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Une autre fois, c'est l'ex-reine qui juge à propos d'entreprendre une tournée dans les provinces méridionales. On s'aperçoit alors tout d'un coup que la ville de Murcie, une ville de 40,000 âmes, attend depuis l'ouverture de la voie ferrée de Madrid à Alicante, c'est-à-dire depuis quatre années (1), une route carrossable qui la relie à Novelda, la station la plus proche. En quelques semaines ladite route est improvisée tant bien que mal, et la reine passe non sans peine. Qu'est devenue cette route depuis ?

Les compagnies de chemins de fer et le pays souffrent également de cet état de choses.

Sans routes, qui fassent converger les matières premières sur les stations et qui permettent l'écoulement des produits fabriqués dans l'intérieur du pays, les chemins de fer n'ont pas de trafic et ne sauraient produire de bénéfices. Dans ce fait réside à nos yeux la cause véritable de la déplorable situation financière des compagnies.

Nous admettons parfaitement que, par suite des vices d'une première construction, beaucoup d'entre elles aient dépensé inutilement des sommes importantes; nous ne contestons pas non plus que la largeur plus grande de la voie, adoptée dans la ridicule prévision d'une invasion possible de la France, n'ait augmenté considérablement le prix de revient du kilomètre; en effet, dans les régions montagneuses, où les œuvres d'art sont, pour ainsi dire, accumulées les unes sur les autres, cette augmentation a dû être considérable; mais nous pensons que rien de cela ne constitue un mal incurable et que tout pouvait et peut encore être sauvé, en assurant aux compagnies un trafic rémunérateur par la construction dans toute la contrée d'un vaste réseau de routes.

C'est en vain que le gouvernement espagnol donnera de nouvelles subventions; par ce moyen, il n'obtiendra d'autre résultat que de faire passer de la poche des contribuables dans la poche des actionnaires une somme plus ou moins forte, mais il n'améliorera pas les conditions économiques de l'exploitation des voies ferrées.

Cette somme que le gouvernement espagnol veut à juste titre sacrifier, c'est à faire des routes qu'il la doit employer, à faire des routes qui arrivent aux stations; car, il créera ainsi des richesses nouvelles qui constitueront postérieurement un trafic.

de Despenaperros, se bifurque à Baylen, projetant une branche au sud sur Jaen, Grenade et Malaga, et une autre au sud-ouest sur Cordoue, Séville et Cadix. Cette seule et unique route est loin d'être toujours en parfait état.

(1) Un chemin de fer direct a depuis relié Murcie à Madrid par Alba

cete.

Tel est à nos yeux l'unique moyen d'améliorer d'une manière réelle la situation des compagnies. Ce moyen, nous ne l'avons vu proposer nulle part; il nous semble pourtant le seul efficace.

III

Plus encore que les compagnies le pays souffre de cet état de choses. L'excellent article de M. Lesage sur la situation de l'agriculture en Espagne (1) nous a montré le blé donné aux pourceaux dans l'Estramadure faute de moyens de transport, et cela au moment même où les ports de mer en achetaient à l'étranger. Pour notre part, nous pouvons avancer des faits correspondants au sujet des mines.

Toute mine qui n'est pas située à proximité de la mer n'est pas exploitable en Espagne; et la zone d'inactivité se rapproche du rivage en raison directe de la moindre valeur du produit. C'est ainsi que le minerai de fer d'un rendement de 50 0/0 ne peut supporter un transport à dos d'ânes supérieur à 2 kilomètres; par charrette, sans route bien entendu, mais au travers d'un pays plat, il pourrait parcourir jusqu'à 5 kilomètres, mais pas au delà; nous avons vu de nos propres yeux dans la province d'Almeria du minerai de fer de qualité excellente abandonné sur le sol à moins de 8 kilomètres de la mer. Le transport au rivage coûtait juste un prix égal à celui de vente sous palans. L'opération laissait en perte le prix d'extraction et d'embarquement.

