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Voilà la cause fondamentale en effet de la révolution de 1848, comme de celle de 1830. Force incontestable à l'origine d'un gouvernement, grâce aux abondantes faveurs et aux nombreuses ressources dont elle lui permet de disposer, la centralisation ne tarde pas à devenir un élément d'extrême faiblesse, par les dommages qu'elle cause, les mécontentements qu'elle suscite, les obstacles qu'elle crée, les sordides con. voitises qu'elle stimule dans la société (1), l'isolement absolu dans lequel elle place l'administration.

Aucun peuple n'a encore goûté les bienfaits de l'ordre et de la liberté sous un tel régime, qui lui-même est d'ailleurs la pleine négation de la liberté administrative, et la négation partielle au moins de la li berté civile et industrielle. Vouloir fonder les franchises politiques sur l'absolutisme administratif, civil, économique, sera toujours la plus vaine tentative. Les institutions libres ne subsistent qu'avec des mœurs libres, et seules les affaires de chaque jour et de chaque individu façonnent les mœurs d'un peuple à leur image. La centralisation fait ces mœurs séditieuses et serviles qui ne permettent de rien souffrir et de rien empêcher (2), comme le dit Dunoyer quelque part.

En présence de cette cause certaine de la révolution de 1848, comment soutenir encore la bienfaisante inertie du pouvoir qui l'a précédée ? Dunoyer insiste également dans la Révolution du 24 février, en contredisant le premier chapitre de son Mémoire à consulter sur la révolution de juillet, sur la faute commise par la France, en 1800, pour n'avoir pas accepté la transmission de la couronne de la tête blanchie de Charles X sur la jeune et innocente tête du duc de Bordeaux. Il condamne au surplus là toutes nos révolutions, sans apercevoir même aucun des avantages que, au milieu de leurs préjudices, elles nous ont procurés. Toujours une seule pensée envisagée d'un seul côté.

Ses critiques de la révolution de 1848 sont entre toutes acerbes, dures, violentes. Il flagelle sans pitié les inutiles audaces, les ignorances absolues du parti qu'elle a si subitement porté au pouvoir. Le mot de république ne l'effraie pas, mais il s'effraie des représentants de cette forme de gouvernement, qui détruisent, en acclamant la liberté et l'aisance sociale, tous les éléments de la richesse et toutes les bases des franchises. Peu de publicistes libéraux sont en outre plus contraires que lui au vote universel, dans lequel le Censeur n'avait déjà vu qu'un instrument de despotisme ou d'anarchie, et qui rappelait sans cesse à

(1) Il y a dans le Nouvel empire et une nouvelle restauration, ce livre paru après la mort de Dunoyer, deux pages sur ces convoitises, qui comptent assurément parmi les plus fortement pensées et les mieux écrites de Dunoyer. (V. t. II, p. 106 et 107.) (2) Dans sa brochure: Du droit de pétition.

Dunoyer ces paroles de Franklin : « Dès qu'on rassemble un grand nombre d'hommes, on réunit infailliblement avec eux leurs erreurs, leurs travers et leur vices. » Il ne néglige cependant pas d'attribuer en premier lieu nos périls et nos maux, selon son système préféré, à nos mauvais sentiments, à nos fausses opinions et à nos fâcheux usages. Par malheur, il ne se demande pas non plus là si les lois et les institutions n'ont pas beaucoup influé sur ces sentiments et ces coutumes. En quoi différons-nous tant en effet des Anglais, des Belges, des Hollandais, des Suisses, qui nous entourent? Comment se fait-il donc que, depuis près d'un siècle, notre histoire se distingue tellement de la leur ? Les institutions ne sont pas seulement des effets; ce sont aussi des causes.

Quoiqu'une lueur assez vive de popularité ait un instant entouré Dunoyer, comme je l'ai rappelé, il s'en est toujours tenu à s'efforcer de convaincre les classes lettrées et dominantes. Sa nature d'esprit'était profondément aristocratique, sans que la forme dont il revêtait sa pensée ait jamais révélé une réelle distinction, une suffisante élégance. Partout son style est celui d'un homme grave, réfléchi, instruit, mais il est lourd, atone, fatigant. Aussi a-t-il été peu lu au sein même des économistes, ǝt son nom était-il à peine connu, dans les dernières années de sa vie, en dehors du cercle fort restreint encore qu'ils composaient. Il n'en a pas moins eu une action très-marquée sur le mouvement économique de notre temps. Ses rares lecteurs étaient tous à la tête de ce mouvement, et y portaient l'esprit et les tendances qu'ils devaient en grande partie à

son commerce.

