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dans l'Union, ont été comme le soldat du centurion de l'Evangile. Ils ne se sont plus appartenus; ils n'ont plus eu qu'à obéir passivement.

En un mot, il s'est créé ainsi un régime de terreur qui proteste contre la prétention du siècle d'avoir des mœurs libérales, contre celle de l'Angleterre, d'être par son intelligente pratique de la liberté, dans la vie civile aussi bien que dans la vie politique, un modèle que les nations de l'Europe doivent se proposer d'imiter.

La manière dont ces abus ont été découverts et les conséquences qu'a eues cette découverte méritent de vous être signalées, Messieurs, parce qu'il en ressort un enseignement pour les peuples civilisés. Je pourrais dire que c'est effrayant, quoique sur le terrain scientifique, qui est ici le nôtre, on doive, non s'effrayer des faits, quels qu'ils soient, mais se contenter d'en rechercher le sens et la portée, et tåcher d'en trouver le remède, quand ils sont dangereux et détestables, L'opinion publique était saisie et inquiète de quelques crimes étranges qui avaient été commis dans les villes manufacturières, et particulièrement à Sheffield, et dont des ouvriers et des chefs d'industrie avaient été les victimes. La clameur publique disait que les Trades' Unions avaient trempé la main dans ces méfaits. Le Parlement jugea à propos, ainsi qu'il le fait souvent, d'approfondir le mystère par le moyen d'une de ces commissions d'enquête qui n'existent que chez la nation britannique sous une forme aussi puissante, aussi efficace, et qui, dans bien des circonstances, ont fourni aux économistes et aux publicistes de tous les pays des matériaux abondants et précieux, en même temps qu'elles éclairaient le législateur anglais sur les problèmes à résoudre. La commission d'enquête, nommée dans cette circonstance, fut investie de la plénitude des pouvoirs qui sont conférés en pareil cas par le Parlement. Ces pouvoirs sont étendus à ce point, qu'ils excèdent ceux que possède la royauté elle-même, puisque la commission d'enquête peut donner à un coupable qu'elle interroge toute immunité contre l'action des tribunaux, arrêter celle-ci et l'empêcher de s'exercer, mais sous la condition qu'il fasse, en présence de la commission officiellement réunic, l'aveu plein et entier de son crime.

Quand comparut devant la commission d'enquête envoyée à Sheffield un homme dont le nom appartient désormais à l'histoire comme celui d'un des plus effrontés scélérats qu'ait produits le genre humain, le nommé William Broadhead, il fut mis en demeure de faire connaître la part qu'il avait pu prendre à certains assassinats qui avaient épouvanté la ville, et alors il confessa tout. C'était lui qui, en sa qualité de secrétaire de l'Union des émouleurs de scies de Sheffield, avait provoqué les meurtres, lui qui avait cherché et trouvé des misérables pour les accomplir à prix d'argent, et il n'en avait pas coûté gros à la caisse de l'association: pour 500 francs Broadhead avait un assassin.

C'était ensuite lui, qui, pour donner le change à l'opinion publique, avait affecté l'indignation, et avait fait annoncer dans les journaux que l'Union donnerait une récompense à qui aiderait à découvrir les auteurs et promoteurs des crimes. Il fit à la commission d'enquête sa confession, sans s'émouvoir, comme s'il eût conté des choses ne le concernant pas. Ce qui est plus déplorable que tout le reste, c'est qu'après de tels aveux, après l'explosion qui s'ensuivit parmi les classes éclairées, qui sont si influentes en Angleterre, W. Broadhead a conservé l'estime et la sympathie dont il jouissait auparavant parmi les ouvriers nombreux qui appartiennent aux Unions. W. Broadhead tient un cabaret à Sheffield: après qu'il eût fait ses aveux, son établissement ne désemplit pas. Dans cette foule, il faut le dire à l'honneur de l'espèce humaine, beaucoup ne faisaient que céder à la curiosité qui porte l'homme à venir regarder comment est faite toute personne extraordinaire, un monstre aussi bien qu'un héros; mais un nombre pour le moins égal affluait pour serrer la main à un personnage qui, dans son zèle pour les intérêts supposés de la classe ouvrière, n'avait pas craint de se faire assassin, et deux mois après, l'association s'étant reconstituée, Broadhead a été élu membre du comité, à une faible majorité il est vrai. Mais, par compensation, le bandit qui lui avait prêté la main, pour commettre le crime à prix d'argent, a été élu à une majorité beaucoup plus forte.

