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et Thucydide pleura. » Le ministre écossois se seroit en vain efforcé de trouver ce discours que Thucydide met dans la bouche des Platéens, plaidant leur cause devant les Lacédémoniens, qui les condamnèrent à mort pour être restés fidèles aux Athéniens :

« Tournez les yeux sur les tombes de vos pères: immolés par les Mèdes, ensevelis dans nos sillons, c'est à eux que chaque année nous rendions les honneurs publics, comme à nos anciens compagnons d'armes. Pausanias les inhuma ici, croyant les déposer dans une terre hospitalière. Si vous nous ôtez la vie, si du champ de Platée vous faites un champ de Thèbes, ne sera-ce pas abandonner vos proches dans une terre ennemie au milieu de leurs meurtriers? N'asservirez-vous pas le sol où les Hellènes conquirent leur liberté? N'abolirez-vous pas les antiques sacrifices des fondateurs de ces temples? Nous devenons suppliants des cendres de vos aïeux; nous implorons ces morts pour n'être pas asservis aux Thébains. Nous vous rappellerons la journée où les actions les plus éclatantes nous illustrèrent, et nous terminerons ce discours, fin nécessaire et terrible, puisque nous allons peut-être mourir en cessant de parler. »>

Avons-nous au milieu de nos campagnes des tombeaux où nous fassions chaque année des libations? Avons-nous des temples qui rappellent des faits mémorables? L'histoire grecque est un poëme, l'histoire latine un tableau, l'histoire moderne une chronique.

PHILOSOPHES. POËTES. POLITIQUES ÉCONOMISTES.

De 1792 à 1800, j'ai rarement entendu citer Locke en Angleterre : son système, disoit-on, étoit vieilli, et il passoit pour foible en idéologie. Quant à Newton, en tant qu'écrivain, on lui refusoit la terre, et on le renvoyoit au ciel, ce qui étoit juste.

Il vint: il révéla le principe suprême,

Constant, universel, un comme Dieu lui-même;
L'univers se taisoit; il dit: Attraction!

Ce mot, c'étoit le mot de la création'.

Pour ce qui regarde les poetes, les élégants extraits servoient d'exil à quelques pièces de Dryden. On ne pardonnoit point aux vers rimés de Pope, bien qu'on visitât sa maison à Twickenham, que l'on coupât des morceaux du saule pleureur planté par lui, et dépéri comme sa renommée.

1. Contemplation. A mon père. J.-J. Ampère.

Blair? Ennuyeux critique à la françoise on le mettoit bien audessous de Johnson.

Le vieux Spectateur? Au grenier.

La littérature philosophique? En classe à Édimbourg.

Les ouvrages des politiques anglois ont peu d'intérêt général. Les questions générales y sont rarement touchées : ces ouvrages ne s'occupent guère que des vérités particulières à la constitution des peuples britanniques.

Les traités des économistes sont moins circonscrits: les calculs sur la richesse des nations, l'influence des colonies, le mouvement des générations, l'emploi des capitaux, la balance du commerce et de l'agriculture, s'appliquent en partie aux sociétés européennes.

Cependant, à l'époque dont je parle, M. Burke sortoit de l'individualité nationale politique: en se déclarant contre la révolution françoise, il entraîna son pays dans cette longue voie d'hostilités qui aboutit aux champs de Waterloo. Isolée pendant vingt-deux ans, l'Angleterre défendit sa constitution contre les idées qui l'envahissent aujourd'hui et l'entraînent au sort commun de l'ancienne civilisation.

THEATRE. MISTRISS SIDDONS.

PARTERRE. INVASION DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE.

Il y avoit pourtant de l'ingratitude envers les classiques que l'on dédaignoit on étoit revenu à Shakespeare et à Milton: eh bien, les écrivains du siècle de la reine Anne avoient rendu à la lumière ces deux poëtes, qui attendirent cinquante ans dans les limbes le moment de leur entrée dans la gloire. Dryden, Pope et Addison furent les promoteurs de l'apothéose. Ainsi Voltaire a contribué à l'illustration des grands hommes du règne de Louis XIV: cet esprit mobile, curieux, investigateur, ayant beaucoup de renommée, en prêtoit un peu à son prochain, à condition qu'elle lui seroit rendue à de gros intérêts.

