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procès où Russel et Sidney perdirent la vie. Cet homme, qui à la suite de l'invasion de Monmouth fit exécuter dans l'ouest de l'Angleterre plus de deux cent cinquante personnes, ne manquoit pas d'un certain esprit de justice : une vertu qu'on n'aperçoit pas dans un homme de bien se fait remarquer quand elle est placée dans un homme de malheur.

La Hollande étoit depuis longtemps le foyer des intrigues des divers partis anglois : les émissaires de ces partis s'y rassembloient sous la protection de Marie, fille aînée de Jacques, femme du prince d'Orange, homme qui n'inspire aucune admiration et qui pourtant a fait des choses admirables. Souvent averti par Louis XIV, Jacques ne vouloit rien croire. La flotte de Guillaume mit à la voile; il aborda avec treize mille hommes à Broxholme, dans Torbay.

A son grand étonnement, il n'y trouva personne; il attendit dix jours en vain. Que fit Jacques pendant ces dix jours? Rien : il avoit une armée de vingt mille hommes, qui se fût battue d'abord, et il ne prit aucune résolution. Sunderland, son ministre, le vendoit; le prince Georges de Danemark, son gendre, et Anne, sa fille favorite, l'abandonnoient, de même que sa fille Marie, et son autre gendre Guillaume. La solitude commençoit à croftre autour du monarque qui s'étoit isolé de l'opinion nationale. Jacques demanda des conseils au comte de Bedfort, père de lord Russel, décapité sous le règne précédent à la poursuite de Jacques : « J'avois un fils, répondit le vieillard, qui auroit pu vous secourir. »

Jacques s'enfuit; il débarqua à Ambleteuse, le 2 janvier 1689; hôte fatal, il enseigna l'exil aux foyers dont il embrassa l'autel. On a retrouvé les os de Jacques II à Saint-Germain. Où sont les cendres de Louis XIV? Où sont ses fils?

Au surplus, qu'importent toutes ces choses? Lord Russel embrassant lady Russel pour la dernière fois lui dit : « Cette chair que vous sentez encore dans peu d'heures sera glacée. » Les générations que je viens d'indiquer, combien occupent-elles de place dans le monde et dans cette page? A mon retour en France en 1800, une nuit je voyageois en diligence; la voiture fit un léger tressaut, que nous sentimes à peine; elle avoit rencontré un paysan ivre couché en travers dans le chemin; nous avions passé sur une vie, et la roue s'étoit à peine élevée de terre de quelques lignes. Les Francs, nos pères, égorgèrent à Metz les Romains surpris au milieu d'une fête; nos soldats ont valsé, il n'y a pas encore vingt-cinq ans, au monastère d'Alcobaça, avec le squelette d'Inès de Castro : malheurs et plaisirs, crimes et folies, quatorze siècles vous séparent, et vous êtes aussi complétement passés

les uns que les autres! L'éternité commencée tout à l'heure est aussi ancienne que l'éternité datée de la première mort, du meurtre d'Abel. Néanmoins, les hommes, durant leur apparition éphémère sur ce globe, se persuadent qu'ils laissent d'eux quelque trace: sans doute ! Chaque mouche a son ombre.

Les quatre Stuarts passèrent dans l'espace de quatre-vingt-quatre ans; les six derniers Bourbons ayant porté, ou ayant droit de porter la couronne, à compter de la mort de Louis XV, ont disparu dans la période de cinquante-quatre années.

Dans l'un et dans l'autre royaume, un roi a péri sur l'échafaud, deux restaurations ont eu lieu et ont été suivies du bannissement des souverains légitimes, et pourtant il est vrai que loin d'être au bout des révolutions l'Europe, ou plutôt le monde, ne fait que les commencer

CINQUIÈME PARTIE.

LITTÉRATURE SOUS LA MAISON DE HANOVRE.

ACHEVEMENT ET PERFECTIONNEMENT DE LA LANGUE ANGLOISE. MORT DES LANGUES.

En quittant les Stuarts nous entrons dans le repos des cent quarante années qui suivit la chute de ces princes et laissa aux muses le temps d'épurer leur langage à l'abri de la liberté.

Au commencement de cet Essai, j'ai parlé de l'origine de la langue angloise; on a pu en remarquer les changements successifs dans notre course rapide à travers les siècles. Maintenant que j'approche de la fin de mon travail, voyons à quel degré de perfection cette langue étoit parvenue, et comment, après avoir été l'idiome des conteors, des fableors, des harpeors, elle devint l'idiome des Pope, des Addison, des Swift, des Gray, des Fielding, des Walter Scott et des Byron.

Le vieille langue angloise me paroît avoir eu plus de douceur que la langue angloise moderne : le th y termine une foule de mots et la troisième personne des verbes au singulier du présent de l'indicatif. Le th emprunté de l'Orient ne fut prononcé (sinon introduit dans l'alphabet grec avec le x chi, le к kappa, l'n oméga) que vers le commencement de la guerre du Peloponèse, à l'époque où Alcibiade rendoit Athènes folle comme une femme, par la difficulté gracieuse avec laquelle il exprimoit quelques lettres. Le th étoit une lettre composée que la molle lonie sembloit fournir en aide à l'élégant élève de Périclès. Le grec moderne a retenu le e, le thêta.

Le th de l'ancien anglois, à la fin du mot, ne pouvoit être que le th doux, comme il se prononce Jans mouth, sooth, teeth, et non le th rude du commencement du mot, comme dans thunder, throbbing, thousand.