Cette insurrection contre les lois, ces attentats contre la liberté et la vie de son prochain, de son camarade, sont, jusqu'à présent, particuliers à l'Angleterre. Cette grande nation a été humiliée et consternée de cette découverte; mais elle cherche le remède à la plaie, avec l'esprit d'investigation, l'énergie et le calme qui lui sont propres. Cependant ne nous faisons pas d'illusion au milieu des vents qui soufflent aujourd'hui sur l'Europe, il y a un courant, et ce n'est pas le moins fort et le moins obéi, qui pousse une partie des populations ouvrières à rechercher leur affranchissement et l'amélioration de leur sort par des moyens contraires à la liberté d'autrui. Dans la plupart des pays civilisés, on porte atteinte à cette liberté en réclamant la limitation du nombre des apprentis, en s'élevant contre le travail à la tâche, en s'opposant à ce que les femmes participent au labeur de manufactures dénommées. C'est ainsi qu'est méconnue, au nom des intérêts des ouvriers, la liberté du travail, qui est leur palladium. On ne méconnaît pas moins la liberté du capital, qui est l'auxiliaire indispensable du travail, et sans lequel le travail est frappé de stérilité. En France, ces tendances ont leurs partisans, et elles se montrent au grand jour; la loi a cessé de s'y opposer, et cette liberté de discussion ne peut que vous plaire, Messieurs, car c'est du choc des idées que naît la lumière.

Je tiens donc pour certain que la discussion éclairera tout le monde,

parce que tout le monde a de la bonne volonté. Ayons confiance dans le patriotisme et le bon sens de nos concitoyens. Les sophismes périlleux dont une partie des populations ouvrières est la dupe seront, aux propres yeux des ouvriers, réduits à leur juste valeur. Le Français n'est pas exclusif, et c'est ici l'occasion de le montrer. Un des orateurs de l'illustre Assemblée Constituante de 1789, en présence d'une proposition qui était contraire à la justice, fit entendre ces belles paroles qui sont restées comme un avertissement souvent utile à répéter : « Vous voulez être libres, dit-il, et vous ne savez pas être justes! » Et en effet, celui qui refuse aux autres la justice tourne le dos à la liberté pour son propre compte. Les populations de nos ateliers n'auront garde de l'oublier. MICHEL CHEVALIER (de l'Institut).

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L'Italie attire depuis dix ans une sympathique attention; cependant elle est encore bien peu connue. On sait les luttes qu'elle a supportées, au dedans et au dehors, pour se constituer; la persistance, l'habileté, la sagesse dont elle a fait preuve, et qui lui ont ramené peu à peu, une à une, toutes les puissance de l'Europe longtemps hostiles; les succès et même les revers qui, étendant à vue d'œil son territoire, ont fait de l'utopie unitaire une réalité; cette longue suite d'événements inouïs qui, en si peu d'années, ont abattu des obstacles accumulés depuis des siècles, en ne laissant subsister que de simples embarras d'argent; enfin les efforts heureux que l'Italie fait aujourd'hui pour se tirer de ces dernières difficultés, pour arranger ses affaires et payer ses dettes. Voilà ce qu'on sait plus ou moins; mais ce qu'on ne sait pas, c'est tout le travail intérieur de l'Italie, l'état de misère et d'ignorance (plus de quatre-vingts illettrés pour cent habitants) où l'avaient laissée les rois et les ducs, grands et petits, de l'ancien régime, l'absence d'asiles, d'écoles, d'ateliers, de routes et même de chemins qui entretenait dans les deux tiers de la Péninsule une demi-barbarie, toutes les forces dépensées depuis 1861 par le régime nouveau pour éveiller, diriger en tous sens l'activité nationale, et partout à la fois inaugurer, improviser la civilisation. Voilà ce qui nous est révélé par les nombreux et importants tra

vaux que vient de publier coup sur coup la statistique italienne, qui, elle-même, était encore à naître il y a dix ans.

Cette science avait pourtant préoccupé, dès le moyen âge, les souverains et les savants de la Péninsule. Les principicules voulaient savoir le nombre de leurs sujets et la somme de leurs revenus; les voyageurs, en visitant les divers Etats de ce pays si longtemps divisé, tâchaient de se renseigner sur leur population et sur leurs ressources. Les ambassadeurs vénitiens, les diplomates toscans, les nonces du pape, étudiaient, non sans ardeur, les questions qui nous occupent aujourd'hui; nous leur devons de précieux renseignements sur les gouvernements et les peuples. En lisant, dit le Dr Maestri, les Relations des ambassades de Machiavel, nous voyons qu'il fonde ses raisonnements sur des données de fait, sur une statistique conjecturale, si l'on veut, mais qui était, à cette époque, la plus voisine de la vérité. »

Plus tard naquit une littérature statistique, et les travaux de Bottero peuvent être lus encore, non sans profit, à la distance de trois siècles. Plus près de nous, Gioja et Romagnosi se lancèrent vaillamment, presque témérairement, dans les mêmes études, car il y avait de l'audace à créer d'un seul jet une science de la statistique, avec le peu d'éléments que l'on possédait alors. » Dans le premier royaume d'Italie, quelques travaux importants ont été entrepris et poursuivis avec beaucoup d'ordre et de clarté; mais vint 1815, et tous les progrès s'arrêtèrent.