Durant les huit années de mon émigration à Londres, je vis Shakespeare dominer la scène ; à peine Rowe, Congrève, Otway, y paroissentils quelquefois ce peintre sublime et inégal des passions ne permettoit à personne de se placer auprès de lui. Mistriss Siddons, dans le rôle de lady Macbeth, jouoit avec une grandeur extraordinaire : la scène du somnambulisme glaçoit d'effroi le spectateur. Talma seul étoit au niveau de cette actrice; mais son talent avoit quelque chose de la correction grecque, qui ne se retrouvoit pas dans celui de Mistriss Siddons.

Invité à une soirée chez lord Lansdown en 1822, Sa Seigneurie me présenta à une dame sévère, âgée de soixante-treize ans : elle étoit habillée de crêpe, portoit un voile noir comme un diadème sur ses cheveux blancs, et ressembloit à une reine abdiquée. Elle me salua d'un ton solennel et de trois phrases estropiées du Génie du Christianisme; puis elle me dit, avec non moins de solennité : « Je suis mistriss Siddons. » Si elle m'avoit dit : « Je suis lady Macbeth, » je l'aurois cru. Il suffit de vivre pour rencontrer ces débris d'un siècle, jetés par les flots du temps sur le rivage d'un autre siècle.

Le parterre anglois étoit en mes jours d'exil turbulent et grossier; des matelots buvoient de la bière au parterre, mangeoient des oranges, apostrophoient les loges. Je me trouvois un soir auprès d'un matelot entré ivre dans la salle; il me demanda où il étoit : je lui dis : A Covent-Garden: « Pretty garden, indeed! - Joli jardin, vraiment! ». s'écria-t-il, saisi comme les dieux d'Homère d'un rire inextinguible. Mais John Bull, dans sa brutalité, étoit meilleur juge des beautés de Shakespeare que ces dandys qui préfèrent actuellement les pièces de Kotzebue et de nos boulevards, traduites en anglois, aux scènes de Richard III et d'Hamlet.

La littérature germanique a envahi la littérature angloise, comme la littérature italienne d'abord, et la littérature françoise ensuite, firent autrefois irruption dans la patrie de Milton. Walter Scott débuta dans la carrière des lettres par la traduction du Berlichingen de Goethe. Puis les drames de Kotzebue profanèrent la scène de Shakespeare on auroit pu choisir autrement, puisqu'on avoit Goethe, Schiller et Lessing. Quelques poëtes écossois ont imité mieux, dans leur courage et dans leurs montagnes, ces chants guerriers de la nouvelle Germanie que M. Saint-Marc-Girardin nous a fait connoître, comme M. Ampère nous a initiés aux Edda, aux Sagas et aux Nibelungen.

« Comme elle dort (la reine de Prusse) doucement! Ses traits respirent encore je ne sais quel air de vie. Ah! puisses-tu dormir jusqu'au jour où ton peuple lavera dans le sang la rouille de son épée, dormir jusqu'à la nuit, la plus belle des nuits, qui verra briller sur les montagnes les signaux de la guerre. Éveille-toi alors, éveille-toi, sainte patronne de l'Allemagne : sois son ange, l'ange de la liberté et de la vengeance '! »

4. Kærner, Notices sur l'Allemagne. M. Saint-Marc-Girardin.

ELOQUENCE POLITIQUE. FOX. BURKE. PITT.

L'éloquence politique pourroit être considérée comme faisant partie de la littérature britannique': j'ai été à même de la juger à deux époques bien différentes de ma vie.

« L'Angleterre de 1688 étoit vers la fin du siècle dernier à l'apogée de sa gloire. Pauvre émigré à Londres de 1792 à 1800, j'ai entendu parler les Pitt, les Fox, les Sheridan, les Wilberforce, les Grenville, les Whitbread, les Lauderdale, les Erskine; magnifique ambassadeur à Londres en 1822, je ne saurois dire à quel point je fus frappé lorsque, au lieu des grands orateurs que j'avois admirés autrefois, je vis se lever ceux qui étoient leurs seconds à la date de mon premier voyage, les écoliers à la place des maîtres. Albion s'en va, comme le reste; les idées générales ont pénétré dans cette société particulière, et la mènent. Mais l'aristocratie éclairée, placée à la tête de ce pays depuis cent quarante ans, aura montré au monde une des plus belles et des plus puissantes sociétés qui aient fait honneur à l'espèce humaine, depuis le patriciat romain. Les derniers succès de la couronne britannique sur le continent ont précipité sa chute : l'Angleterre victorieuse, de même que Bonaparte vaincu, a perdu son empire à Waterloo.

