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peint avec Hérodote, médite avec Thucydide, raconte avec César, compile avec Diodore : l'histoire expose les événements développés dans une politique plus ou moins étroite, dans l'intérêt d'une ville, d'un empire, d'une ambition, sans jamais s'occuper de l'humanité; elle considère les Grecs et les Romains comme des peuples privilégiés, les autres comme des barbares ou des esclaves.

Le christianisme releva l'histoire et la rendit universelle, du moment où, proclamant l'unité de Dieu, il proclama celle du genre humain en nous apprenant à invoquer notre Père, il nous enseigna à nous regarder tous comme des frères. Alors seulement put naître l'idée d'un accord entre tous les temps et toutes les nations, ainsi que l'observation philosophique et religieuse des progrès perpétuels et indéfinis de l'humanité vers le grand œuvre de la régénération et le règne de Dieu. Saint Augustin, Eusèbe, Sulpice-Sévère, et quelques autres au déclin de l'empire romain, envisagèrent l'histoire sous ce point de vue. Le moyen âge, plus occupé de préparer l'avenir que de méditer sur le passé, laissa leur voix se perdre dans l'oubli, jusqu'à ce que Bossuet s'inspirât d'elle dans son sublime Discours, qui réunit l'observation des modernes à l'exposition des anciens, et dans lequel une érudition vigoureuse se pare d'un style inimitable.

Contemplant le monde des hauteurs du Sinaï, tandis qu'il intime aux puissants des vérités dures et inaccoutumées, puisées au livre infaillible, tandis qu'il va proclamant la vanité de toutes les choses humaines, il contemple le convoi funèbre des peuples et des rois qui passent de la vie à la mort, dirigés par le doigt du Seigneur, comme si les nations n'étaient destinées qu'à faire cortége au Messie, attendu ou donné.

Si l'idée de placer tous les peuples sous la conduite de Dieu est due à Bossuet, c'est à Vico que l'on doit celle de la Providence, celle d'une loi sage se manifestant au milieu des erreurs et des iniquités. Partant d'une théorie métaphysique sur la justice, dont il trouve les principes dans la nature spirituelle de l'homme et dont il suit les applications dans le droit historique, il croit que les faits se développent dans des rapports plus ou moins directs avec une loi à laquelle est subordonné le monde des nations. Après avoir éclairé l'histoire de la législation romaine, en généralisant l'hypothèse, dans la Science nouvelle, il indique comment les hommes s'élèvent de l'état de

nature à l'association civile, comment les aristocraties se plient aux gouvernements humains, ainsi qu'il les appelle, pour retomber ensuite dans la brutalité originaire; car les âges d'idolâtrie, de barbarie, de législation, ou autrement, les temps mythiques, héroïques et historiques, tracent un cercle fatal que les nations parcourent inévitablement. Vico devança son siècle; grâce à une admirable force d'intuition, il interrogea sur les temps primitifs les fables et les traditions poétiques, les récits détachés, les traces conservées par le langage; mais, en recherchant les principes du monde des nations dans la nature de notre esprit et dans la force de notre intelligence, il subordonne l'érudition à la méditation; il ne sait pas biaiser avec la difficulté, et il force l'histoire à parler selon son système; il restreint les faits aux proportions de son caractère poétique et de son idéal romain. Tous les efforts donc qui poussent le monde vers le mieux ne pourront, hélas! réussir qu'au pire et à la destruction; de sorte que l'humanité serait contrainte de recommencer toujours cette tâche fatale et inconsolée. Il ne suppose pas même, comme Machiavel, que le génie de l'homme puisse, en ramenant les institutions à leur origine, empêcher cet éternel trajet de la vie à la mort. Bien plus : après que Giordano Bruno eut, en 1584, soutenu la pluralité des mondes; que Galilée, Descartes, Newton, Huyghens, eurent révélé l'ordre des cieux, Vico appelle absurde l'existence de plusieurs mondes, et soutient que, quand il existeraient, ils devraient subir la même loi providentielle que le nôtre.