La lettre se redoubloit souvent dans l'ancien anglois. L'e qui abonde et qui dispute la fin des mots au th étoit l'e muet retenu du françois; il contribuoit à émousser le son trop aigu. La preuve que ces lettres

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n'étoient point étymologiques, mais euphoniques, c'est que l'orthographe varioit de comté en comté et presque de village en village, selon l'oreille, écho de l'accent. Les mots mêmes varioient dans un rayon de quelques lieues un marchand embarqué sur la Tamise descendit à terre, et demanda des œufs, egges, à une paysanne; elle répondit qu'elle n'entendoit pas le françois. Le compagnon de ce marchand requit à son tour des ceyren, des œufs; la bonne femme répliqua qu'elle le comprenoit bien : thenne the good wyf sayd that shee undertode him well. Ainsi, à une soixantaine de milles de la ville où Johnson composa son dictionnaire, des œufs s'appeloient des ceyren.

A mesure que l'anglois changea de prononciation et de forme, et qu'il perdit de sa sobriété, il s'enrichit des tributs du temps. Le génie d'une langue se compose de la religion, des institutions politiques, du caractère, des mœurs et des usages d'un peuple. Si ce peuple étend au loin sa domination, il reçoit un accroissement d'idées et de sentiments des pays avec lesquels il entre en contact. Et voyez d'abord tout ce que peut recueillir une langue de la durée et de la variété des lois.

Il étoit de principe en Angleterre qu'une loi n'est jamais abolie : de cette sorte, l'histoire passée demeuroit présente au milieu des événements nouveaux, comme une aïeule immortelle au milieu de ses innombrables enfants et petits-enfants. Au commencement de ce siècle, un Anglois jeta le gant en pleine audience, et demanda le combat judiciaire contre son antagoniste.

Le droit coutumier anglois (common law) régit l'Angleterre en général.

Dans l'île de Man, on suit les établissements des anciens rois de cet État.

A Jersey et à Guernesey, les statuts de Rollon sont en vigueur.

Les procès des Indous et des Mogols sont jugés en appel à la cour du banc du roi à Londres, et se décident d'après les articles des Puranas et de l'Alcoran.

Dans les îles Ioniennes, le code de Justinien se mêle aux décisions de la cour de l'amirauté.

Au Canada les ordonnances des rois de France fleurissent, comme au temps de saint Louis.

Dans l'Ile-de-France le Code Napoléon règne, le droit castillan et aragonois dans les colonies anglo-espagnoles, la loi hollandoise au Cap de Bonne-Espérance.

La politique, l'industrie, le commerce, ont mêlé les mots particuliers de leurs dictionnaires à ceux du dictionnaire général.

La tribune fournit au trésor commun les discours de Strafford, de Vanes, de Bolingbroke, de Walpole, des deux Pitt, de Burke, de Fox, de Sheridan, de Canning, de Brougham.

L'économie sociale, les recherches d'Adam Smith, de Malthus, de Thornton, de Ricardo, de Macculloch, augmentent le vocabulaire.

Le service des possessions angloises dans les quatre parties de la terre a naturellement multiplié les voyageurs : quelle nouvelle source d'importation d'idées et d'images! Cent-et-un négociants de Londres, en 1600, réunissent une somme de 800,000 fr., et voilà les Bacchus et les Alexandre qui deviennent les maîtres et les conquérants de l'Inde.

Les Anglois eurent des grammaires et des dictionnaires samaritains, arabes, syriaques, presque avant d'avoir des dictionnaires grecs et latins ils préludoient de la sorte à l'étude des langues mortes et vivantes de l'Asie; ils obéissoient à l'instinct de leur génie, qui les portoit à la pompe des images et à l'indépendance des règles. Wilkins, Colbrooke, Carey1, Marsden, Morrison, Lockert, Gladwin, Lumsden, Gilchrist, Hadley, William Jones, se sont occupés du sanscrit, du bengali vulgaire, de la langue maloise, du persan, du chinois et de la langue commune de l'Indoustan. Ainsi, avec des lois qui ne meurent point, des colonies placées aux quatre vents du ciel, la langue angloise embrasse le temps et l'espace.

Nous possédions autrefois d'immenses contrées outre-mer; elles offroient un asile à l'excédant de notre population, un marché à notre commerce, une carrière à nos sciences, un aliment à notre marine : aujourd'hui nous sommes contraints d'ensevelir nos convicts dans des prisons infectes, faute d'un coin sur le globe pour y déposer ces malheureux; nous sommes exclus du nouvel univers où le genre humain recommence. Les langues angloise, portugoise, espagnole, servent en Afrique, en Asie, dans l'Océanie, dans les îles de la mer du Sud, sur le continent des deux Amériques, à l'interprétation de la pensée de plusieurs millions d'hommes, et nous, déshérités des conquêtes de notre génie, à peine entendons-nous parler dans quelque bourgade de la Louisiane et du Canada, sous une domination étrangère, la langue de Colbert et de Louis XIV: elle y reste comme un témoin des revers de notre fortune et des fautes de notre politique.

Mais si la langue de Milton et de Shakespeare tire des avantages réels de cette diffusion de puissance, elle en reçoit aussi des atteintes.

1. Il y a un autre Carey, poëte et musicien, auquel les Anglois attribuent, mal à propos, l'air du God save the king.

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