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ment logique aux études qui occupent successivement chaque année. Chaque ordre de phénomènes en économie politique peut effectivement être considéré comme un ensemble de faits qui influent d'une façon plus ou moins directe sur la valeur. C'est ainsi que les auditeurs conviés à la Société industrielle ont vu tour à tour se dérouler devant eux les questions de la liberté du travail, de l'association et de ses différentes formes, du capital, de la population et de son accroissement, du libre-échange et des débouchés, enfin des impôts et des octrois. Je constate avec le plus vif regret que les leçons relatives aux impôts et aux octrois n'ont point été analysées. Cette lacune est d'autant plus fâcheuse que les comptes-rendus de M. Moullart étaient devenus tout à la fois une habitude et un second enseignement.

La quatrième année qui commence à l'heure où s'écrivent ces lignes, doit amener, d'après le programme qu'en a donné lui-même le professeur, l'étude générale du crédit et des questions de détail qui s'y rapportent, de la monnaie, des signes du crédit, des banques, des profits, des revenus, des salaires, du prêt à intérêt, etc.

La méthode que M. Moullart applique à la science sociale, et dont il ne se départ jamais, est une méthode essentiellement spiritualiste. Pour lui, «l'économie politique est une science morale et sociale, comprenant l'ensemble des lois de l'activité humaine, en tant que cette activité s'applique à la production et à la consommation des choses nécessaires à la vie. Ainsi, le sujet de notre étude, c'est l'homme, toujours l'homme; c'est lui que nous retrouvons sans cesse en cherchant les lois de la valeur » (1).

Dès que M. Moullart place résolument l'économie politique au nombre dès sciences morales proprement dites, il devient juste et légitime qu'il lui marque son rang parmi elles. Il la soumet aux mêmes conditions que la philosophie elle-même; et placé, comme se trouve souvent le penseur, entre des répulsions et des défiances également faites pour arrêter l'essor et empêcher l'étude de l'économie sociale, il a saisi, en présentant à son auditoire ses conclusions sur le capital, l'occasion de s'expliquer sur les reproches contradictoires qu'on adresse en même temps à la science qu'il représente.

Suivant M. Moullart, l'économie politique est en mesure de résister à la fois aux écoles matérialistes qui refusent de s'élever jusqu'aux lois universelles et aux principes moraux, et de rassurer certains théologiens dont les préjugés ne savent pas distinguer dans l'économie politique « une science magnifique, démonstration éloquente et sans phrases de l'accord de la foi et de la raison. »

(1) Leçon du 25 novembre 1866.

M. Moullart n'apporte pas dans son enseignement moins de science que d'élévation; en même temps qu'il s'approprie par l'exposition qu'il en fait les doctrines et les vérités courantes de l'économie politique, il ne néglige aucune occasion de mettre à profit les ressources de l'érudition. Il connaît parfaitement les livres des économistes, et, s'il s'écarte d'une définition reçue ou d'une théorie proposée, c'est toujours en par faite connaissance de cause et pour des motifs qu'il ne manque pas de nous soumettre. Il n'est pas jusqu'à la parole même du professeur qui ne témoigne tout à la fois de l'abondance de ses idées et de l'intérêt qu'il apporte à son enseignement. Sa diction a par moments quelque chose d'inégal et d'un peu précipité. Ce n'est pas cette exposition uniforme, gardant constamment la même allure, le même ton, le même style, cette uniformité qui rappelle les habitudes et atteste l'expérience du professeur. Les leçons emprunteraient plutôt quelque chose de la physionomie d'un plaidoyer. Cette éloquence ressemble à celle du barreau qui, dans le même discours, passe par des tons et des mouvements divers.

Bien que les cours de la Société industrielle d'Amiens soient destinés particulièrement à la classe ouvrière, bien que quelques-uns d'entre eux comportent un enseignement technique et tout à fait élémentaire, on peut reconnaître, sans tirer de ce fait aucune induction contre le professeur, que le cours d'économie politique n'est point suivi par les ouvriers, et même que, dans la pensée du professeur, il ne leur est point en effet destiné. L'auditoire fort restreint qui se réunit au pied de la chaire avec une assiduité digne d'éloges, se compose presque en totalité de jeunes gens qui achèvent ou complètent leurs études de droit, des fils de quelques riches industriels et du très-petit nombre de personnes qu'intéressent plus particulièrement les études économiques. Ce coufs, avec la hauteur à laquelle il se maintient, la méthode qu'on y applique et la science qu'on y déploie, contribuera à former des professeurs capables de répandre à leur tour l'enseignement qu'il y auront reçu. Notez bien qu'il ne faut point entendre ici par professeurs des hommes que leur vocation consacre tout entiers à l'enseignement et qui en doivent faire leur carrière. Il faut bien aujourd'hui, en l'absence de maîtres officiels et faute d'un enseignement vraiment organisé, que chacun y mette du sien, et que l'homme du monde comme les autres y apporte son contingent et ses efforts.