Ainsi, quelle que soit la richesse d'un minerai de fer en Espagne, tous sont inexploitables, à l'exception de ceux situés sur une étroite bande le long des côtes (2). D'autre part, la pensée de les convertir en fonte ne saurait venir puisque le pays ne renferme pas de combustible (3). Pour les minerais de plomb, le rayon utilisable est d'environ 80 kilomètres, et encore ces distances ne sont-elles possibles que pour ceux qui renferment une assez forte proportion d'argent. Ces minerais, plus riches, peuvent aussi emprunter certaines voies ferrées, mais il faut toujours qu'ils arrivent à la mer pour se faire fondre, puisque les fonderies ne peuvent employer que le charbon anglais.

(1) Coup d'œil sur les campagnes espagnoles et portugaises, par M. A. Lesage; Journal des Économistes, septembre 1868. Cet article nous fait une loi de garder le silence sur tout ce qui se rapporte à la production agricole.

(2) La mine bien connue de Somorostro, près de Santander, est, nous le croyons, plus éloignée du rivage que les chiffres indiqués; mais la Compagnie a construit, à ses frais, des voies de transport économiques. (3) Toute l'Espagne renfermait 39 hauts fourneaux en 1865. Anuario estadistico, années 1862-65.)

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Pour les autres métaux plus précieux, tels que le cuivre, il devient impossible de préciser aucun chiffre, tout dépendant de leur richesse.

Comme on le voit, le manque de routes paralyse la plus grande masse des richesses minérales de l'Espagne et empêche leur exportation. Il en est de même pour les produits agricoles. On ne fait pas plus pousser de blé qu'on n'extrait de minerai, quand on sait ne pouvoir le faire parvenir sur les marchés.

Ne produisant pas, un pays s'appauvrit ou mieux ne s'enrichit pas. Les populations, étant pauvres ne consomment que le nécessaire et se contentent de ce que produit directement l'endroit même où elles habitent; elles vivent de leur travail sans doute mais ne constituent pas d'épargne.

Si des routes, au contraire, parvenaient jusqu'à elles, ces mêmes populations prendraient goût au travail parce qu'elles verraient clairement un profit à en retirer. Les champs incultes seraient peu à peu défrichés, les minerais sortiraient en abondance des entrailles de la terre, et alors même que la plupart de ces produits passeraient à l'étranger, ces populations s'enrichiraient et de la rente du fonds et du montant des salaires.

L'instruction se développerait avec l'aisance; des méthodes perfectionnées seraient introduites, tant pour la culture de la terre que pour les travaux des mines et la fonte des minerais. Elles permettraient de produire à meilleur compte tout en vendant aussi cher, puisque les prix régulateurs d'un pays ouvert de toutes parts sont évidemment les prix étrangers.

La consommation générale augmenterait avec les fortunes particulières; sans doute elle tirerait principalement de l'étranger ce dont elle aurait besoin, mais l'accroissement de la richesse publique produirait des masses de capitaux qui pour trouver un emploi s'efforceraient d'obtenir encore davantage du sol; puis leur abondance étant encore accrue, une partie se jetterait peu à peu dans des opérations commerciales et industrielles, qui, laissant un profit, augmenteraient elles-mêmes la masse des capitaux disponibles.

C'est ainsi que la liberté commerciale, puissamment aidée par l'intelligent concours d'un gouvernement qui créerait des moyens de transport, parviendrait à développer les richesses latentes de l'Espagne, à faire passer dans des mains espagnoles le commerce du pays, propriété presque exclusive des étrangers, enfin à créer une industrie nationale,

IV

Pour atteindre ce résultat une très-grande difficulté se présente toutefois, c'est le manque de combustible. Les forêts qui recouvraient au

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trefois une grande partie de la péninsule ont en effet disparu. Les statistiques officielles constatent que, sur environ 28 millions d'hectares de terres plus ou moins utilisées que renferme l'Espagne, il existe 4,385,721 hectares de terrain forestier (1). Mais la plus grande partie de cette superficie se trouve absolument déboisée. Trop de personnes ont aujourd'hui parcouru l'Espagne, pour qu'il soit possible de contester que le voyageur ne rencontre partout que des montagnes dénudées ou des plaines ne portant aucun produit forestier.

Les nombreux échantillons de bois variés que nous avons vu figurer à l'Exposition universelle de 1867 n'étaient en réalité que des collections obtenues dans des jardins botaniques, dont plusieurs ont été récemment créés précisément dans la pensée de remédier à un état de choses si regrettable.

