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CORRESPONDANCE

A PROPOS DE LA LETTRE DE M. ANATOLE DUNOYER, AU SUJET DE LA NOTICE SUR CHARLES DUNOYER.

Mon cher Garnier, vous connaissez depuis longtemps mon respect pour Dunoyer, comme homme et comme savant, et vous en avez retrouvé l'expression, souvent renouvelée, dans mon article du mois de janvier dernier. Vous avez donc dû être aussi étonné que moi de la lettre que vous a adressée M. Anatole Dunoyer, à l'occasion de cet article. Il semblerait, d'après elle, que je n'aie cherché qu'à accuser et à calomnier l'un des maîtres de l'économie politique que j'estime le plus.

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N'est-ce pas dans cet article, cependant, que j'ai rappelé la laborieuse et digne vie de Dunoyer durant toute la Restauration, en pariant quelquefois d'admirable noblesse, de courageuse et rare grandeur? « Entravé, persécuté, condamné, Dunoyer n'a jamais fait appel qu'à la saine et mûre réflexion de ses concitoyens, ai-je aussi écrit, à propos de ses travaux de cette époque, comme au milieu des ovations qu'il recevait à Rennes, j'ai dit qu'il « était tout entier à son œuvre de rigoureux raisonnement et de persuasion réfléchie,» avant de citer « les nobles et exactes paroles tracées dans ses notes, » sur le Censeur et ses deux fondateurs.

N'est-ce pas également dans cet article qu'au sujet du premier ouvrage de Dunoyer, et du Traité de législation de Comte, j'écris : « Ce sont deux ouvrages très-remarquables; ils révèlent l'un et l'autre une rare instruction, une pensée très-exercée, un sentiment profondément dévoué au bien et à la vérité? » Et lorsque j'arrive à la protestation de Dunoyer contre les ordonnances de Juillet, est-ce que je ne dis pas: « C'était le courage civil dans sa plus noble, sa plus magnifique dignité ? » Ce seraient là d'étranges appréciations si j'avais eu le dessein qui m'est prêté.

Pendant la monarchie de 1830, je n'approuve, il est vrai, ni tous les actes, ni toutes les opinions de Dunoyer. Mais lors même que je signale ce que je crois ses torts ou ses erreurs, je ne suspecte pas une fois ses loyales intentions, ses honorables sentiments. Je ne les suspecte pas davantage en parlant des écrits qu'il a publiés après 1848. Quand je nomme la Liberté du travail, je la dis « un très-beau livre qui place assurément son auteur à la tête de l'école économiste française de nos jours. » Lorsque je rappelle que Dunoyer a été le premier président de la Société d'économie politique, j'écris que cette Société « s'est toujours plu à le regarder comme sa gloire présente la plussùre. »

A l'égard des sentiments que lui inspirait notre dernier changement de gouvernement, j'écris encore : « Quel feu, quelle jeunesse, quelle colère concentrée! Mais aussi quelle noblesse, quelle sincérité, quelle pure et male honnêteté!» Enfin, terminant mon article et résumant mes appréciations, « l'économie politique, dis-je, lui doit quelques-unes de ses plus belles démonstrations, comme elle lui doit pour beaucoup le caractère positif et libéral qu'il s'est appliqué à lui conserver au moment où elle commençait à entrer dans nos discussions ordinaires. Ce que j'ai dit de sa vie doit suffisamment le faire connaître et admirer. » Comment M. Anatole Dunoyer, prétendant juger mon article, ne citet-il pas un seul de ces passages, une seule de ces appréciations, ou quelque autre de même nature; car il s'en rencontre un assez grand nombre? Je m'étonne qu'il ait cru mieux honorer ainsi la mémoire de son père.

Permettez-moi de répondre maintenant par quelques mots à chacun des reproches articulaires qui m'ont été adressés. Mon estime pour Dunoyer m'y oblige.

