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philosophique.

part des historiens, ressemble aux secousses du galvanisme. Mais, dans le siècle passé, l'histoire prit une autre direction Histoire sous la plume de ceux qui, s'arrogeant le nom de philosophes, proclamaient l'émancipation du genre humain. L'école philosophique ne pouvait toutefois se dire nouvelle, puisque déjà Machiavel avait cherché à ramener son récit à une théorie sociale, et que Fra Paolo Sarpi exploita les faits pour attaquer la Rome papale en faveur de Venise et de l'autorité laïque : tentative qui ne rehaussa pas l'histoire, mais qui agrandit le pamphlet; car son récit ressemble à ces dossiers présentés par les avocats à l'appui de leurs assertions. Le cardinal Pallavicino descendit en lice contre lui, se servit des mêmes armes, plus l'ennui d'une réfutation, mal racheté par le charme du style et la puissance de la vérité.

Mais, quand l'histoire fut conviée à se liguer avec les autres sciences pour anathématiser tout ce qui jusqu'alors avait été révéré, elle substitua aux faits, éternel langage de Dieu, les opinions, langage éphémère des hommes. Sublime conception, sans doute, que celle de réunir arts, sciences, morale, littérature, pour exprimer la même idée sociale, pour révéler ainsi l'unité des lois du monde et tout coordonner pour le bien-être présent: mais, les intentions fussent-elles loyales, l'état de la société d'alors égarait ceux qui l'avaient conçue. Deux siècles se heurtaient l'un contre l'autre ; la noblesse, le clergé, la monarchie, le peuple, au lieu de s'équilibrer l'un par l'autre, s'embarrassaient réciproquement, et se faisaient une sourde violence; présage certain, pour les esprits d'élite, d'un imminent conflit. Mécontents donc de la société présente, ils en maudissaient les éléments, sans songer qu'ils avaient marché de conserve avant de se déclarer ennemis, et les considéraient, depuis l'origine, non comme des forces morales, mais comme des rivaux importuns. De là cette haine fanatique contre les coutumes et les institutions antérieures, haine qui se manifestait tantôt dans un bon mot, tantôt dans les énormes volumes de l'Encyclopédie. La censure empêchait-elle de combattre à visage découvert les nobles, les prêtres, les trônes encore debout, on s'en prenait aux seigneurs féodaux dans leurs niches de pierre, et aux pontifes sanctifiés; les croisades n'étaient plus que du fanatisme; saint Louis un homme de bien, jouet de ses illusions; Charlemagne un clerc armé; Grégoire VII et Innocent III, deux intrigants mêlant le royaume du ciel à ceux de la terre ; et l'on

allait jusqu'à applaudir le triple sacrilége, religieux, moral et patriotique, contre la Pucelle, libératrice de la France; sacrilége commis par celui qui chantait la petite fossette de madame de Pompadour, par celui qui sollicitait l'appui de la duchesse de Créqui-Lesdiguières pour faire ériger en marquisat sa terre de Ferney, comme une gloire et un bonheur de sa triste vie.

Ce qui venait encore en aide aux philosophes dans leur guerre de plaisanteries et de sarcasmes, c'était la vogue où était alors l'idéologie. Grâce à elle, les questions de fait étaient arrachées au domaine de la réalité, à force d'abstractions, de combinaisons et d'alternatives, jeu bizarre auquel on donnait le nom d'analyse. Voulait-on battre en brèche la noblesse d'alors, frivole, amaigrie, viciée jusqu'aux os? on ne s'enquérait pas de quelle manière, en se posant jadis entre les monarques et le peuple, elle avait contribué aux franchises et à la civilisation du plus grand nombre; mais on disait : « Les hommes naissent égaux, toute inégalité dans la société est donc injuste. »> On disait de même : «La religion doit être un rapport entre Dieu et l'homme, donc c'est chose libre et individuelle; donc point de culte, point de sacerdoce; arrière tout le cortège de l'imposture. » C'est ainsi que le clergé devenait une phalange de fanatiques, hostile à toute instruction; la noblesse, « une bande d'assassins, le faucon au poing, intitulés comtes, marquis et barons. » Les formules abstraites de rébellion, de droit héréditaire, de conspirations réprimées, de légitimité, de coups d'État, étaient substituées aux faits précis les mots de roi, de liberté, d'esclaves, devaient exprimer la même chose à Londres et à Persépolis, pour les contemporains de Périclès et pour ceux de Washington. Dans les invasions des Lombards, des Saxons, des Normands, il n'y avait rien à voir de plus qu'un changement de dynastie; qu'une révolte dans la ligue lombarde; que des concessions royales dans la grande charte et dans l'affranchissement des communes. C'est ainsi qu'à grand renfort d'abstractions, on privait l'histoire des secours que doivent lui prêter l'examen et l'expérience; qu'on la rendait ignorante du passé, abusée sur le présent, stérile pour l'avenir.