A part le reproche d'avoir négligé tout le monde oriental, on ne saurait lui pardonner d'avoir laissé sans explication, dans le nôtre, des événements capitaux, la destruction de l'idolâtrie, de l'esclavage, des castes, la prééminence donnée aux droits de l'homme sur ceux du citoyen. Vint ensuite la société américaine, avec une civilisation sans dieux, ni héros, ni feudataires, se constituant à force d'industrie et de concurrence. Elle donna un démenti à Vico, pour qui tout progrès se réduisait à une résurrection de la Grèce et de Rome; et par elle s'accrut la confiance que l'homme n'est pas destiné à traverser les superstitions et les atrocités pour arriver à l'intelligence et à la justice. Vico, si supérieur à son siècle, dont il ne fut ni compris ni même écouté, reprit crédit dans le nôtre, mais ce fut quand le progrès eut franchi le cercle qu'il lui avait tracé; en sorte qu'il ne lui reste plus rien à prédire. Son œuvre demeure cependant parmi

le petit nombre de livres originaux qui émeuvent jusqu'au fond de l'âme et donnent l'impulsion à la pensée. Toutes les théories modernes s'y rattachent; car, avant Beaufort, il relégua au rang des mythes l'histoire des premiers temps de Rome; avant Wolf, il se douta que l'Iliade était l'ouvrage d'un peuple, et la dernière expression érudite après des siècles de poésie inspirée ; avant Creuzer et Görres, il découvrit des idées et des symboles dans les images des dieux et des héros, et appela l'attention sur le caractère austère et religieux du berceau des nations; avant que Niebuhr y parvint par l'érudition, il trouva par l'inspiration du génie le véritable mot de la lutte entre les patriciens et les plébéiens, celui des familles et des curies (gentes et curiæ); avant Gans et Montesquieu, il démontra l'intime relation du droit avec les mœurs, et comment les gouvernements se plient à la nature des gouvernés.

Mais si Montesquieu, génie emprisonné dans son siècle, avait connu la Science nouvelle, déjà publiée lorsqu'il parcourait l'Italie, peut-être aurait-il rallié à un principe supérieur les observations de détail avec lesquelles il traça aussi une histoire de l'humanité, en attribuant les institutions et la manière d'être des peuples aux législateurs, aux philosophes, aux intrigants et, faute d'autre cause, au climat, dont il fit une barrière au progrès, une entrave au libre arbitre.

Tandis que Bossuet se fondait sur la foi et sur la menace, Voltaire portait la critique et la moquerie sur les questions les plus importantes, qu'il prétendit résoudre par une série de plaisanteries intitulée philosophie de l'histoire. Rien ne montre mieux à quelles extravagances est forcé de croire celui qui ne veut croire à rien.

Kant, modifiant la pure raison et l'étude de l'homme pris abstractivement, par celle de l'homme concret, excita parmi les Allemands le goût de l'histoire. Il fit entrevoir la possibilité d'en écrire une générale, dans laquelle l'espèce humaine serait considérée comme l'accomplissement d'un dessein mystérieux de la nature, tendant à perfectionner une constitution intérieure vers laquelle sont dirigées les lois des États, conformément aux dispositions que la nature a imprimées à l'homme.

Cette unité de but dans le mouvement des sociétés avait été déjà indiquée; mais il l'exprima plus clairement en la distinguant de l'harmonie de la création, et il fonda une école de penseurs appliquée à observer de quelle manière les individus

et la société coopèrent au perfectionnement de l'humanité. Herder, souvent obscur, toujours déclamateur, exagérant l'influence du climat, indiquée par Hippocrate des centaines d'années avant Bodin et Montesquieu, pétrifie l'histoire tout en prétendant lui imprimer le mouvement. Il fait du monde la représentation de je ne sais quel dieu-nature : les êtres s'élèvent en série progressive du minéral et de la plante jusqu'à l'homme; toutes les forces de la nature existent depuis l'éternité, et dans leur ensemble Dieu réside: de même que de leurs combinaisons naissent tous les êtres, de leur balancement harmonique naît le mouvement universel: par elles, l'homme agit sur le monde extérieur, et celui-ci sur lui; de sorte que les mœurs, les lois, la liberté, varient selon le degré de latitude; et, pour le système de l'univers, surgit à époque fixe telle ou telle forme de gouvernement et d'améliorations. Mais s'agit-il de rendre raison du langage? le secours de la nature lui échappe, et il est contraint de se réfugier dans la tradition.