Dès lors la statistique fut maniée par des gouvernements absolus dans l'intérêt du fisc et n'obtint plus aucune créance. « Les mauvais gouvernements rendent les populations sceptiques. Lorsque les Bourbons nous donnaient des chiffres, c'était faire acte de patriotisme de les croire faux.» Alors il arriva un fait assez curieux : la science (comme la littérature) devint une arme d'opposition. On n'a pas oublié les congrès de savants d'où, sortit la révolution de 1848. Il y eut des corps francs d'économistes insurgés contre la statistique officielle. Bien plus, il y eut une statistique patriote qui, étudiant la Péninsule entière, associait d'avance, par des chiffres, les provinces du nord et celles du midi, attaquait la politique artificielle et contre nature du bon vieux temps, et, renversant ainsi les barrières qui cessaient d'exister sur le papier, reconstituait l'unité nationale. L'Italie était faite, scientifiquement.

M. le D' Pierre Maëstri, à qui nous empruntons ces détails, fut le principal promoteur du mouvement, l'inventeur de cette arithmétique agressive. Il consacra son zèle infatigable et intelligent à soulever des chiffres et à les aligner contre les roitelets et les ducs. Aussi était-il naturellement désigné, dès que l'Italie fut, pour organiser et diriger la statistique italienne. Il se lança dans cette forêt vierge avec un redoublement d'ardeur, et, sous sa direction, en quelques années, les publi

cations officielles, les gros volumes couverts de chiffres se sont succédé si rapidement et en si grand nombre, que leurs titres seuls, imprimés en petit texte et suivis de courtes notes, remplissent vingt-deux colonnes in-4°. M. Maurice Block a rendu hommage ici même à la justesse et à la variété de ces travaux, qui, à son avis, peuvent soutenir la comparaison avec les meilleurs d'entre les nôtres.

Je n'aurai pas même assez de place pour traduire le catalogue que je viens de signaler. Je suis donc forcé de circonscrire mon champ d'études, afin de pouvoir ajouter quelques faits aux chiffres et utiliser quelques observations personnelles recueillies en Italie pendant un long séjour et un voyage récent. C'est sur le premier travail, l'opération principale, ou, comme le dit M. Maestri, « la pierre d'attente et le point de départ de toutes les recherches, » que je voudrais attirer l'attention de mes lecteurs. Ce premier travail est le recensement de la population, formidable enquête, dont le résultat fut consigné dans trois énormes tomes in-4o, publiés à Turin en 1864. Un abrégé de cette volumineuse publication a été fort élégamment imprimé à Florence, l'an dernier, chez Barbéra, dans un format plus commode. Mes recherches ont été complétées au moyen des rapports spéciaux, fournis également par la statistique officielle, sur le mouvement de l'état civil. Telles sont mes principales autorités; mais j'aurai encore d'autres documents à signaler, à mesure qu'ils me viendront sous la main, dans la suite de cette étude.

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Un des premiers soucis du jeune royaume, dès qu'il eût proclamé son unité, fut de compter ses habitants. A cet effet, renonçant à l'ancien système des visites domiciliaires faites par les agents de l'autorité, le pouvoir s'adressa directement, selon la coutume anglaise, à tous les chefs de famille, et leur fixant une date, une heure précise, comme pour prendre la population sur le fait et la photographier instantanément, il leur demanda quels étaient les membres de la famille présents dans la maison, quels étaient les étrangers habitant la maison, quels étaient les membres de la famille absents de la maison le 31 décembre 1861, à minuit. Ingénieux moyen de se renseigner du même coup sur la population de droit et sur la population de fait de l'Italie. La somme des deux premières catégories donnait la population de fait; la somme de la première et de la troisième donnait la population de droit.

Ce système, bien que fort sage, ne devait pas réussir partout. Nous pourrions citer plus d'une province où les agents de l'autorité auraient élé nécessaires. Certes, le pouvoir faisait beaucoup d'honneur aux chefs de famille en se flant à leur bonne foi, mais la confiance n'a de succès que lorsqu'elle est partagée. A Naples, par exemple, le peuple avait

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