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à l'amitié de citer de courts fragments de cet examen ; ils feront naître des regrets chez les hommes sensibles au mérite véritable: c'est le seul vestige des pas qu'un talent solitaire et ignoré a laissé sur le ivage en traversant la vie.

« Careless, dit M. Joubert, étoit un des plus illustres chefs de l'armée du roi il avoit combattu jusqu'à l'extrémité à la journée de Worces¿ter. Quand il avoit vu tout perdu, il s'étoit intrépidement placé avec le comte de Clives et Jacques Hamilton à l'une des portes de la ville conquise, pour arrêter le vainqueur et pour s'opposer à la poursuite des vaincus. Il garda ce poste qu'il s'étoit lui-même assigné, jusqu'à ce qu'il put croire que le temps avoit permis à son maître de s'éloigner et de se mettre hors de danger. Alors seulement il se retira: il alloit chercher un asile dans ses propres foyers, ignorant ce qu'étoit devenu Charles et s'il pourroit jamais le revoir, quand le sort l'offrit à sa vue.

« Qu'on juge de leur joie à cette rencontre inespérée. C'est alors qu'ils habitèrent ce fameux chêne, qui fut depuis regardé avec tant d'admiration, et dont on disoit en le montrant au voyageur: Ce fut là le palais du roi. Ce chêne étoit si gros et si touffu de branches, que vingt hommes auroient pu tenir sur sa tête. Charles, accablé de fatigue, avoit besoin de repos; il n'osoit s'y livrer sur cet arbre, et quitter cet arbre étoit risquer d'être reconnu. Suspendu comme sur un abîme et caché parmi les rameaux, un instant de sommeil l'en eût précipité. Careless étoit robuste, il se chargea de veiller. Le roi se plaça dans ses bras, s'appuya contre son sein, et soutenu par ses mains vaillantes s'endormit dans les airs.

« Quel spectacle: ouchant ! Ce prince dans la fleur et dans la force de la jeunesse, réduit par le sommeil à la foiblesse de l'enfance, plongé dans l'assoupissement avec l'abandon de cet âge, tranquillement endormi, au milieu de tant de périls, entre les bras d'un homme austère, d'un guerrier attentif et veillant sur son roi, âgé de vingt-et-un ans, avec toutes les inquiétudes d'une mère! Ainsi les lieux, les arbres, les forêts, ont leur destin comme les hommes.

« Charles quitta bientôt Boscobel. Un jour, étant dans la salle d'une hôtellerie, comme il levoit son chapeau à la dame du logis qui passoit par ce lieu, le sommelier l'ayant attentivement regardé, le reconnut. Cet homme le prit à l'écart, le pria de descendre avec lui dans la cave, et là, tenant une coupe, la remplit de vin, et but à la prospérité du roi. Je sais ce que vous êtes, lui dit-il ensuite en mettant un genou en terre, et vous serai fidèle jusqu'à ma mort. »

Ainsi a fait revivre ces scènes oubliées l'ami que j'ai perdu : il est allé rejoindre ces hommes d'autrefois.

N'a-t-on pas cru lire un épisode de nos guerres de l'ouest pendant la révolution? La fidélité semble être une des vertus de l'ancienne religion chrétienne : les Pendrill gardoient le culte de leurs aïeux; ils avoient une cachette où le prêtre disoit la messe; leur roi protestant y trouvoit un asile inviolable au pied du vieil autel catholique. Pour achever la ressemblance, la comtesse de Derby, qui défendit si vaillamment l'île de Man, et qui fut la dernière personne des trois royaumes à se soumettre à la république, étoit de la famille de La Tremoille: le prince de Talmont fut une des dernières victimes des guerres vendéennes.

PORTRAIT D'UN VENDÉEN.

Quoi qu'il en soit des bûcherons de Boscobel, près du chêne royal maintenant tombé, les Pendrell sont-ils des paysans vendéens?

