quel moyen de connoître ici la vérité? C'eft l'analyse des objets dans leur matière, & le principe de leur action.

VI.

Regarde au-dedans de chaque chofe. Prends garde que rien ne t'échappe fur la qualité & la valeur intrinsèque.

VII.

Quelle idée faut-il que je prenne des viandes & autres alimens qu'on me fert? Ceci eft un cadavre de poiffon, cela un cadavre d'oiseau, ou de cochon; de même auffi cet excellent vin eft un peu de jus exprimé de quelques grappes de

Mais, fi tu examines bien quels ont été les modes fangliers ou des ours, & celui-là des farmates. tifs & les principes de cette dernière claffe, ne diras-tu pas que ce font auffi des brigands?

IX.

As-tu oublié que ces gens qui louent & blâment les autres avec orgueil, montrent le même orgueil à ceux qui les voient au lit, à table? As tu oublié quelle eft leur conduite, ce qu'ils craignent ou ce qu'ils ambitionnent, & les injuftices qu'ils font? Ce ne font pas leurs mains ou leurs pieds qui font coupables. C'eft la plus précieufe partie d'eux-mêmes, qui produit, lorfqu'elle le veut, la foi, la pudeur, la juftice, la fincérité, un bon génie.

X.

Accoutume-toi, autant que tu le pourras, à હૈ analyfer tout ce qui frappe ton imagination, felon les règles de la nature, de la Morale, & d'un jufte raisonnement.

X I.

Qu'est-ce qu'une telle chofe en elle-même per fa conftitution propte? quelle eft fa fubftance & fa matière? quel eft le principe de fon action > que fait-elle dans l'univers ? Combien de tems durera-t-elle ?

XII.

Penfe d'où chaque être' eft venu; de quels élémens il a été compofé; quels changemens il éprou vera; ce qui en peut réfulter: & tu verras qu'il ne peut lui en arriver aucun mal.

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A toutes ces règles, il faut en ajouter une, c'eft de faire toujours la définition ou la defcription de l'objet qui viendra frapper mon imagination, afin de voir diftinctement & à nud ce qu'il 'eft dans fa fubftance, confidéré dans fon tout & féparément dans fes parties, & afin de pou voir me dire à moi-même fon vrai nom, ainfi que le vrai nom des parties dont il eft compofé, & dans lesquelles il le réfoudra. Car il n'eft rien fe de fi propre à élever l'ame, que d'analyfer avec méthode & jufteffe tout ce qui fe rencontre dans la vie, & que d'examiner toujours chaque objet

d'une façon à pouvoir auffi tôt connoître à quel fyflême de chofes il appartient, de quelle utilité il y eft, & quel rang il tient dans l'univers, & relativement à l'homme, puifqu'il eft citoyen de cette ville célefte, dont les autres villes ne font en quelque manière que les maisons.

Quel est donc en particulier cet objet-ci, qui vient de me faifir l'ame? De quels élémens at il été fait ? Combien doit il durer ? Quelle vertu faut il pratiquer à fon occafion? Et ce, par exemple, la douceur, la force, la fincérité, la foi, la fimple réfignation, la frugalité, ou quelqu'une des autres vertus ?

Il faut fe dire en toure rencontre : ceci me vient évidemment de Dieu; & telle autre chofe me vient par une fuite néceflaire du fyftême général, de la liaison, & du tiffu de toutes chofes, dont il a dû réfulter particuliérement un tel concours & une telle rencontre.

Quant à cet autre cas, il me vient de mon concitoyen, de mon allié, de mon compagnon qui par malheur ignore ce qui convient à notre propre nature. Mais je ne l'ignore pas; c'eft pourquoi je le traiterai avec humanité & juftice, felon la loi naturelle d'une fociété d'hommes. Cependant je n'oublie pas à quel rang je dois mettre ce qui m'arrive, puifqu'il eft du nombre des chofes moyennes qui ne font ni bonnes ni mauvaises par leur nature.

NOTES.

