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« grandes places, ne servent qu'à montrer au public leur <«< ineptie aussitôt qu'ils y sont parvenus. Le peuple se trompe <<< bien moins sur ce choix que le prince, et un homme d'un « vrai mérite est presque aussi rare dans le ministère qu'un. « sot à la tête d'un gouvernement républicain. Aussi, quand. « par quelque heureux hasard, un de ces hommes nés pour << gouverner prend le timon des affaires dans une monarchie << presque abîmée par ces tas de jolis régisseurs, on est tout << surpris des ressources qu'il trouve; et cela fait époque dans « un pays (1). » C'était pour la première fois que la monarchie entendait un langage aussi dur et aussi violent; mais c'était aussi la monarchie de Louis XV.

L'Angleterre ne paraissait pas un pays libre à la logique. de Jean-Jacques. La souveraineté étant fondée sur la volonté, on ne peut pas plus la déléguer que cette dernière; donc on ne peut charger un homme de représenter sa volonté; donc le gouvernement représentatif n'est pas un gouvernement libre. «La souveraineté ne peut être représentée par la même « raison qu'elle ne peut être aliénée. Elle consiste essentiel«lement dans la volonté générale, et la volonté ne se repré<< sente pas; elle est la même ou elle est autre; il n'y a pas de « milieu... Le peuple anglais pense être libre; il se trompe « fort; il ne l'est que durant l'élection des membres du par«<lement. Sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien; << dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en « fait mérite bien qu'il la perde (2). » Voilà le côté faible et insuffisant de notre philosophe; c'est l'oubli ou l'ignorance de l'histoire, c'est la méconnaissance de la sociabilité européenne et des raisons du gouvernement représentatif. Prononcer en vertu du principe de la volonté générale qu'aujourd'hui ni l'Angleterre ni la France ne jouissent de la liberté politique sous le gouvernement représentatif, ce serait.

(1) Contrat social, liv. III, chap. VI.

(2) Ibidem, liv. III, chap. xv.

à l'école du Contrat social, nier la réalité. Vingt-cinq millions d'hommes ne peuvent tous délibérer ensemble sur leurs affaires: ils nomment des représentants. Ces délégués représentent-ils la volonté de chaque homme? Impossible. Représentent-ils davantage la volonté générale séparée de toute règle? Non plus. Ils représentent, ils doivent représenter ce concours et ce mélange de vues et de passions, d'idées et de volontés, qui constituent un peuple comme ils constituent un homme. Ces délégués représentent l'individualité sociale, qui n'est pas une sorte de squelette que la logique peut monter et démonter à son plaisir, mais qui, douée de la vie, couçoit, veut et marche dans sa force. Le gouvernement représentatif donne la liberté, à la condition d'être véritablement représentatif. Les modernes ne peuvent s'entasser sur la place publique d'Athènes ou de Rome. L'intérêt de la liberté n'est pas de nier la représentation, mais de l'étendre, et de la mesurer sur la civilisation mème.

Rousseau finit le Contrat socia! en épousant, comme déjà nous l'avons indiqué (1), tous les préjugés de Machiavel contre la religion chrétienne. Il faut dire aussi que, considérant surtout la religion comme un sentiment individuel et libre du cœur, il était conduit à l'oubli de son rôle social, et à une complète injustice à l'égard du catholicisme.

Jean Jacques mourut en 1778, onze ans avant l'ouverture des états généraux. Il n'y avait pas au côté gauche de la Constituante un homme qui ne fût à vrai dire son disciple; et jamais philosophie n'obtint une application si rapide de ses maximes. Cette haute influence est incontestable. Otez Jean-Jacques du dix-huitième siècle, n'y laissez que Montesquieu et Voltaire, vous ne pourrez plus expliquer l'insurrection des esprits, leur ardeur à conquérir la liberté, leur enthousiasme, leur foi, les caractères, les puissances et les grandeurs de notre révolution, Condorcet, madame Rolland

(1) Chap. vi, Machiavel.

et la Gironde, la tribune de la Convention. Jean-Jacques a commencé à écrire en 1750. Pendant vingt-huit ans il a parlé aux Français un langage éloquent et nouveau. Il leur a parlé de la nature, de la liberté et de la démocratie. Si la souveraineté nationale est devenue la base de notre constitution, à qui le devons-nous, si ce n'est à Rousseau? Qu'il n'ait pas été métaphysicien, ni psychologue profond, qu'il ait peu compris et peu connu l'histoire, que parfois aussi quelques-unes de ses maximes aient été follement entendues et commentées, nous ne le nierons pas; mais nous dirons qu'il en est de la philosophie comme de la liberté, et que, quel que doive être le prix de cette noble liberté, il faut bien le payer aux dieux (1).