L'économie politique lui doit en outre, on le sait, quelques-unes de ses plus belles démonstrations, comme elle lui doit pour beaucoup le caractère positif et libéral qu'il s'est appliqué à lui conserver au moment où elle commençait à entrer dans nos discussions ordinaires. Ce que j'ai dit de sa vie doit suffisamment le faire connaitre et admirer. S'il en était autrement, je ne pourrais mieux terminer cette portion de mon travail qu'en rappelant les paroles qu'il prononçait sur son fidèle et noble ami, Charles Comte, à la fin des notes qu'il lui a consacrées, non sans penser peut-être à lui-même : « Il avait un caractère merveilleusement trempé, non pour l'action, mais pour la résistance passive et pour la souffrance: dans des temps plus rudes et plus difficiles que ceux où il a vécu, il aurait courageusement et noblement supporté la persécution... il se serait estimé heureux de souffrir le martyre pour un grand intérêt public, pour la défense d'idées vraies et salutaires. Si c'était là le caractère de Comte, c'était bien aussi le caractère de Dunoyer.

GUSTAVE DU PUYNODE.

LA LIBERTÉ,

L'OBLIGATION MORALE

ET LE PRINCIPE DE DIGNITÉ

Nous avons essayé dans quelques articles déjà un peu anciens de définir les principes de la morale et du droit, de dire en quoi précisément consistaient, à notre avis, le bien, la justice et l'équité (1). Ces articles ayant obtenu l'honneur d'une discussion sérieuse dans un recueil très-estimable (2), nous allons tàcher de les compléter en insistant sur quelques points qui intéressent plus les philosophes que les économistes et que nous avions, pour ce motif, un peu négligés. Nous croyons qu'il importe d'écarter les objections qui peuvent s'élever dans des esprits sincères et les éloigner d'une voie que nous croyons celle de la vérité et du progrès sans nous engager dans des controverses métaphysiques dont l'inutilité serait le moindre inconvénient.

On nous a reproché de méconnaître, à un certain degré tout au moins, la liberté et surtout l'obligation morale, puis d'avoir passé sous silence un principe de morale tiré de l'induction, le principe de la dignité. Ce sont trois points sur lesquels il nous semble utile de nous expliquer.

I

La liberté morale de l'homme est à nos yeux un principe de conscience et d'expérience, aussi peu susceptible de démonstration qu'un axiôme de géométrie. Je me sens libre, chaque fois que je veux agir, de faire ou de m'abstenir, d'agir d'une façon ou d'une autre façon. Je crois voir d'ailleurs par expérience que tous les hommes que j'ai connus, dont j'ai our parler ou que je puis imaginer, réfléchissent, délibèrent et en tout cas choisissent avant d'agir le mode d'action qui leur convient. Ce sentiment de ma liberté propre et cette connaissance du sentiment de la liberté chez tous mes semblables me suffisent pour déterminer ma conviction, et si quelque raisonneur tentait de l'ébranler, je ferais fi de ses raisonnements.

(1) Voy. Journal des Économistes de septembre 1864, d'août 1866 et d'octobre 1867.

(2) L'Année philosophique de M. F. Pillon.

Mais, étant homme et né pour l'action, chaque fois que je veux me livrer à une activité consciente d'elle même, ou m'abstenir, il faut que je fasse un choix, que je me détermine. J'ai trois mobiles, qui me sont extérieurs, objets de tous les désirs que je peux concevoir ce sont le monde matériel, mes semblables et Dieu. Je désire acquérir une grande puissance sur le monde extérieur pour satisfaire certains besoins : je désire jouir de la sympathie de mes semblables et me conformer à l'ordre général par lequel Dieu se manifeste à moi. Quel qu'il soit, mon désir m'excite à l'action ou m'en éloigne et je prends le parti d'agir ou de m'abstenir, selon que ce désir me semble bon ou mauvais. Mais, soit que j'agisse d'une manière ou d'une autre manière, soit que je m'abstienne, je suis déterminé par un sentiment ou par une considération quelconque, à ce point que je ne puis absolument concevoir une décision volontaire et consciente qui n'aurait pas de motif. Lors même que j'abandonnerais en quelque sorte ma faculté de choisir et tirerais à pile ou face le parti à prendre, je me serais décidé par un motif, le plus léger de tous, le résultat du tirage au sort, parce que j'aurais cru qu'il convenait de choisir ainsi.

Peut-être bien, à l'aspect de cette proposition, nous déclarera-t-on déterministe, convaincu d'avoir sur la liberté morale des idées qui, sans être absolument hérétiques, ne sont pas tout à fait orthodoxes. Mais qu'y faire? Poursuivons.

