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Je joue le rôle de spectateur : les événements marchent vite, il faut que je coure avec eux.

I. LES FAITS ET LES IDÉES ÉCONOMIQUES AVANT LA RÉVOLUTION.

Quelle que soit mon envie d'entrer immédiatement en matière, il m'est impossible de ne pas dire deux mots de la situation économique où se trouvait l'Espagne quand le trône d'Isabelle est tombé.

Parlons d'abord des institutions. Elles étaient naturellement ce qu'elles devaient être sous un gouvernement qui se repliait de plus en plus vers le passé, malgré son origine quelque peu révolutionnaire, et qui semblait avoir pris pour règle de se moquer de ses propres lois.

Un essai de réformes douanières avait été fait, il y a six ans, sous l'empire des idées qui prévalaient déjà de toute part en Europe. Mais cet essai avait effleuré à peine les erreurs et les abus du passé. Toute une série de prohibitions était maintenue dans le tarif. Si des articles, plus ou moins nombreux, se trouvaient effacés, ceux qui subsistaient portaient toujours la marque du protectionnisme le plus exagéré et le plus jaloux. Le droit différentiel de pavillon existait. Une législation anti-économique apportait toutes sortes d'entraves à la construction des navires et à l'enrôlement des équipages. C'étaient partout des barrières, des empêchements au libre essor des forces nationales.

Ce système restrictif se faisait sentir dans toutes les sphères de la vie économique et sociale; il paralysait même en partie la marche des services publics qui étaient frappés d'une sorte d'atonie, et, ce qu'il y avait peut-être de plus grave, des abus en tous genres transformés, pour ainsi dire, en autant de priviléges, achevaient de corrompre ce qui restait de vigueur et de séve dans ce corps mal organisé.

Il y avait un budget: c'est ce qui ne manque jamais dans les États les plus mal organisés, et, chose étrange! ce budget était presque en équilibre. Mais ce n'était là malheureusement qu'un mensonge officiel à l'adresse du public. Les dépenses de l'exercice courant étaient évaluées à 265,647,896 écus, et les recettes à 258,467,479, ce qui semblait équilibrer à peu près le budget; mais derrière ces chiffres menteurs se cachait un énorme déficit qui croissait d'année en année et qui devait fatalement conduire à la banqueroute.

Le gouvernement avait trouvé le moyen de se livrer à toutes les folies sans augmenter pour le moment d'une manière sensible le poids des charges publiques : ce moyen, c'était la caisse des Dépôts, qui dépendait du ministère des finances et qui, par une suite d'abus, était devenue une succursale complaisante du Trésor. Les ministres avaient pris l'habitude d'y puiser à pleines mains pour couvrir leurs erreurs, et, s'il faut en croire la chronique, des fautes plus graves. Il en est résulté

que le jour où la révolution a éclaté, le Trésor devait à la caisse des Dépôts la somme de 130 millions d'écus ou de 1,300 millions de réaux dont le remboursement était exigible à une assez courte échéance.

Parlerai-je maintenant des opérations financières qui se répétaient et se multipliaient sous toutes les formes pour fournir un nouvel aliment à ces désordres et à ces dilapidations? On vendait et l'on engageait à des conditions onéreuses les titres disponibles des fonds publics; il en était de même des bons hypothécaires, souscrits par les acheteurs des biens nationaux et ecclésiastiques, et connus ici sous le nom de pagarès. En un mot, on dévorait à la fois le présent et l'avenir, et, malgré cette consommation extraordinaire de richesses, les services publics les plus indispensables étaient comme abandonnés.

Voilà pour les faits. Qnant aux idées et aux doctrines, grâce à un petit nombre d'esprits possédés de l'amour du juste et du vrai, l'Espagne depuis quelque temps entrait dans la bonne voie : elle rompait d'un côté avec les erreurs de ces anciens écrivains qui, s'inspirant plus d'une fois de nos livres et de notre législation, avaient voulu la renfermer dans le protectionnisme; et d'un autre côté, elle écartait les rêves de ces utopistes qui, sous le nom d'arbitristos, l'avaient séduite assez souvent au dernier siècle.

Je n'ai pas besoin de vous apprendre qu'il existait ici depuis quelque années une société semblable à notre société de Paris, La Sociedad libre d'Economia publicà. Elle était présidée par M. Pastor, que vous avez connu en Suisse, au Congrès international de l'impôt, avec M. Figuerola aujourd'hui ministre des finances, et elle comptait dans son sein avec eux MM. Rodriguez, Borsa, Moret y Prendergast, toute une pléiade d'écrivains, de professeurs et d'hommes politiques dévoués à la cause du progrès. Elle ne se réunissait pas aussi souvent que votre Société, quoiqu'elle sache parfaitement dîner, comme j'ai eu le plaisir de m'en apercevoir, mais elle agitait, comme elle, dans des conférences fréquentes, tous les problèmes politiques de notre époque.