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Un jour, pendant la première année de la Constituante, Condorcet développait à ses amis les conséquences sociales de la révolution avec cet enthousiasme qui l'a suivi jusqu'à son dernier soupir. « Mais vous allez plus loin que Rousseau, lui dit quelqu'un. Sans doute, répondit-il avec audace; Rousseau a fait la philosophie du dix-huitième siècle, je fais celle du dix-neuvième. » C'a été la position de Condorcet de se trouver sur la dernière limite de son siècle en pressentant celui qui allait s'ouvrir; et sa pensée fut véritablement la lettre initiale de la philosophie du dix-neuvième siècle.

Disciple de Voltaire et de Rousseau, il a senti la double et contraire influence de ces deux hommes, et, presque seul de leurs contemporains, il savait compléter l'un par l'autre ; il passa la première partie de sa vie avec la vieillesse de

(1) Dialogue de Sylla et d'Eucrate.

d'Alembert, la seconde avec la révolution française; géomètre, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, il trouva le temps d'appliquer à la politique de grandes facultés. Je néglige quelques mélanges épars pour apprécier uniquement l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain.

Rousseau avait été, dans l'histoire même, insuffisant et léger. La philosophie des faits, l'intelligence de la réalité, cette force de l'abstraction qui s'imprime et s'impose à cette masse concrète, à ce bloc dont l'art seul peut tirer la statue de l'histoire, avait entièrement échappé à Jean-Jacques. Condorcet comprit, le dernier de tous les philosophes français du dix-huitième siècle, et le premier du dix-neuvième, la portée de l'histoire. Il reconnut en elle l'enseignement de l'humanité, et, dans l'exploration des routes déjà parcourues, la raison des progrès et des découvertes à faire. Cette vue, qui est pour ainsi dire le principe dirigeant de notre siècle, inspira Condorcet. Dans l'exécution, sa main a pu faiblir; il a pu ne tracer qu'une esquisse; mais dans quel moment écrivait-il? Au plus fort et au plus vif de la tragédie révolutionnaire. Si donc il manque de calme et d'impartialité, s'il méconnaît l'autorité nécessaire du sacerdoce dans les premiers temps de la civilisation; si, dans l'intervalle entre sa proscription et sa mort, seul, sans livres, il ne représente pas les faits avec une érudition toujours exacte, il y aurait toutefois injustice à nier son génie ou à s'imaginer l'avoir caractérisé par quelques paroles dédaigneuses.

Le progrès de l'esprit humain, dit en commençant Condorcet, est soumis aux mêmes lois générales qui s'observent dans le développement individuel de nos facultés, puisqu'il est le résultat de ce développement, considéré en même temps dans un grand nombre d'individus réunis en société. Aux yeux du philosophe, l'histoire est en relation intime avec lat nature humaine; mais il n'en conclut pas que l'histoire est toujours légitime, parce qu'elle est la production de cette

nature. Il en conclut au contraire que, la nature humaine étant progressive et mobile, l'histoire doit reproduire ce progrès et cette mobilité. Le principe dont certains métaphysiciens voudraient tirer l'immobilité du monde, Condorcet s'en empare à son tour dans les intérêts de l'avenir. Le changement est capital; c'est aller de l'esprit humain à l'histoire, faire des idées la condition des faits, subordonner ce qui s'est accompli à l'insatiable activité de la nature humaine. Où nous mène en effet ce principe? A la conviction de la perfectibilité indéfinie. On a dit que la nature était donnée dans ses points fondamentaux, une fois pour toutes; et, dans cette maxime, on a trouvé la condamnation de la perfectibilité indéfinie de Condorcet. Sans doute, la nature humaine est donnée, mais elle n'est pas connue; elle est là, mais elle n'est pas pénétrée dans son esprit, dans ses lois et dans ses détails; livre toujours ouvert, mais encore obscur. Donc, si vous n'avez pas défini la science, vous ne sauriez davantage définir la perfectibilité; donc cet indéfini qui vous gène et vous tourmente se trouve exact. Je vois des systèmes et des bibliothèques; mais les sociétés n'en cherchent pas moins aujourd'hui leur point d'appui. La philosophie n'est donc pas faite; elle est à l'état d'indéfini; la proposition de Condorcet est en soi plus juste que les raisonnements mêmes dont il a pu l'étayer, et que les exemples que lui a fournis son imagination. Il a vu instinctivement la mobilité de la science et de la civilisation, l'esprit de l'homme sortant de son repos et de son passé pour s'engager dans des spéculations et des destinées nouvelles, la pente de son siècle, cette attraction vers l'avenir, l'avénement d'idées nouvelles qui passent pour chimériques tant qu'elles n'ont pu parvenir à se définir elles-mêmes, à se faire reconnaître et obéir. Mais il n'a pas senti assez clairement comment l'homme exerce véritablement sa puissance; il n'a pas reconnu qu'il ne crée pas de nouveaux éléments dans sa pensée, dans sa constitution physique et dans ses rapports avec le monde;

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