Au reste, les ouvriers d'Amiens se le sont tenus pour dit, et il a été possible, sans faire aucun tort au cours professé à la Société industrielle, de donner à Amiens une série de conférences destinées plus particuliè rement aux travailleurs et traitant des questions les plus essentielles de l'économie sociale. L'empressement des ouvriers à s'y présenter et leur constance à les suivre prouve surabondamment que, si les gens du monde comprennent la nécessité de compléter leurs connaissances par ces

études, le peuple n'est pas moins persuadé qu'eux du danger de son ignorance et des avantages de pareilles leçons? Le conseil municipal d'Amiens a donné en cette occasion un exemple digne d'être imité en votant à l'unanimité une allocation pour ces conférences.

III.

L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE A REIMS.

Il ne faudrait pas croire qu'à Reims, pas plus qu'ailleurs, l'enseignement de l'économie politique ait pu s'organiser sans quelques difficultés et quelques tiraillements. Les institutions et les établissements vraiment utiles sont un peu sujets à la condition des hommes vraiment supérieurs. La médiocrité et l'insignifiance ont pour elles, dans tous les genres, cet avantage incontestable qu'elles ne sauraient porter ombrage à personne; et, comme elles ne se font point de partisans fanatiques, elles réussissent du même coup à ne se point susciter d'ennemis. Telle n'est pas, telle ne peut pas être de notre temps la destinée de l'économie politique. Il fallait bien que la question du libre-échange fût soulevée à ce propos à Reims comme ailleurs, et ce serait peut-être une histoire aussi instructive qu'intéressante d'entrer dans le récit des influences diverses qui furent, à propos de cette chaire, mises en jeu non-seulement à Reims mais à Paris. Cette rivalité de situation et d'influence prouve d'une façon péremptoire que l'économie politique n'est pas encore près de passer pour indifférente.

Quoi qu'il en soit de ces détails peut-être un peu trop voisins de la vie privée, il est permis de rappeler que, dans cette région de la France, tout le monde, en matière de libre-échange, ne se trouve pas du même avis. Celte diversité des opinions n'a pas manqué de se produire par des actes publics dont l'histoire de l'industrie a gardé le souvenir. Dans l'enquête de septembre 1834, enquête ordonnée par M. Duchâtel, alors ministre de l'intérieur, les délégués de Reims furent unanimes pour demander le maintien du système protecteur, y compris les mesures absolument prohibitives (1). On comptait alors les hommes qui osaient soutenir en public la doctrine du libre-échange. Reims, en particulier, se rappelle encore les noms des deux plus vaillants champions de la liberté de commerce à cette époque, MM. Houzeau-Muiron et Adolphe David. La tâche,

(1) « L'introduction en France des tissus de laine serait une mesure désastreuse pour un manufacturier et calamiteuse pour notre population ouvrière.... Notre système de douanes est une barrière insurmontable à l'introduction des tissus étrangers, et, nous le disons avec la conviction la plus intime, cette introduction produirait dans nos manufactures des commotions violentes. » Rapport officiel de la Chambre de commerce

il faut l'avouer, n'était point facile; les protectionnistes n'y allaient pas de main morte pour défendre leur thèse. Le Journal de Reims du 25 octobre 1846 osait stigmatiser publiquement « Cobden l'Anglais, Wolowski le Slave, Michel Chevalier le professeur, Léon Faucher le journaliste, et les quelques perroquets à leur suite. »

En 1860, les vues nouvelles avaient fait des progrès.