Non-seulement l'homme veut parce qu'il a un motif de vouloir; mais cette manière de vouloir est précisément le signe par lequel il se mani❤ feste comme être raisonnable. A quoi lui servirait l'intelligence qui étudie, compare, apprécie, à quoi lui servirait la raison qui juge, sinon à déterminer sa volonté ? Que serait cette volonté privée des lumières de l'intelligence et de la raison ? Un navire sans gouvernail, emporté au hasard par les vents et les flots; une force sans règle ni loi connue.

Et non-seulemeut notre volonté est déterminée par des motifs raisonnables, mais elle n'est jamais déterminée que par eux; que l'on considère une résolution, quelle qu'elle soit, prise par un homme non malade, quel qu'il soit, on trouvera toujours que, eu égard aux connaissances qui étaient présentes à l'esprit de cet homme au moment où la résolution a été prise, elle était raisonnable.

Pourquoi donc y a-t-il tant d'actes mauvais, tant de volontés mal dirigées, tant d'erreurs ? Tout simplement à cause de l'ignorance profonde où les hommes se trouvent plongés.

Cette ignorance a deux formes. Quelquefois elle est entière et absolue, c'est-à-dire que l'homme qui agit ne sait absolument pas agir autrement il fait le mal sans le savoir. Un adorateur de Moloch croit obtenir la bienveillance de sa divinité en brûlant à petit feu son enfant sur l'autel et il agit en vertu de cette conviction. Quelle horreur, dites-vous !

Sans doute, et pourtant qui oserait dire que l'intention de cet homme soit mauvaise et condamnable ou même qu'elle ne soit pas bonne?

Il est une autre forme d'ignorance morale : c'est l'ignorance momentanée que causent les passions. J'ai appris de ceux qui m'ont élevé ou de ma réflexion propre qu'une action est mauvaise et je suis déterminé à ne pas la faire; mais bientôt la tentation se présente et j'y cède. Ma volonté a-t-elle été vaincue ? Non, elle a changé. A-t-elle changé sans motif et contre raison? Nullement. Elle a été déterminée par telle appétence ou telle crainte dont l'impression présente et puissante a effacé et fait oublier un moment à la raison les considérations qui l'avaient déterminée dans un autre temps, lorsque j'étais de sang froid.

Ces deux sortes d'ignorance ne sont pas toujours faciles à distinguer l'une de l'autre, à l'extérieur. Voici un homme auquel la morale la plus pure a été enseignée, qui en récitera, s'il le faut, tous les préceptes; mais cet enseignement ne l'a pas convaincu. Il a vu, par exemple, que ceux qui le lui ont donné n'y conformaient nullement leurs actes et philosophaient pour obtenir la réputation ou la fortune. Cet homme se fait des principes particuliers, selon ses lumières propres, et ne tient les préceptes généraux que pour des maximes à effet oratoire, sans valeur intrinsèque. Eh bien! cet homme, que nous rencontrons à chaque pas dans la vie de tous les jours, est souvent dans une ignorance morale profonde, comparable à celle de l'anthropophage ou de l'adorateur de Moloch. Il semble cependant, à l'extérieur, que son ignorance soit passagère et tienne à des appétences, à des passions d'un moment.

Entre les deux formes d'ignorance il y a lieu d'établir, au moins en théorie, une distinction. Celui qui vit dans l'ignorance absolue ne peut que par exception et très-rarement en sortir par un simple effort de sa volonté. Il convient donc d'être indulgent à son égard. Au contraire, celui dont l'ignorance n'est que passagère peut se défendre contre elle par un effort de la volonté, par une bonne discipline, par des précautions prises contre les tentations, par une attention soutenue et vigilante. Comme il peut se défendre, il a tort et est coupable de succomber : nous le sentons et il le sent lui-même.

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«Mais quoi! nous dit-on, si l'homme est toujours déterminé par un motif et, qui pis est, par un motif raisonnable, il n'est pas libre du tout et ne saurait être astreint à aucune obligation morale. Vous êtes un déterministe! Qu'y puis-je? Faut-il donc, pour éviter ce reproche, nier la raison et l'évidence? Voyons du reste, non les conséquences d'un raisonnement, presque toujours arbitraires, mais celles de la pratique. Il n'y en a qu'une « vous devez faire effort pour apprendre à bien vivre et pour pratiquer la morale que vous avez apprise. » Cette conséquence ne nous semble pas d'un quiétisme bien alarmant. En effet, elle conseille à chacun d'apprendre les règles du bien vivre des hommes les plus éclai

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