A côté de cette association, vous le savez, et à son ombre pour ainsi dire, il s'en était formé une autre, la asociacion para la reforma de los aranceles de aduanas. Elle se composait en partie des mêmes membres mais elle en comptait en même temps un grand nombre d'autres, recru tés dans les rangs du commerce et de l'industrie. Ses travaux, comme son titre l'indique, avaient un caractère plus positif; elle ne s'engageait guère dans les spéculations scientifiques, ou si elle y touchait, ce n'était qu'en passant, elle poursuivait un but précis et déterminé; ce qu'elle voulait, c'était une réforme plus ou moins radicale des douanes.

De ce double foyer, émanaient de temps à autre des publications qui avaient pour objet de faire pénétrer dans le public les questions qui s'y agitaient. Je ne prendrai pas la peine de les rappeler, vous les connais

sez pour la plupart. Les deux Sociétés avaient, en outre, un organe spécial, qui rendait régulièrement compte de leurs débats, la Gaceta économista, publiée à Madrid.

Ces travaux, et quelques autres, animés du même esprit, quoique ayant une autre opinion, avaient tourné plus ou moins l'attention vers les réformes économiques et financières. Je ne dois pas oublier de citer ici un journal qui a exercé à ce point de vue une véritable influence: je veux parler de la Discusion.

Fondé, il y a une douzaine d'années, par M. Rivero, le chef de la démocratie espagnole à cette époque, et aujourd'hui premier alcade de Madrid, la Discusion était avant tout un journal politique: ce qu'elle poursuivait sous une forme toujours virile et parfois éloquente, c'était le triomphe des idées républicaines. Elle ne disait pas trop le mot, il eût été dangereux: elle parlait seulement de démocratie, mot plus innocent, à ce qu'il paraît, qu'on emploie encore aujourd'hui dans des cas analogues, et qui prouverait au besoin que le grec est une langue pleine de ressources et qu'il peut rendre encore de grands services. Mais tout en agitant les problèmes qui se rapportent d'une manière spéciale à la forme et à la constitution des gouvernements, le journal de M. Rivero abordait aussi parfois les questions économiques : il avait même publié un programme où ces questions occupaient une grande place. On y voyait figurer entre autres la suppression des octrois et du papier timbré, la réforme du tarif douanier, l'abolition des monopoles du sel et du tabac, l'extinction radicale de la main-morte civile et religieuse, en un mot toutes les libertés, toutes les franchises économiques qui manquaient malheureusement à l'Espagne. Ce programme, placé surtout dans un pareil cadre, devait paraître et parut trop révolutionnaire; il fut poursuivi dix fois à un an d'intervalle et dix fois acquitté par les tribunaux. Protégé par cette espèce d'inviolabilité qu'il venait d'acquérir, il put circuler désormais impunément.

Le parti républicain profita de cette circonstance pour en tirer un million d'exemplaires qui furent envoyés dans tous les coins de l'Espagne: les plus petits pueblos en reçurent, et la Discusion n'a pas cessé un seul jour de le faire figurer à sa première page, comme le symbole même de la démocratie. C'est là un fait qui valait la peine d'être rapporté, parce qu'il peut servir à comprendre ce qui s'est fait le lendemain même de la révolution sur plusieurs points de la Péninsule.

Toute cette propagande économique, malheureusement, vint à être supprimée dans les deux dernières années du régime déchu. Ce n'est pas seulement la Discusion qui disparut avec tous les journaux qui lui ressemblaient de près ou de loin. La Société d'économie politique et l'association pour les réformes des douanes durent se taire et rentrer dans l'ombre. Plus de libertés d'aucune nature, plus de débat, plus d'enseigne

ment libre; c'était une véritable débauche du despotisme qui pouvait faire regretter O'Donnell et même Narvaez. M. Gonzalès Bravo, porté après eux au pouvoir, déshonorait un grand talent à servir sans pudeur les caprices insensés de la plus inepte et de la plus vile des cours.

Mais cette compression violente et sauvage arrivait trop tard. Les idées, chassées de la rue et de la place publique, avaient un refuge tout prêt dans les esprits; elle ne devaient pas tarder à en sortir avec la révolution, c'est-à-dire avec l'ascendant de la force et de la victoire.