« Alors, comme le dit M. Cadet (1), au moment où tant de cris d'alarme, de détresse, de désespoir, s'échappaient d'un si grand nombre de villes, 83 industriels ou négociants de Reims adressaient au gouvernement l'adhésion suivante, inspirée par la plus saine économie politique :

«Considérant que le tarif actuel des douanes, tel qu'il a été légué par les régimes antérieurs, est une entrave au développement de l'industrie et du commerce par les restrictions multipliées qu'il impose;

« Considérant qu'à une époque où toutes les nations font les plus grands efforts pour se rapprocher, en aplanissant chaque jour les obstacles naturels qui les séparent, le système commercial de l'isolement est un contre-sens qui a pour effet d'élever des obstacles artificiels entre les peuples et d'amener des représailles nuisibles à tous;

«Considérant qu'une législation douanière moins restrictive, en provoquant le bon marché des produits par le perfectionnement de la production, présenterait un moyen certain de développer l'industrie, d'étendre la consommation, et, par conséquent, de mieux assurer l'emploi des bras sans amoindrir les salaires;

« Considérant que les industries lainière et vinicole, qui comptent au nombre des principales industries de la France, sont, pour la ville de Reims en particulier, un élément de prospérité dont un régime commercial plus libéral ne peut qu'accroître l'importance;

«Par ces motifs, les soussignés,

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Expriment leur reconnaissance à l'Empereur pour les adoucissements qu'il a déjà apportés, qu'il promet d'apporter encore au tarif des douanes, et s'associent aux amis d'un sage progrès pour applaudir sans réserve aux vues du gouvernement dans les soins qu'il prend d'améliorer la situation générale du pays. »

Le moment était favorable pour donner un organe aux nouvelles opinions et pour essayer de les répandre. La Société industrielle de Reims résolut d'établir une chaire d'économie politique. L'entreprise n'était pas mince; elle fut conduite avec beaucoup d'énergie et de persévérance. Les difficultés, les déceptions même ne manquèrent pas. De grands personnages dont on avait pu espérer la protection ou tout au moins la présence comme témoignage de sympathie firent défaut à la

(1) Leçon XII, du 28 février 1867.

première leçon aussi bien qu'aux leçons suivantes, et cette absence entraîna celle de beaucoup de personnes que les convenances forçaient, même en ce qui concerne ces idées, à se régler sur l'exemple qui leur était ainsi donué. Quoi qu'il en soit de ces détails, et bien qu'il faille écarter de l'histoire des noms que personne ne craint de prononcer tout haut à Reims, la Société persévéra dans son dessein avec une rare énergie, et le succès couronna complétement ses efforts. Elle obtint de la municipalité la grande salle de l'Hôtel-de-Ville, et cette salle qui pouvait raisonnablement contenir un peu plus de trois cents personnes se trouva pleine dès le premier jour. Dans les saisons les plus défavorables, le public n'est jamais descendu au-dessous de cent ou cent cinquante auditeurs.

Mais avant de procurer un auditoire à cette chaire nouvellement créée, il fallait avant tout lui trouver un professeur. Le choix de la Société fut singulièrement heureux. Elle alla chercher à Meaux un homme d'une grande valeur, un ancien élève de l'École normale qu'une affection chronique du larynx avait mis dans l'obligation de renoncer à l'enseignement actif, M. Victor Modeste, avec lequel les lecteurs du Journal des Économistes n'ont point à faire connaissance. M. Victor Modeste auquel avait été déjà offerte au mois de septembre 1857 la chaire d'économie politique créée à Montpellier sur l'initiative de la chambre de commerce, ne crut pas devoir refuser une seconde fois des fonctions auxquelles sa science le rendait si éminemment propre. Malgré l'extrême fatigue que devait lui imposer un déplacement hebdomadaire de Meaux à Reims, M. Modeste mit son dévouement à la disposition de la Société industrielle.

*Les lecteurs du Journal des Économistes pour lesquels j'écris cette histoire n'ont pas besoin qu'on leur donne ici l'analyse des idées du professeur. Ils trouveront le programme exact du cours, tel que M. Modeste l'a tracé lui-même, dans les deux numéros de juillet et de décembre 1861. Ces deux leçons professées le 11 et le 14 mai de la même année ont été, sur les instances de la Société industrielle, écrites par le professeur lui-même. Elles traitent de l'influence de l'économie politique en Europe et contiennent l'essai d'une définition et d'une division nouvelle de l'économie politique.

Le cours de M. Modeste n'a duré que deux années, et il a été suspendu, en plein succès, par le professeur lui-même à qui ses occupations, sa santé, les fatigues qu'il fallait braver ne permettaient point de continuer indéfiniment ce tour de force. Ce cours de M. Modeste qui demandait à chaque leçon au professeur un déplacement de plus de deux cent cinquante kilomètres, est un exemple remarquable des initiatives et des courages individuels que l'économie politique a toujours trouvés à sa disposition. On accuse perpétuellement en France les par3° SÉRIE, T. XIII. 15 mars 1869.

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