« En 1796 j'assistai à la mémorable séance de la chambre des communes où M. Burke se sépara de M. Fox. Il s'agissoit de la révolution françoise, que M. Burke attaquoit et que M. Fox défendoit. Jamais les deux orateurs, qui jusque alors avoient été amis, ne déployèrent autant d'éloquence. Toute la chambre fut émue, et des larmes remplirent les yeux de M. Fox quand M. Burke termina sa réplique par ces paroles:

« Le très-honorable gentleman, dans le discours qu'il a fait, m'a «< traité à chaque phrase avec une dureté peu commune; il a cen« suré ma vie entière, ma conduite et mes opinions. Nonobstant cette « grande et sérieuse attaque, non méritée de ma part, je ne serai pas épouvanté; je ne crains pas de déclarer mes sentiments dans « cette chambre, ou partout ailleurs. Je dirai au monde entier que la « constitution est en péril. C'est certainement une chose indiscrète en << tout temps, et beaucoup plus indiscrète encore à cet âge de ma vie, « que de provoquer des ennemis ou de donner à mes amis des raisons « de m'abandonner. Cependant, si cela doit arriver pour mon adhé

1. Tout ce qui suit, jusqu'au chapitre Voyages, est extrait de mes Mémoires, et marqué de guillemets.

⚫rence à la constitution britannique, je risquerai tout, et, comme « le devoir public et la prudence publique me l'ordonnent, dans « mes dernières paroles je m'écrierai: Fuyez la constitution fran« çoise! » (Fly from the French constitution.)

« M. Fox ayant dit qu'il ne s'agissoit pas de perdre des amis, M. Burke s'écria :

« Oui! il s'agit de perdre des amis! Je connois le résultat de ma <«< conduite; j'ai fait mon devoir au prix de mon ami, notre amitié « est finie: I have done my duty at the price of my friend; our « friendship is at an end. J'avertis les très-honorables gentlemen qui a sont les deux grands rivaux dans cette chambre, qu'ils doivent à « l'avenir (soit qu'ils se meuvent dans l'hémisphère politique, comme << deux flamboyants météores, soit qu'ils marchent ensemble, comme « deux frères), je les avertis qu'ils doivent préserver et chérir la «< constitution britannique; qu'ils doivent se mettre en garde contre « les innovations, et se sauver du danger de ces nouvelles théories >>> (from the danger of these new theories).

« Pitt, Fox, Burke, ne sont plus, et la constitution angloise a subi l'influence des nouvelles théories. Il faut avoir vu la gravité des débats parlementaires à cette époque, il faut avoir entendu ces orateurs dont la voix prophétique sembloit annoncer une révolution prochaine, pour se faire une idée de la scène que je viens de rappeler. La liberté contenue dans les limites de l'ordre sembloit se débattre à Westminster, sous l'influence de la liberté anarchique qui parloit à la tribune encore sanglante de la Convention.

« M. Pitt, grand et maigre, avoit un air triste et moqueur. Sa parole étoit froide, son intonation monotone, son geste insensible; toutefois, la lucidité et la fluidité de ses pensées, la logique de ses raisonnements subitement illuminés d'éclairs d'éloquence, faisoient de son talent quelque chose hors de ligne.

« J'apercevois assez souvent M. Pitt lorsque de son hôtel, à travers le parc Saint-James, il alloit à pied chez le roi. De son côté, Georges III arrivoit de Windsor, après avoir bu de la bière dans un pot d'étain avec les fermiers du voisinage; il franchissoit les vilaines cours de son vilain châtelet, dans une voiture grise que suivoient quelques gardes à cheval : c'étoit là le maître des rois de l'Europe, comme cinq ou six marchands de la Cité sont les maîtres de l'Inde. M. Pitt, en habit noir, épée à poignée d'acier au côté, chapeau sous le bras, montoit enjambant deux ou trois marches à la fois. Il ne trouvoit sur son passage que trois ou quatre émigrés désœuvrés : laissant tomber sur nous un regard dédaigneux, il passoit le nez au vent, la figure pâle.

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