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famille raffemblée dans une même habitation, & fes membres gardant entr'eux une union aussi intime & auffi permanente que parmi nous, où tant d'intérêts communs les réuniffent; au lieu que dans cet état primitif, n'ayant ni maison, ni cabanes, ni propriété d'aucune efpece, chacun fe logeoit au hazard, & fou vent pour une feule nuit; les mâles & les femelles s'uniffoient fortuitement felon la rencontre, l'occafion, & le defir, fans que la parole fût un interprete fort néceffaire des chofes qu'ils avoient à fe dire: ils fe quittoient avec la même facilité. (ro) La mere (ro) allaitoit d'abord fes enfants pour fon propre befoin; puis l'habitude les lui ayant rendus chers, elle les nourriffoit enfuite pour le leur fi-tôt qu'ils avoient la force de chercher leur pâture,

ils ne tardoient pas à quitter la mere elle-même; & comme il n'y avoit presque point d'autre moyen de fe retrouver que de ne pas fe perdre de vue, ils en étoient bientôt au point de ne pas même fe reconnoître les uns les autres. Remarquez encore que l'enfant ayant tous fes befoins à expliquer, & par conféquent plus de chofes à dire à la mere, que la mere à l'enfant, c'est lui qui doit faire les plus grands frais de l'invention, & que la langue qu'il emploie doit être en grande partie fon propre ouvrage; ce qui multiplie autant les langues qu'il y a d'individus pour les parler: à quoi contribue encore la vie errante & vagabonde, qui ne lai-. ffe à aucun idiôme le temps de prendre de la confiftance; car de dire que la mere dicte à

l'enfant les mots dont il devra fe fervir pour lui demander telle ou telle chofe, cela montre bien comment on enfeigne des langues déjà formées, mais cela n'apprend point comment elles fe forment.

Suppofons cette premiere difficulté vaincue : franchiffons pour un moment l'efpace immenfe qui dut fe trouver entre le pur état de nature & le befoin des langues; & cherchons, en les fuppofant néceffaires, (b) (b) comment elles purent commencer à s'établir. Nouvelle difficulté pire encore que la précédente car fi les hommes ont eu befoin de la parole pour apprendre à penfer, ils ont eu bien plus befoin encore de favoir penfer pour trouver l'art de la parole. Et quand on comprendroit comment les fons de la voix ont été

pris pour les interpretes conventionnels de nos idées, il refteroit toujours à favoir quels ont pu être les interpretes mêmes de cette convention pour les idées qui, n'ayant point un objet fenfible, ne pouvoient s'indiquer ni par le gefte, ni par la voix : de forte qu'à peine peut-on former des conjectures fupportables fur la naiffance de cet art de communiquer fes pensées, & d'établir un commerce entre les efprits. Art fublime, qui est déjà fi loin de fon origine, mais que le Philofophe voit encore à une fi prodigieufe diftance de fa fection, qu'il n'y a point d'hom me affez hardi affurer qu'il pour y arriveroit jamais, quand les révolutions que le temps amene néceffairement feroient fufpendues en fa faveur, que les préjugés fortiroient des Académies

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ou fe tairoient devant elles & qu'elles pourroient s'occuper de cet objet épineux durant des fiecles entiers fans interruption.

Le premier langage de l'hom me, le langage le plus univerfel, le plus énergique, & le feul dont il eut befoin avant qu'il fallût perfuader des hommes affemblés, eft le cri de la Nature. Comme ce cri n'étoit arraché que par une forte d'instinct dans les occafions preffantes, pour implorer du fecours dans les grands dangers, ou du foulagement dans les maux violents, il n'étoit pas d'un grand usage

dans le cours ordinaire de la vie, où regnent des fentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencerent à s'étendre & à fe multiplier, & qu'il s'établit entr'eux une communi

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