Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Xe époque,' 800-1096;

religions; c'est une autre émigration, mais elle ne porte pas avec elle l'affranchissement, comme l'émigration septentrionale, elle ne dépose pas les armes en rencontrant la croix. Loin de là, elle veut effacer la florissante civilisation de l'Occident, et la remplacer par le despotisme dans les choses temporelles et spirituelles, par l'esclavage, par l'asservissement de la femme. L'Afrique et l'Asie perdent ce qu'elles avaient adopté d'européen; mais heureusement le croissant rencontre les remparts de Constantinople à l'orient; à l'occident, la francisque de Charles-Martel et l'épée du Cid.

Cependant, quand la première impétuosité s'est apaisée, les khalifes contribuent à la civilisation en conservant la science, et au milieu des erreurs d'un peuple servile et superstitieux, y ajoutent de nouvelles découvertes. Ils développent les arts du beau et du vrai, qui doivent un jour enseigner à l'Europe la gaie science, le roman, la scolastique, la chimie, les mathématiques, l'astronomie. Les tribus dispersées et hostiles de l'Arabie sont aussi rassemblées en un faisceau dans l'unité de croyance et, s'établissant au cœur de l'Asie et de l'Afrique, elles y ressuscitent le commerce; substituent Bassora, Damas et le Caire à la prospérité éclipsée de Byzance et d'Alexandrie; trafiquent avec la Chine; polissent les Malais et les habitants des Moluques; imposent enfin leur langue et leur culte jusqu'à la Cafrerie, en portant aux idolâtres la connaissance de la pure unité de Dieu.

Au pouvoir oriental qui s'est concentré dans les khalifes vient se Carlovingiens. heurter celui d'Occident unifié dans les papes. Par l'exercice du double sacerdoce de la religion et de la justice civile, en rendant celle-ci avec solennité, en sanctionnant ses arrêts au moyen de rémunérations invisibles, et en la soustrayant à la force brutale, les ecclésiastiques fondèrent une autorité qui ne s'appuyait pas sur les armes. Quand un empereur voulut entraver la liberté des croyances, les pontifes arrachèrent l'Italie au joug oriental. Ce fut des conflits avec les Longbards que leur puissance sortit affermie. Alors, pour donner au monde l'unité politique, comme ils lui avaient donné l'unité religieuse, ils rétablissent l'empire d'Occident par des princes qui, librement élus, représentent la république chrétienne. Le premier de ces princes, Charlemagne, constitue des lambeaux de vingt royaumes barbares, une vaste monarchie et, de même que le grand Alfred, il tend à façonner ses États nouveaux selon les idées religieuses, en paci

fiant, en réhabilitant les lois et la pensée, en réunissant les trois éléments de la société nouvelle, la liberté septentrionale avec ses garanties, les traditions des Romains avec leur administration et leur littérature, et l'Église avec sa moralité et sa hiérarchie.

Ainsi, bien que masquée par les événements extérieurs, en Europe la civilisation se manifeste dans les traditions renouées des sciences et des gouvernements, dans la transformation de l'ancien esprit d'invasion en celui d'influence morale et intellectuelle où sont les bases de l'avenir.

Tandis que les Arabes, comme un torrent suspendu, menacent à chaque instant de nouvelles dévastations, le Nord envoie des essaims de guerriers qui, sur des navires de course ou sur des chevaux tartares, troublent le sommeil paresseux des successeurs de Charlemagne. Mais les Normands ne tardent pas à changer leurs pirateries en conquêtes, et à fonder des royaumes pleins d'avenir. Les Madgyares sont refrénés par Othon le Grand, et avec les Russes, les Polonais et les Suédois, nouvellement conquis au christianisme, ils forment une barrière contre l'Orient, au même moment où la bravoure espagnole repousse le Midi.