"Je n'ai, difoit Epictete, qu'une chofe à vous dire; c'eft que celui qui ignore ce qu'il eft, pourquoi il a été fait, pourquoi il eft dans un monde tel que celui-ci, de quelle fociété il fait partie, ce qui eft bien, ce qui eft mal, ce qu'il eft honnête ou ce qu'il eft honteux de faire, qui ne fuit ni fa propre raifon ni celle d'autrui, qui ne fent ni le vrai ni le faux, & qui eft incapable de difcerner tout cela, ne parviendra jamais à régler fes defirs fur la nature des chofes ; ne fuira, ne recherchera, n'entreprendra, n'approuvera, ne rejettera rien comme il faut, & ne fufpendra jamais fon jugement à propos; il errera comme s'il étoit fourd & aveugle; ce fera un homme nul, quoiqu'il penfe être quelque chofe ».

« Un troifième chef confifte à déterminer comment nous devons donner notre confentement aux chofes qui paroiffent vraisemblables, & avoir des attraits. Socrate difoit que, comme on ne doit point paffer fa vie fans examiner comment on la paffe, de même il ne faut point admettre d'ima gination qui ne foit bien examinée. Il faut dire à chacune de celles qui fe préfentent attends ; laiffe-moi voir qui tu es, & d'où tu viens ; &

comme font les fentinelles de nuit, montre-moi ton paffeport. La nature t'a-t-elle donné le fignalement que doit avoir une imagination digne d'être

admife » ?

כל

Y a-t-il quelqu'un parmi nous qui ne parle de ce qui eft bien, de ce qui eft mal, de ce qui lui eft utile, de ce qui ne l'eft point? Y at-il quelqu'un qui n'ait pas l'idée de chacune de ces qualités? Mais en avez - vous une idée diftincte & parfaite? Donnez-m'en la preuve. Quelle preuve? Appliquez votre idée à des objets particuliers, & que ce foit avec jufteffe. Mais abrégeons. Platon borne l'idée du bon à ce qui eft effentiellement utile; & vous, vous donnez ce nom à des chofes qui ne le font pas... N'eft-il pas vrai que les uns attachent l'idée du bon à la poffeffion des richeffes, & les autres non? Ny a-t-il pas la même diverfité au fujet du plaifir, au fujet de la fanté »?

vous

«Si vous donnez toute votre affection à la richeffe, & votre averfion à la pauvreté vous égarerez, vous tomberez dans des précipices. Si vous ne vous attachez qu'à la confervation de votre fanté, vous ferez miférable; & il en fera de même fi vous faites confifter votre bonheur en des chofes qui ne dépendent pas de nous, telles que font les dignités, les honneurs, la trie, les amis, les enfans. Abandonnez tout cela au grand Jupiter & aux autres dieux, & le leur livrez, pour qu'ils en difpofent à leur volonté ».

pa-.

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battre cette maxime de quelques 'anciens qui
5.
difoient
ennemi d'une manière qui le puiffe engager à
qu'un homme doit vivre avec fon
devenir fon ami; & avec fon ami d'une telle
manièrere qu'il ne puiffe jamais être en état de
lui faire du mal en cas qu'il devint fon ennemi. »
La première partie de cette maxime, qui regarde
eft fort pru-.

notre conduite envers un ennemi
dente & raisonnable; mais la dernière, qui tombe
fur notre conduite avec un ami, fent plutôt la
rufe que la difcrétion, & nous raviroit
fuivre, un des plus grands plaifirs de la vie,
à la.
veux dire celui qu'on goûte à parler librement avec
je
un ami du cœur: ajoutez à ceci que, lorfqu'un
ami vous abandonne & qu'il trahit votre fecret,
pour m'exprimer avec le fils de Sirach, le monde
que votre imprudence.
eft affez jufte pour condamner fa perfidie plutôt

La difcrétion ne fe montre pas feulement dans nos paroles mais auffi dans toutes nos dé-, marches, & fert en quelque manière d'inftrument, à la providence, pour nous diriger dans tout ce qui regarde cette vie.