On conçoit que les passions, tant qu'elles sont en jeu et menacées dans leur action, peuvent nuire à l'impartialité; mais, quant aux événements depuis longtemps consommés, il semblerait qu'il ne s'agit que de rechercher et d'exposer loyalement

la vérité. Loin de là: l'esprit de système et le préjugé faisaient descendre l'historien du poste élevé d'où il distribue l'infamie et la gloire, pour le mêler à de petites escarmouches, et lui suggérer des sophismes encore plus subtils que ceux dont auraient pu s'étayer les intérêts engagés dans la lutte. Pour recueillir ce qu'on appelait l'esprit des faits, on dénaturait les intentions, en créant des rapports arbitraires entre un premier fait et le caractère de ceux qui lui succédaient. L'historien, poëte dans l'antiquité, devint un avocat qui avait raison en proportion de ce qu'il savait mieux parler ou se taire; car on ne récusait pas les faits, on les rapportait seulement à sa guise. En effet, exagérez certaines particularités; supprimez-en d'autres par des subterfuges habiles; faites briller ici la lumière, tandis que là vous renforcez l'ombre; admettez comme incontestables certaines traditions qui vont à votre gré, en même temps que vous déchaînez la critique contre celles qui vous gênent; déguisez le vide des faits sous l'appareil des systèmes; tournez une vertu en ridicule, tandis que vous couvrez un crime de la sauvegarde d'un bon mot, il vous sera facile de représenter Julien l'Apostat comme un héros et Grégoire VII comme un furieux; d'élever au ciel Dioclétien, qui renonce à l'empire du monde, et pour le même acte d'accuser de lâcheté le pape Célestin.

Qu'il me soit permis de m'arrêter quelque peu sur cette école dont les tristes doctrines ne se sont pas bornées à envahir la littérature. Bien qu'elles aient perdu de leur crédit dans les pays les plus éclairés, je les vois encore inspirer, dans quelques autres, tantôt des redites de société, tantôt des écrits auxquels, pour être applaudis comme des actes d'énergie, suffit le courage inconsidéré de traiter légèrement les choses les plus graves, de tourner en dérision les opprimés, et de lancer le sarcasme contre la religion, la liberté et les convictions profondes. Or, une assurance dogmatique dans les décisions, une verve maligne dans certains portraits, un mode d'observation ingénieux, un petillement perpétuel d'arguties, étaient précisément les procédés au moyen desquels les historiens dont je parle caressaient la propension native de l'homme pour ce qui est défendu, et aiguillonnaient la satiété d'un siècle crédule envers tous ceux qui ne croyaient à rien. Ajoutez à cela l'esprit de coterie, qui fait porter au ciel ceux qui se mettent à sa remorque, déprécier quiconque ose aller contre le courant, et vous vous ex

T. I.

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pliquerez comment acquirent si haute renommée les malencontreux efforts de Mably déraisonnant toujours sans jamais rien dire; les déclamations sentimentales de Raynal et de Diderot; les interminables plaidoyers de Hume, et le vide vaniteux auquel Millot réduit non-seulement son propre récit, mais encore les œuvres dans lesquelles il puise. Vous comprendrez aussi comment on ne tarit pas en louanges sur les récits décousus de Gibbon, dans lesquels on ne sait ce qui domine le plus, ou la mauvaise foi, ou l'élégance guindée, ou les continuelles tendances vers un but unique, celui de dégoûter de toute institution religieuse. Vous concevrez comment furent admirés, et Boulanger, qui sanctifie le hasard pour en faire découler la religion, et Bailly et Dupuis, qui multiplient les siècles pour ne faire des cultes, quels qu'ils soient, que des archives d'observations astronomiques; et les amis de d'Alembert, qui regardaient la connaissance des faits « comme étant seulement d'une néces« sité convenue, comme une des sources les plus ordinaires de « la conversation, en un mot, comme une de ces inutilités si né«< cessaires qui servent à remplir les vides immenses et fré« quents de la société (1). » Vous saurez enfin la valeur des éloges prodigués à toute cette foule, chez laquelle ressort peut-être encore moins la hardiesse de l'entreprise que la manière frivole dont elle fut tentée; en tête, il faut citer l'auteur de l'Essai sur les mœurs, ouvrage plein de verve, de sarcasme et d'ignorance (2).

(1) D'ALEMBERT, Réflexions sur l'histoire.