Maintenant que les États devenus adultes se règlent selon les opinions, il n'est pas facile de comprendre ni la nature de ceux qui se réglaient par sentiment, ni l'ordre compacte qui dominait au milieu de l'anarchie apparente. Cette unité nécessaire pour s'opposer aux discordes intestines et aux invasions, se manifestait dans l'Empire, souveraineté protectrice, fondée sur l'universalité des croyances, choisie par ses pairs, tempérée par eux, et relevant de Dieu, à qui elle prête hommage en la personne de son vicaire sur la terre. Une souveraineté constituée de cette manière exclut la tyrannie d'un despote comme celle d'une faction; elle assujettit la formule et la lettre morte à l'esprit, à l'intention, au caractère personnel. L'équilibre dynamique viendra bien incompletement se substituer à cet accord entre les pouvoirs temporel et spirituel. L'empereur se considérait comme destiné à défendre la chrétienté avec le dévouement d'un chevalier, et si les pontifes erraient dans les choses humaines, il les rappelait au devoir. Les pontifes, à leur tour, représentant le peuple, élus dans son sein et par lui, en son nom et en celui de Dieu, sacraient les empereurs; veillaient sur les traités jurés; donnaient l'éveil à la chrétienté toutes les fois que la constitution était violée; et sans laisser passer

Xe epoque,

1096;

inaperçue aucune lésion à la morale ou à la justice, ils menaçaient les coupables obstinés, quel que fût leur rang, de les exclure de la communion des fidèles; châtiment moral dont la force démontre qu'il était l'expression de la justice publique.

Mais comme le vice capital du moyen âge fut l'absolu, cette tutelle réciproque dégénéra bientôt en arrogance et en tyrannie, et, l'équilibre une fois rompu, on combattit avec l'anathème et avec l'épée. Nous devrons nous arrêter longuement sur ces différends, qui retardèrent le développement de la société chrétienne et compromirent son unité, mais d'où sortirent les constitutions politiques de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre.

Malheur, si la division se fût introduite alors que l'islamisme, les croisades. dans la vigueur d'une jeunesse fanatique, s'élançait de l'Espagne et de la Syrie en menaçant l'Europe! A l'approche du péril, l'autorité qui veille sur la civilisation occidentale élève la voix; de toutes parts accourent preux et dévots, guerriers et pèlerins; et l'Europe, selon l'expression d'Anne Comnène, arrachée de ses racines, semble se précipiter sur l'Asie. C'était encore la grande unité chrétienne qui se mouvait comme un seul homme, ne connaissant qu'une seule raison, celle que proclamait son cri de guerre, Dieu le veut. Un enthousiasme héroïque, la profondeur d'un sentiment unique, une merveilleuse énergie de volonté, arrêtent l'esprit sur cette grande réaction de l'Occident contre l'Orient. Elle continua avec plus ou moins d'ardeur et de désintéressement jusqu'à la prise de Rhodes; elle se fit même permanente, et s'organisa en instituts religieux, armés pour affranchir l'Espagne, défendre l'Europe contre l'Asie, et acquérir le Nord.

Dans ces expéditions, les esprits guerriers de l'Occident s'élèvent vers un but plus noble. En voyant les civilisations musulmane et grecque, l'Europe améliore la sienne. La féodalité a accompli sa part de bien en faisant refluer la population dans les campagnes, en développant dans l'isolement des manoirs les affections domestiques, en réhabilitant la femme, et en réveillant le sentiment de la personnalité, si faible chez les Romains et les Grecs. Elle se voit faiblir, depuis que les petits seigneurs vont se grouper autour des hauts barons, vivent près d'eux, et apprennent à obéir. Beaucoup, afin d'avoir de l'argent pour les expéditions, engagent leurs fiefs, d'autres les laissent vacants en mourant outre-mer: ainsi l'autorité royale ou les communes en

profitent. Le menu peuple a partagé les efforts, les périls, les affections de ses maîtres; celui qui est demeuré dans ses foyers a profité de leur éloignement pour respirer de sa longue oppression, et a observé avec convoitise la prospérité des républiques maritimes, dont le commerce s'est étendu aux contrées les plus riches de l'Asie. Avant de maudire le clergé, mettons-nous un moment à la place de la plèbe d'alors, d'où sortit le peuple d'aujourd'hui. Avant de déblatérer contre le moyen âge, rayez de ses fastes Charlemagne et Alfred, Grégoire le Grand et saint Louis, Étienne de Hongrie et Othon le Grand, Godefroy de Bouillon et Frédéric II, saint Thomas et Roger Bacon. Que ceux qui raillent la frénésie religieuse des croisades ne se plaignent pas de voir le croissant briller sur les harems et sur les marchés de chair humaine dans la plus belle ville du monde.