L'efprit humain eft orné de plufieurs autres qualités éclatantes; mais il n'y en a point de fi utile que la difcrétion; c'eft elle qui donne le, prix à toutes les autres qui les met en œuvre en tems & lieu, & qui les tourne à l'avantage de la perfonne qui les pofsède. Sans elle on peut dire que le favoir n'eft que pédanterie, & « Quant à moi, je prends congé de tout le refte; l'efprit qu'impertinence; la vertu même devient je ferai content, fi je peux parvenir à vivre dé-prefque un défaut; & les plus beaux talens gagé de tout embarras & de tout fouci, à élever ne fervent qu'à rendre un homme plus remar ma tête, comme un homme libre, au deffus de quable dans les erreurs & plus actif à fon prétous les obftacles, & à ne plus regarder que le judice. ciel comme ami de Dieu, fans que rien de tout ce qui arrivera foit capable de m'ébranler ». (Penfées de Marc-Aurele- Antonin.)

cc

DISCRÉTION, f. f. Il m'eft venu fouvent dans l'efprit que,fi l'on voyoit toutes les pensées des hommes, on ne trouveroit pas beaucoup de différence entre celles du fage & celles du fou. Il y a un nombre infini de rêveries, d'extravagances & de vanités, qui les occupent l'un & l'autre. Tous ce quiles diftingue vient de ce que le premier fait faire un bon choix de fes penfées, qu'il rejette les unes & qu'il communique les autres, au lieu que le fou laifle échapper toutes les fiennes, & qu'il les met au jour fans aucun difcernement. Avec tout cela, cette efpèce de réserve ne regarde point la converfation particulière entre des amis intimes. En tels cas, les plus fages parlent fouvent de même que les plus indifcrets, puifque s'entretenir avec un ami n'eft autre chofe, pour ainfi dire, que penfer tout haut.

L'homme difcret ne fe borne pas à bien ménager fes propres talens; il fait auffi découvrir ceux des autres, les faire valoir, & les appliquer à leur légitime ufage. Nous voyons aufli que ce n'eft ni le fpirituel, ni le fayant, ni le brave, qui règle la converfation & qui produit l'agrément de la fociéré, mais le difcret. Un homme qui a de beaux talens & qui manque de difcrétion, reffemble au Polypheme de la fable, revêtu d'une force extraordinaire, qui ne lui fert de rien, parce qu'il eft aveugle.

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Quoiqu'un homme possède toutes les autres bonnes qualités, s'il n'a pas la diferétion, il ne fera que d'une petite conféquence dans le monde; mais, avec cet unique talent & une médiocre portion des autres, il peut faire tout ce qu'il lui plaît dans le pofte où il fe trouve.

Si d'un côté la diferétion et la plus utile de L'orateur romain eft donc bien fondé à com- j'ofe avancer de l'autre que la Epelle n'ot toutes les qualités qu'un homme puifle avoir

com-jofe

que le partage des petits efprits, qui n'ont ni grandeur ni élévation. La première a toujours en vue les fins les plus nobles, & les pourfuit par les voies les plus juftes & les plus honnêtes; au lieu que la rufe ne tend qu'à fon intérêt fordide, & ne fait fcrupule de rien pour l'obtenir. La diferétion a de vaftes deffeins, &, femblable à un œil vif & perçant, elle fe promène d'un bout de l'horifon à l'autre : la fineffe eft une efpèce de vue courte, qui découvre les plus petits objets qui fe trouvent à portée & dans fon voisinage; mais qui ne peut difcerner ceux qui font un peu éloignés. La difcrétion donne plus d'autorité à celui qui la possède, plus elle fe manifefte: la rufe une fois découverte perd toute fa force, & rend un homme incapable d'exécuter les projets dont il auroit pû venir à bout s'il n'eût paffé que pour un homme franc & fincère. La difcrétion et le rafinement de la raifon & un guide filele dans tous les devoirs de la vie; la rufe eft une espèce d'inftinct qui ne regarde qu'à notre intérêt particulier dans ce monde. La difcrétion ne fe trouve que dans les hommes d'un fens exquis & d'un génie fupérieur : la ruse éclate fouvent dans les bêtes mêmes & dans les perfonnes qui n'en diffèrent pas beaucoup. En un mot, la rufe n'eft que le finge de la difcrétion, & ne peut tromper que les fimples, de la même manière que la vivacité paffe quelquefois pour bel efprit, & l'air grave pour une marque de prudence.