« Un jour', en 1798, à Londres, je rencontrai chez le chargé d'affaires des princes françois une foule de vendeurs de contre-révolutions. Dans un coin de cette foule étoit un homme de trente à trente-quatre ans, qu'on ne regardoit point, et qui lui-même ne faisoit attention qu'à une gravure de la mort du général Wolf. Frappé de son air, je m'enquis de sa personne. Un de mes voisins me répondit : « Ce n'est rien; c'est un paysan vendéen, porteur d'une lettre de ses chefs. »

« Cet homme qui n'étoit rien avoit vu mourir Cathelineau, premier général de la Vendée et paysan comme lui; Bonchamp, en qui revivoit Bayard; Lescure, armé d'un cilice non à l'épreuve de la balle; d'Elbée, fusillé dans un fauteuil, ses blessures ne lui permettant pas d'embrasser la mort debout; La Rochejaquelein, dont les patriotes ordonnèrent de vérifier le cadavre, afin de rassurer la Convention au milieu de ses victoires sur l'Europe. Cet homme qui n'étoit rien avoit assisté aux deux cents prises et reprises de villes, villages et redoutes, aux sept cents actions particulières et aux dix-sept batailles rangées; il avoit combattu trois cent mille hommes de troupes réglées, six à sept cent mille réquisitionnaires et gardes nationaux; il avoit aidé à enlever cinq cents pièces de canon et cent cinquante mille fusils; il avoit traversé les colonnes infernales, compagnies d'incendiaires commandées par des conventionnels; il s'étoit trouvé au milieu de l'océan de feu qui, à trois reprises, roula ses vagues sur les bois de la Vendée; enfin il avoit vu périr trois cent mille Hercules de charrue, compagnons de

1. Mes Mémoires.

ses travaux, et se changer en un désert de cendres cent lieues carrées d'un pays fertile.

« Les deux Frances se rencontrèrent sur ce sol nivelé par elles. Tout ce qui restoit de sang et de souvenir dans la France des croisades lutta contre ce qu'il y avoit de nouveau sang et d'espérance dans la France de la révolution. Le vainqueur sentit la grandeur du vaincu : Thurot, général des républicains, déclaroit que « les Vendéens seroient placés << dans l'histoire au premier rang des peuples soldats ». Un autre général écrivoit à Merlin de Thionville : « Des troupes qui ont battu de tels « François peuvent bien se flatter de vaincre tous les autres peuples. » Les légions de Probus, dans leur chanson, en disoient autant de nos pères. Bonaparte appela les combats de la Vendée « des combats de « géants ».

« Dans la cohue du parloir, j'étois le seul à considérer avec admiration et respect le représentant de ces anciens Jacques, qui, tout en brisant le joug de leurs seigneurs, repoussoient, sous Charles V, l'invasion étrangère : il me sembloit voir un enfant de ces communes du temps de Charles VII, lesquelles avec la petite noblesse de province reconquirent pied à pied, de sillon en sillon, le sol de la France. Il avoit l'air indifférent du sauvage; son regard étoit grisâtre et inflexible comme une verge de fer; sa lèvre inférieure trembloit sur ses dents serrées; ses cheveux descendoient de sa tête en serpents engourdis, mais prêts à se dresser; ses bras, pendant à ses côtés, donnoient une secousse nerveuse à d'énormes poignets tailladés de coups de sabre; on l'auroit pris pour un scieur de long. Sa physionomie exprimoit une nature populaire rustique, mise par la puissance des mœurs au service d'intérêts et d'idées contraires à cette nature; la fidélité naïve du vassal, la simple foi du chrétien s'y mêloient à la rude indépendance plébéienne accoutumée à s'estimer et à se faire justice. Le sentiment de sa liberté paroissoit n'être en lui que la conscience de la force de sa main et de l'intrépidité de son cœur. Il ne parloit pas plus qu'un lion; il se grattoit comme un lion, bâilloit comme un lion, se mettoit sur le flanc comme un lion ennuyé, et rêvoit apparemment de sang et de forêts: son intelligence étoit du genre de celle de la mort. Quels hommes dans tous les partis que les François d'alors, et quelle race aujourd'hui nous sommes ! Mais les républicains avoient leur principe en eux, au milieu d'eux, tandis que le principe des royalistes étoit hors de France. Les Vendéens députoient vers les exilés; les géants envoyoient demander des chefs aux pygmées. L'agreste messager que je contemplois avoit saisi la révolution à la gorge, il avoit crié : « Entrez; « passez derrière moi; elle ne vous fera aucun mal, elle ne bougera

pas; je la tiens. » Personne ne voulut passer: alors Jacques Bonhomme relâcha la révolution, et Charette brisa son épée. »

CROMWELL. BONAPARTE.

Délivrée des mains rustiques, la révolution tomba dans des mains guerrières Bonaparte se jeta sur elle, et l'enchaîna.

J'ai déjà mesuré la taille de cet homme extraordinaire à celle de Washington; il reste à dire si Napoléon trouva son pendant en Angleterre dans le protecteur.