(2) Comme l'on prétend que c'est la mode aujourd'hui de faire de la reli. gion, je rapporterai le jugement d'un contemporain de Voltaire, d'un écrivain qui ne peut être suspect aux contradicteurs.

« J'étais, dit Mably, très-disposé à pardonner à Voltaire sa mauvaise politique, sa mauvaise morale, son IGNORANCE, et la hardiesse avec laquelle il tronque, défigure et altère la plupart des faits mais j'aurais au moins voulu trouver dans l'historien un poëte qui eût assez de sens pour ne pas faire grimacer ses personnages, et qui rendit les passions avec le caractère qu'elles doivent avo ir: un écrivain qui eût assez de goût pour ne jamais se permettre des bouffonneries dans l'histoire, et qui eût appris combien il est barbare et scandaleux de rire et de plaisanter des erreurs qui intéressent le bonheur des hommes. Ce qu'il dit n'est ordinairement qu'ébauché : veut-il atteindre au but, il le passe, il est outré.

« Ce qui m'étonne davantage, c'est que cet historien, ce patriarche de nos philosophes, cet homme enfin qu'on nous représente comme le plus puissant génie de notre nation, ne voie pas jusqu'au bout de son nez.

«Voltaire se vante quelque part d'avoir lu nos Capitulaires : mais il n'est pas

Affiliés pour la plupart à cette philosophie qui tient à prouver que je ne sais quels fluides produisent le courage du héros, comme la mollesse du Sybarite, et qui voudrait débarrasser

donné à tout le monde d'y puiser assez de gaieté pour être le plus frivole et le plus plaisant des historiens.

Que de choses inutiles qu'un historien ne se permet que quand il est fort IGNORANT!

<< Malheureusement cet auteur a fini tous ses ouvrages avant que d'avoir bien compris ce qu'il voulait faire.

«La vérité n'est quelquefois pas vraisemblable, et il n'en faut pas davantage pour qu'un historien qui se pique d'être philosophe, sans avoir trop étudié les travers de l'esprit humain et les caprices de nos passions et de la fortune rejette comme une erreur tout événement qui lui paraît extraordinaire : c'est la manière de Voltaire.

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« Pour me prouver combien sa critique est circonspecte et sévère, il dira que l'aventure de Lucrèce ne lui parait pas appuyée sur des fondements bien authentiques, de même que celle de la fille du comte Julien. La preuve qu'il en donne, c'est qu'un viol est d'ordinaire aussi difficile à prouver qu'à faire. Un goguenard sans goût peut rire de cette mauvaise plaisanterie, mais elle déshonore un historien.

« Son Histoire universelle n'est qu'une pasquinade digne des lecteurs qui Padmirent sur la foi de nos philosophes.

« Quel autre historien aurait osé dire que les enfants ne se font pas à coups de plume? Un écrivain judicieux aurait cru se déshonorer par une bouffonnerie si indécente. Voltaire a semé dans cette Histoire universelle une foule de plaisanteries, qui ont du sel, et que je louerais dans une comédie ou dans une satire; mais elles sont déplacées et impertinentes dans une histoire. » (De la manière d'écrire l'histoire.)

Benjamin Constant, autorité non douteuse, disait que, pour plaisanter comme l'a fait Voltaire sur Ézéchiel et sur la Genèse, il fallait réunir deux choses qui rendent la plaisanterie bien misérable : la plus profonde IGNORANCE et la plus déplorable légèreté. Je veux en outre citer M. Villemain de préférence à tant d'autres, d'abord parce que la modération de ce prudent critique est très-connue ; en second lieu, parce qu'il se montre généralement assez respectueux envers le patriarche de l'Encyclopédie; enfin parce que ses leçons, professées publiquement en présence de la jeunesse française, en ont contracté quelque chose de solennel dans l'expression et presque de populaire. Eh bien! dans son Cours de littérature française, il dit en parlant de Voltaire (Leçon XVIe):. «Sa vue moqueuse du christianisme altère la vérité de l'histoire, eu détruit l'intérêt, et substitue des caricatures au tableau de l'esprit humain..... L'auteur n'aime pas son sujet (Histoire du moyen âge); il l'a en pitié; il le méprise, et par cela même il s'y trompe assez souvent, malgré tant de sagacité, et même d'exactitude. Car ne supposez pas Voltaire généralement inexact... ce qui manque seulement à son ouvrage, c'est la chose même qu'il promettait, la phi. losophie... Il avait médiocrement étudié l'antiquité, dont il veut donner une idée sommaire après Bossuet. Les erreurs de noms et de dates, les citations tronquées, et, il faut le dire, les IGNORANCES abondent dans sa prétendue critique de l'histoire ancienne.

«Il établit ce singulier principe, que les faiblesses des princes ne doivent

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