Dans les croisades, comme jadis la Grèce dans la guerre de Troie, l'Europe apprit à se connaître elle-même, et à mesurer ses forces pour s'élancer hardiment sur la voie de l'avenir. Désormais la chrétienté a un nom, même dans la politique, à opposer à ceux qui refusent de marcher avec nous sur les routes de la civilisation.

1100-1270;

L'empire oriental, entouré d'eunuques, de femmes et de so, XIIe époque, phistes, décline à tel point, que les Grecs même, répudiant leur les communes. nom, s'appellent Romains. La splendeur première du khalifat s'éclipse depuis que les élans de l'enthousiasme arabe s'éteignent dans les délices énervantes de Bagdad, et l'épée d'Amrou tombe aux mains des faibles imans et des mollahs suppliants.

Au contraire, l'empire d'Occident, passé des Francs aux Allemands, s'élève à son point culminant sous les maisons de Saxe et de Souabe, tandis que la puissance pontificale touche aussi à son apogée et, posant des limites aux abus des puissants, ouvre la porte aux franchises représentatives.

Aussi ce n'est plus le temps où les princes seuls apparaissent sur la scène; le peuple s'y montre à son tour. La plèbe, même après avoir à Rome acquis les droits naturels, restait toujours attachée en grande partie à la glèbe; à cette heure, elle acquiert la faculté de changer de sol et de choisir un maître. Au milieu des guerres tantôt sourdes, tantôt ouvertes, par lesquelles les princes cherchent à convertir la préséance féodale en prérogative princière, les seigneurs à conserver l'indépendance, et à transformer le 4

T. I.

domaine politique en propriété réelle et personnelle privée; au milieu des discordes des conquérants, les vaincus relèvent la tête, le sentiment de leur propre dignité les reporte à celui de leur propre grandeur; et par ces différends, par les vieux livres exhumés, par les traditions non encore effacées, ayant appris le nom de droit, ils prétendent conserver ou recouvrer possessions, lois, union. Alors se multiplient les luttes entre la féodalité, l'Église, l'empire et les communes. Pour la première fois depuis que le monde existe, on s'occupe des paysans; on rend à tous la capacité politique, les serfs sont affranchis, une véritable idée de la liberté civile se fait jour, le tombeau de la noblesse se prépare, et le berceau du peuple. La puissance royale se consolide par la formation d'une classe moyenne'; et l'Europe, que les Barbares trouvèrent partagée à l'orientale, en maîtres et en esclaves, ne comptera plus désormais que des hommes.

Cependant, grâce à la chevalerie, splendide filiation du génie méridional et septentrional, des Sarrasins et des Normands, la valeur devient humaine et généreuse. La jurisprudence romaine ressuscitée place le droit sur le siége usurpé par la force. Une architecture originale élève partout des palais au peuple et des temples à la Divinité. Les langues, employées à traiter des intérêts de la patrie, sortent de l'enfance; l'idiome provençal est l'anneau qui joint les classiques aux modernes ; l'italien éclôt du latin vulgaire; le français se mêle au celtique, au tudesque, au picard, au normand, au wallon; l'espagnol se fond harmonieusement avec l'arabe et le goth ; le portugais conserve en plus grande partie l'aspiration orientale, tandis que du goth et du scandinave découlent l'allemand, le hollandais, le flamand, le danois, le suédois; enfin le saxon, fécondé par le normand, engendre l'anglais moderne. Déjà l'on entend dans des langages nouveaux, avec des formes fantastiques et originales, chanter la religion, la vaillance et l'amour, tandis que le Levant conserve l'érudition morte et les matériaux écrits, sans savoir en faire jaillir une étincelle. Les idiomes deviennent le signe distinctif des nations, et semblent tracer des cours divers à la culture européenne, selon qu'ils dérivent du teuton, du latin ou du slave.

Dans ces entrefaites les républiques italiennes étendent le commerce de l'Euxin à l'Atlantique, du golfe d'Arabie à la Baltique; elles aident puissamment la civilisation en fondant les rapports

« ZurückWeiter »