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politique que les Philofophes ne peuvent réfoudre. Il fentira que le genre humain d'un âge n'étant pas le genre humain d'un autre âge, la raison pourquoi Diogene ne trouvoit point d'homme, c'est qu'il cherchoit parmi fes contemporains l'hom me d'un temps qui n'étoit plus : Caton dira-t-il, périt avec Rome & la liberté, parce qu'il fut déplacé dans fon fiecle; & le plus grand des hommes ne fit qu'étonner le monde qu'il eûr gouverné cinq cens ans plutôt. En un mot, il expliquera comment l'ame & les paffions humaines s'altérant infenfiblement changent pour ainfi dire de nature; pourquoi nos befoins & nos plaifirs changent d'objets à la longue; pourquoi, l'homme originel s'évanouiffant par degrés, la fociété n'offre plus aux

yeux du fage qu'un affemblage d'hommes artificiels, & de pafions factices, qui font l'ouvrage de toutes ces nouvelles relations, & n'ont aucun vrai fondement dans la nature. Ce que la réflexion nous apprend là deffus, l'obfervation le confirme parfaite ment. L'homme fauvage & l'homme policé different tellement par le fond du cœur & des inclinations, que ce qui fait le bonheur fuprême de l'un réduiroit l'autre au défespoir. Le premier ne refpire que le repos & la liberté, il ne veut que vivre & refter oifif; & l'ataraxie même du Stoïcien n'approche pas de fa profonde indifférence pour tout autre objet. Au contraire, le citoyen toujours actif fue, s'agite, fe tourmente fans ceffe pour chercher des occupations encore plus laborieufes: il

travaille jufqu'à la mort, il y Court même pour fe mettre en état de vivre, ou renonce à la vie pour acquerir l'immortalité. Il fait fa cour aux grands qu'il hait, & aux riches qu'il méprife; il n'épargne rien pour obtenir l'honneur de les fervir; il fe vante orgueilleufement de fa baffeffe & de leur protection; &, fier de fon efclavage, il parle avec dédain de ceux qui n'ont pas l'honneur de le partager. Quel fpectacle pour un Caraïbe que les travaux pénibles & enviés d'un miniftre européen! Combien de morts cruelles ne préféreroit pas cet indolent Sauvage à l'horreur d'une pareille vie, qui fouvent n'eft pas même adoucie par le plaifir de bien faire ! Mais pour voir le but de tant de foins, il fau droit que ces mots, puiffance &

réputation, euffent un fens dans fon efprit; qu'il apprêt qu'il y a une forte d'hommes qui comptent pour quelque chofe les regards du refte de l'univers, qui favent être heureux & contents d'eux-mêmes fur le témoignage d'autrui plutôt que fur le leur propre. Telle eft, en effet, la véritable caufe de toutes ces différences: le Sauvage vit en luimême; l'homme fociable, toujours hors de lui, ne fait vivre que dans l'opinion des autres & c'eft, pour ainfi dire, de leur feul jugement qu'il tire le fentiment de fa propre existence. Il n'eft pas de mon fujet de montrer comment d'une telle difpofition naît tant d'indifférence pour le bien & le mal avec de fi beaux difcours de morale; comment, tout fe réduifant aux apparences, tout de

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vient factice & joué ; honneur amitié, vertu, & fouvent juf qu'aux vices mêmes, dont on trouve enfin le fecret de fe glorifier; comment " en un mot, demandant toujours aux autres ce que nous fommes, & n'ofant jamais nous interroger là deffus nous-mêmes, au milieu de tantde Philofophie, d'humanité, de politeffe & de maximes fublimes, nous n'avons qu'un extérieur trompeur & frivole, de Phonneur fans vertu, de la raifon fans fageffe, & du plaifir fans bonheur. Il me fuffit d'avoir prouvé que ce n'eft point là l'état originel de l'homme; & que c'eft le feul efprit de la fociété, & l'inégalité qu'elle engendre, qui changent & alterent ainfi toutes nos inclinations naturelles.

J'ai tâché d'exposer l'origine

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