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Le mouvement dont Cadix a été le berceau, dans la seconde quinzaine de septembre, n'a pas tardé à gagner le reste de l'Espagne. Vous l'avez vu d'abord s'étendre le long de la côte à travers l'Andalousie, puis il a gagné la Méditerranée et s'est avancé de ville en ville jusqu'à Alcolea, qui lui donnait la Catalogne. Enfin, la bataille d'Alcolea lui ouvrait la route de l'Espagne et le conduisait à Madrid, dont il prenait possession avant la fin du mois. La révolution du 29 septembre était accomplie, et la reine Isabelle, tombée du trône, se réfugiait en France où l'avaient précédée, la veille encore, les nombreuses victimes de sa politique.

Pendant que les anciens pouvoirs s'écroulaient ou se dérobaient prudemment devant la tempête, il s'en élevait partout de nouveaux. C'était une nécessité publique, et il s'agissait avant tout d'y pourvoir. L'Espagne a l'habitude d'un gouvernement improvisé partout le lendemain d'une grande secousse politique : les nombreuses révolutions qu'elle a traversées lui en ont donné l'expérience. Elle s'y trouve d'ailleurs préparée par cet esprit des vieux comuneros, qui l'anime toujours et qui semble avoir survécu, chez elle, à tous les changements. C'est en vain que le prince et ses deux dernières dynasties ont voulu attaquer ce fond de la race: il a résisté à leurs entreprises et à leurs violences. Si l'Espagne était autrefois une fédération de royaumes, il n'est guère moins vrai de dire, malgré les apparences, qu'elle est aujourd'hui une fédération de provinces. Aussi les juntes locales y semblent naître d'elles-mêmes chaque fois que le pouvoir central succombe ou se trouve seulement ébranlé c'est comme une végétation spontanée du sol.

Les juntes qui sont sorties du dernier mouvement n'ont eu, en général, qu'une existence de quinze jours: quelques-unes mêmes ont duré moins longtemps. C'est vers la fin de septembre, sinon plus tard; elles se sont effacées plus ou moins vite, après le 9 octobre, devant le gouvernement provisoire qui s'est constitué ce jour-là même à Madrid. Toutes, ou presque toutes, ont usé du pouvoir législatif comme une véritable assemblée politique.

Pour ne parler que des questions économiques proprement dites, il

y a trois sortes de mesures qui ont marqué presque partout le passage des juntes :

La première avait pour objet la suppression des impôts du sel et du tabac.

La seconde se rapportait au tarif douanier, qui était réduit dans la proportion de 33 0/0.

La troisième, enfin, se proposait, suivant les localités, d'alléger ou même d'abolir entièrement certaines taxes de consommation, celles principalement qui pèsent davantage sur les populations les moins aisées.

Je pourrais citer aussi quelques autres dispositions dictées par ce même esprit, que j'ai rencontrées dans les décrets des juntes; mais, comme ces dispositions ont un caractère moins géneral, je ne crois pas devoir m'y arrêter.

Cette espèce d'accord dans la solution brusque et immédiate de certains problèmes n'est pas due précisément au hasard; il ne faut pas y voir, non plus, un effet de cet instinct populaire qui se fait jour sur tous les points à la fois dans la grande commotion publique, et trouve le moyen de se faire écouter. C'est le résultat et la conséquence des idées économiques qui avaient été jetées dans ce pays, et qui cherchaient à s'imposer avec plus ou moins de sagesse au nom de la volonté nationale.

Il ne reste rien ou presque rien maintenant de ces mesures édictées par les juntes; mais le gouvernement provisoire s'est inspiré plus d'une fois de l'esprit même qui les a dictées, et il est permis de regretter qu'il ne l'ait pas fait plus souvent; car c'est là, sans contredit, l'un des besoins de la révolution, comme c'est le moyen le plus direct et le plus sûr de lui gagner les sympathies populaires, qui peuvent seules empêcher la révolution d'avorter.

III.

M. FIGUEROLA ET LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

Vous savez déjà, mon cher Garnier, et vous l'avez annoncé vous-même à vos lecteurs en louant ses premiers actes, que c'est M. Figuerola qui a eu la bonne ou mauvaise fortune d'être chargé de résoudre, au moins provisoirement, les problèmes économiques et financiers qui ont été posés par la révolution. Telle est la tâche qui lui est échue, comme membre du gouvernement, et, en particulier, comme ministre des finances. Je ne vous parlerai point de ses connaissances et de sa perspicacité; je ne vous apprendrais rien de nouveau. Il a choisi pour le seconder, dans sa rude mission, un de ses amis intimes, M. Gabriel Rodriguez, membre, comme lui, de la Société d'économie politique et versé, comme lui, dans toutes les questions de son ministère. Je connais peu d'esprits plus précis, plus nets et plus fermes que M. Rodriguez. Il est armé, en même temps,

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