Le nord et notamment les Asturies sont seuls à présenter quelques rares exceptions à ce déboisement général, dont les conséquences sont de maintenir le combustible à un prix élevé et de procurer l'écoulement instantané des eaux qui ravinent au lieu de féconder et transforment à certaines époques les lits desséchés des rivières en torrents impétueux. Le sol ne se refuserait cependant pas à cette nature de culture, car toutes les résidences royales et celles des représentants de l'ancienne noblesse présentent les plus frais ombrages au milieu de plaines en apparence desséchées et arides. C'est ainsi qu'entre Madrid et Almansa, sur un parcours de 360 kilomètres, pendant lequel la voie ferrée ne rencontre pas un seul arbre, on voit s'élever les arbres majestueux du parc d'Aranjuez, qui forment comme une oasis au milieu d'une plaine qui à première vue ne semble pouvoir être comparée qu'à la campagne romaine.

Reste le charbon de terre. En 1863, la production indigène s'est élevée pour la houille et l'anthracite réunis à 451 millions de kilogrammes, représentant une valeur de 22 millions 1/2 de réaux. C'était évidemment un progrès sur la situation antérieure.

Cette richesse toutefois est absolument localisée; sur le chiffre précédent, plus de 300 millions de kilogrammes sont en effet fournis par la seule province d'Oviedo et plus de 60 millions par celle de Palencia; il en résulte que les autres se trouvent entièrement dépourvues de cette nature de combustible. Le charbon anglais est donc seul à fournir à leurs besoins.

En 1863, l'importation s'est élevée au chiffre de 285 millions de kilogrammes, représentant une valeur supérieure à 9 millions de réaux.

(1) Ces chiffres, empruntés à l'Anuario estadistico, années 1859-60, ne comprennent ni les provinces Basques ni la Navarre.

Cette importation, qui du reste l'année précédente avait dépassé ce chiffre de 40 millions de kilogrammes, est en réalité plus considérable, en raison des fraudes nombreuses auxquelles elle donne lieu. Elle est entravée par un droit d'entrée s'élevant à 2 réaux 70 (0 fr.73) par quintal métrique sous pavillon national et à 3 réaux 25 (0 fr. 88) sous pavillon étranger. Ce dernier chiffre est le seul dont il doive être tenu compte, les importations de charbon étant toujours effectuées par des navires anglais.

Les motifs allégués par la loi du 17 juillet 1849 pour l'établissement de ce droit sont véritablement trop étranges pour ne pas être cités. Cette loi, qui jusqu'à ce jour n'a reçu que des modifications partielles, et qui est encore en vigueur, dit en propres termes (1):

« Base première (des tarif's). Payeront 25 à 50 0/0: Les matières premières analogues à celles que l'Espagne produit en abondance; les agents de production dans le même cas, tels que houilles et cokes; les produits de l'industrie étrangère qui peuvent faire concurrence aux produits similaires de l'industrie nationale. »>

La loi le dit expressément; c'est un droit protecteur, mais pour protéger quoi? En 1849, existait-il des mines de houille en exploitation dans la province d'Oviedo ? Pouvait-on dire, peut-on même dire aujourd'hui que l'Espagne produit en abondance le charbon de terre? C'est un agent de production, dit textuellement la loi, et vous lui fermez vos portes !

Il n'y a pas d'aberration plus grande, il n'y a pas de plus fausse application du système protecteur; car assurément, si un seul produit eût du trouver grâce devant les tarifs c'était la houille, l'agent producteur par excellence. Vainement objecterait-on que les mines d'Oviedo et de Palencia fussent restées stériles sans l'existence de ce droit. Cela est plus que douteux, et alors même que ce fait se fût produit, on pourrait répondre que les 22 millions 1/2 de réaux produits par les mines en question se trouveraient largement compensés par un nombre de millions bien autrement considérables qui auraient été créés par l'industrie nationale, vivifiée par un plus bas prix du combustible.

L'Espagne, plus qu'aucune autre contrée peut-être, nous prouve que le système protecteur est la conséquence du système protecteur luimême. Pour protéger des houillières à venir, vous haussez le prix du charbon; l'industrie produit plus chèrement, et alors, il faut la protéger contre l'industrie étrangère. C'est logique et inévitable. Qu'en ré

(1) Annales du commerce extérieur, no 1574; Législation commerciale, no 18; octobre 1868.

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