Boulanger, scrutant l'histoire primitive, fait enfanter la société par l'effroi, comme Vico. Les dieux dominèrent d'abord, puis les héros divinisés; les républiques se constituèrent ensuite. La théocratie renaquit dans le moyen âge; puis la société s'achemina de nouveau vers les monarchies tempérées, dernier terme du progrès.

Turgot affirme que, tandis que les animaux et les plantes se reproduisent avec une inaltérable uniformité, les hommes vont s'améliorant en savoir et en moralité: de chasseurs pasteurs, puis agriculteurs : le christianisme fut un progrès, continué dans le moyen âge.

Ici se montre déjà clairement l'idée de la marche toujours progressive de l'humanité, considérée comme un être unique. C'est l'idée proclamée indéfiniment par Condorcet, créature de l'Encyclopédie, qui ne voyait toutefois d'améliorations que dans ce qui était alors effectué par la révolution. Il esquissa une dixième époque, qu'il se plut à embellir de tous les perfectionnements de l'homme et de la société, perfectionnements toujours dirigés pourtant vers le bien-être individuel.

Pour de Maistre, le monde n'est qu'un immense autel où toute chose doit être immolée en expiation perpétuelle du mal causé par la liberté de l'homme. Pour Ballanche aussi, ce monde est une cité d'expiation où se développent les deux dogmes générateurs, de la chute et de la réhabilitation; tandis que Miche

let, à la suite de Schelling, y voit un combat incessant de la liberté contre la fatalité. Cousin professe que toute époque se constitue de l'un des éléments de la raison humaine, l'infini, le fini, le rapport, et qu'un pays, un peuple, un génie, ne grandit qu'autant qu'il sert fatalement à l'un de ces éléments. Le génie, pour lui, ne serait tel qu'à raison de ce qu'il est l'expression de la généralité d'un peuple; tout peuple, tout lieu, toute révolution, représenterait l'un des termes du développement nécessaire; et le triomphe sanctionnerait toujours la cause la meilleure.

En tête de l'école philosophique-historique allemande, Hegel prétend que l'âme du monde se manifeste à l'homme sous quatre aspects: substantiel, identique, immobile en Orient; individuel, varié, actif en Grèce ; à Rome, composé des deux premiers en lutte perpétuelle entre eux; et c'est de cette lutte qu'il fait sortir le quatrième pour accorder ce qui était divisé, phénomène offert par les nations germaniques. Pour lui, la religion n'est pas seulement une impulsion du sentiment, un éclair de l'imagination, mais le résultat complet de toutes les facultés du genre humain. En Orient, l'homme s'anéantit dans l'idée de l'Etre infini; de là la puissance théocratique ; en Grèce, l'infini disparaît pour faire place à l'immense activité humaine, qui devient prédominante à Rome, et enfante une personnalité égoïste; puis, chez les nations germaniques, l'unité divine se réconcilie avec la nature humaine, et la liberté, la vérité, la moralité y prennent naissance.

D'autres aussi s'appuient sur la religion. Daumer, après Lessing, croit que toutes les religions précédentes ne furent que des révélations successives de la plus haute raison humaine, un acheminement vers une religion absolue. Les saint-simoniens, portant leur attention sur le peuple qui travaille et qui a faim, qui obéit et souffre, pensent que tout effort humain doit tendre à l'unité de sentiment, de doctrine, d'activité; à l'association religieuse, scientifique, industrielle, dans laquelle sera assigné à chacun un travail selon sa capacité et une rétribution selon ses œuvres.

Mariant cette doctrine à celle de Herder, avec une érudition plus positive, Buchez analyse l'idée du progrès de manière à en fonder la science sur des bases métaphysiques: il présente la théorie complète de l'activité sentimentale, scientifique et

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