Le tour d'efprit, qui eft naturel à l'homme difcret, l'entraîne jufques dans l'avenir le plus réculé, & l'oblige de penfer à l'état où il fe trouvera au bout de quelques milliers de fiècles, de même qu'à celui où il fe trouve aujourd'hui. Il fait que le bonheur ou le malheur, qui lui font deftinés dans un autre monde, ne perdent rien de leur réalité par l'éloignement où il les voit. Les objets n'en deviennent pas plus petits à fon égard, malgré toute leur diftance. Il n'ignore pas que ces joies & ces peines, cachées dans l'éternité, s'approchent à toute heure de lui, & qu'il en fentira un jour tout le poids, de même qu'il fent aujourd'hui le plaifir & le chagrin. C'eft pour cela qu'il travaille avec une grande application à s'afforer de ce qui fait le véritable bonheur de fa nature, & le dernier but de fon être. Il porte fes pensées jufqu'à la fin de chaque action, & il en confidère les effets les plus éloignés, auffi bien que les plus immédiats. Il renonce à tous les petits intérêts & avantages qui fe préfentent dans cette vie, s'ils ne s'accordent pas avec le deffein qu'il a pour un avenir éternel. En un mot, fes efpérances ne tendent qu'à l'immortalité, fes projets font vaftes & glorieux, & fa conduite eft celle d'un homme qui connoît fes véritables intérêts, & qui les cherche par les voies les plus légitimes.

Dans cet effai fur la difcrétion, je l'ai en vifagée comme une bonne qualité & une vertu, & c'eft pour cela même que je l'ai décrite dans toute fon étendue, non feulement en ce qu'elle s'occupe aux affaires du monde, mais auffi en ce qu'elle regarde toute notre exiftence; nonfeulement en ce qu'elle fert de guide à une créature mortelle, mais auffi en ce qu'elle eft en général la directrice d'un être raisonnable. C'eit dans cette vue que l'auteur de nos livres apocriphes lui donne quelquefois le titre de prudence, & quelquefois celui de fageffe. En effet, de la manière dont je l'ai dépeinte, c'eft la plus haute fageffe où l'on puiffe afpirer, & avec tout cela il est au pouvoir de chacun d'y atteindre. Ses avantages font infinis, & on peut l'acquérir fans peine; ou, pour m'exprimer avec le même auteur, la fageffe eft pleine de lumière, & fa beauté ne fe flétrit point. Ceux qui l'aiment la découvrent aifément, & ceux qui la cherchent la trouvent. Elle prévient ceux qui la défirent & elle fe montre à eux la première. Celui qui yeille dès le matin pour la pofféder n'aura pas de peine, parce qu'il la trouvera affife à la porte. Ainsi occuper fon efprit de la fageffe, c'eft la parfaite prudence, & celui qui veillera pour l'acquérir, fera bientôt en repos. Car elle tourne elle-même de tous côtés pour chercher ceux qui font dignes d'elle. Elle fe montre à eux agréablement dans fes voies, & elle va au-devant d'eux ave.c tout le foin de fa pro vidence." (le fpectateur.)

DISPUTE, f. £. Tous les âges à travers lefquels un homme paffe & les différens genres de vie qu'il choifit ont chacun quelque vice particulier ou une imperfection naturelle qui l'accompagne & qui demande les foins les plus exacts pour s'en garantir. Les poetes & les philofophes nous ont tracé depuis long-tems les foibleffes auxquelles l'adolefcence, la jeuneffe, l'âge viril & la vieilleffe nous expofent; mais je ne fache pas qu'aucun d'eux ait parlé de ces méchantes habitudes auxquelles nous fommes fujets, non pas tant à caufe de la différence de l'âge ou de l'humeur, qu'à caufe des em plois & du genre de vie que nous embraffons

Je fuis d'autant plus furpris qu'on ait négligé cet article, qui fe trouve fondé fur une obfervation générale, qui faute aux yeux de tout le monde. L'emploi auquel on s'attache ne donne pas feulement un certain tour à l'efprit, mais il paroît fouvent dans la conduite extérieure & quelques unes des actions les plus indifférentes de la vie. Cet air fingulier qui fe répand fur toute la perfonne, nous aide fi bien à la reconnoître du premier coup-d'oeil, que ceux qui font capables de la moindre attention peuvent diftinguer un matelot ou un tailleur, d'abord que l'un ou l'autre fe préfente,

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