Cromwell eut du prêtre, du tyran et du grand homme son génie remplaça pour son pays la liberté. Il avoit trop d'énergie pour parvenir à créer une autre puissance que la sienne; il ruina les institutions qu'il rencontra ou qu'il voulut donner, comme Michel-Ange brisoit le marbre sous son ciseau.

Transporté sur le théâtre de Napoléon, le vainqueur des Irlandois et des Écossois auroit-il été le vainqueur des Autrichiens, des Prussiens et des Russes? Cromwell n'a pas créé des institutions comme Bonaparte; il n'a pas laissé un code et une administration par qui la France et une partie de l'Europe sont encore régies. Napoléon réagit avec une force outrée; mais il avoit pour excuse la nécessité de tuer le désordre: son bras vigoureux enfonça trop avant son épée, et il perça la liberté qui se trouvoit derrière l'anarchie.

« Les peuples vaincus ont appelé Napoléon un fléau' : les fléaux de Dieu conservent quelque chose de l'éternité et de la grandeur du courroux dont ils émanent: Ossa arida... dabo vobis spiritum, et vivetis; « Ossements arides, je vous donnerai mon souffle, et vous vivrez. » Ce souffle ou cette force s'est manifestée dans Bonaparte tant qu'il a vécu. Né dans une île pour aller mourir dans une île aux limites de trois continents; jeté au milieu des mers où Camoëns sembla le prophétiser en y plaçant le génie des tempêtes, Bonaparte ne se pouvoit remuer sur son rocher que nous n'en fussions avertis par une secousse; un pas du nouvel Adamastor à l'autre pôle se faisoit sentir à celui-ci. Si Napoléon, échappé aux mains de ses geôliers, se fût retiré aux ÉtatsUnis, ses regards attachés sur l'Océan auroient suffi pour troubler les peuples de l'ancien monde. Sa seule présence sur le rivage américain de l'Atlantique eût forcé l'Europe à camper sur le rivage opposé.

Quand Napoléon quitta la France une seconde fois, on prétendit

1. Mes Mémoires,

qu'il auroit dû s'ensevelir sous les ruines de sa dernière bataille. Lord Byron, dans son ode satirique contre Napoléon, disoit :

To die a prince or live a slave,

Thy choice is most ignobly brave.

« Mourir prince ou vivre esclave, ton choix est ignoblement brave. » « C'étoit mal juger la force de l'espérance dans une âme accoutumée à la domination et brûlante d'avenir. Lord Byron crut que le dictateur des rois avoit abdiqué sa renommée avec son glaive, qu” alloit s'éteindre oublié : lord Byron auroit dû savoir que la destinée d Napoléon étoit une muse, comme toutes les grandes destinées; cette muse sut changer un dénouement avorté dans une péripétie qui renouveloit et rajeunissoit son héros. La solitude de l'exil et de la tombe de Napoléon a répandu sur une mémoire éclatante une autre sorte de prestige. Alexandre ne mourut point sous les yeux de la Grèce, il disparut dans les lointains pompeux de Babylone : Bonaparte n'est point mort sous les yeux de la France, il s'est perdu dans les fastueux horizons des zones torrides. L'homme d'une réalité si puissante s'est évaporé à la manière d'un songe; sa vie, qui appartenoit à l'histoire, s'est exhalée dans la poésie de sa mort. Il dort à jamais, comme un ermite ou comme un paria, sous un saule, dans un étroit vallon entouré de rochers escarpés, au bout d'un sentier désert. La grandeur du silence qui le presse égale l'immensité du bruit qui l'environna. Les nations sont absentes, leur foule s'est retirée. L'oiseau des tropiques attelė, dit magnifiquement Buffon, au char du soleil, se précipite de l'astre de la lumière, et se repose seul un moment sur des cendres dont le poids a fait pencher le globe.

« Bonaparte traversa l'Océan pour se rendre à son dernier exil; il s'embarrassoit peu de ce beau ciel qui ravit Christophe Colomb, Vasco et Camoëns. Couché à la poupe du vaisseau, il ne s'apercevoit pas qu'au-dessus de sa tête étinceloient des constellations inconnues; leurs rayons rencontroient pour la première fois ses puissants regards. Que lui faisoient des astres qu'il ne vit jamais de ses bivouacs et qui n'avoient pas brillé sur son empire? Et néanmoins, aucune étoile n'a manqué à sa destinée : la moitié du firmament éclaira son berceau; l'autre étoit réservée pour illuminer sa tombe. »

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