I. Dunoyer a été mêlé à l'administration du premier empire jusqu'à sa chute, et j'ai dit que, «oubliant peut-être trop promptement son passé si récent, il courut au-devant de Louis XVIII et du comte d'Artois. Il me serait impossible de ne pas émettre de nouveau le même doute si j'avais à reparler du même fait. Mais j'ai eu soin de montrer, en copiant ses notes, l'aversion que lui inspirait le premier empire; j'ai ajouté qu'il espérait du retour des Bourbons, a et l'avénement d'un gouvernement constitutionnel, et une nouvelle ère de paix; » et j'ai remarqué que « sa nouvelle situation (près des princes) atteignit si peu ses convictions libérales, qu'il distribua dans les salons mêmes des Tuileries, à ses compagnons de garde, quelques exemplaires d'une brochure dans laquelle il cherchait à convaincre de l'insuffisance de la déclaration de Saint-Ouen. » Je fais en outre suivre cette observation de ces autres paroles : « Ni Dunoyer, ni Comte, du reste, n'ont jamais été disposés à acclamer ou à combattre un gouvernement sans interroger ses actes, ses principes, ses desseins, et sans chercher à les défendre ou à les corriger. Ce besoin de sincère appréciation et d'efficace contrôle expliquerait seul l'origine et le caractère du censeur. »

II. Le second reproche qui m'est fait, c'est que j'ai laissé planer un fâcheux soupçon sur Dunoyer, à propos de la tentative faite par Fouché auprès de Comte et de lui. Voici tout ce que j'ai écrit à ce sujet :. « Fouché.... cherchait.... à les rattacher à Napoléon. N'en ayant obtenu nulle promesse, il eut avec eux une seconde entrevue au milieu de son jardin, où il se montra plus pressant encore. Mais Dunoyer et Comte s'en tinrent à affirmer de nouveau qu'ils désiraient seulement poursuivre leurs travaux, en contribuant, autant qu'ils le pourraient, à l'éducation politique de leur pays. »

III. La troisième accusation formulée contre moi se rapporte à mes observations sur la brochure de Dunoyer, intitulée: Mémoire à consulter sur quelques-unes des principales questions que la révolution de Juillet a fait naître. Je n'ai pas approuvé cette brochure, et je répète que, pour la réfuter dans ses principales conclusions il suffirait de lui opposer la Révolution du 24 Février du même auteur. Mais là non plus je n'ai rien laissé soupçonner, et je ne laisse rien soupçonner encore quand je dis que, durant les dix-huit années de la monarchie de Juillet, Dunoyer, toujours absolu dans ses opinions, n'a pas cessé d'avoir les mêmes admirations et les mêmes répulsions (celles exprimées dans le Mémoire à consulter). Une lettre, adressée au Journal des Débats, les manifeste encore peu de temps avant le 24 février, » Dunoyer a servi avec un plein honneur, une pleine dignité, la royauté de 1830, mais il ne s'est pas, à mon avis, rendu assez compte des fautes et des périls de cette royauté. Je l'ai dit et j'ai d'autant plus volontiers fait cette remarque, que j'avais lu la Révolution de 1848, et l'ouvrage sur le Rétablissement de l'Empire.

Le Mémoire à consulter s'occupe, il est vrai, de quelques questions économiques dont je n'ai pas parlé; mais elles y sont bien plutôt indiquées qu'approfondies, et je n'ai discuté, dans mon article, aucune opinion économique de Dunoyer. Lors même que le gouvernement de Juillet aurait hautement avoué tous les enseignements du Mémoire à consulter, j'aurais encore pu dire « A nul moment la monarchie de 1830 n'a, par malheur, eu l'intelligence des conditions nécessaires de la liberté, non plus que des destinées industrielles des nations modernes. >>

IV-V. Je sais que Dunoyer n'a pas attendu la chute du gouvernement de 1830, pour réclamer des franchises locales, s'il les a quelquefois repoussées durant son existence, et je ne l'ai pas laissé ignorer. J'ai rappelé notamment son travail sur la liberté des peuples à places (1), que je préfère à tout ce qu'il a écrit contre la centralisation, sauf deux pages de son livre sur le rétablissement de l'empire, auxquelles je renvoie dans la suite de mon travail. J'ai cité pareillement cette phrase de sa lettre à Destutt de Tracy: « Tout est monté de manière qu'en se donnant beaucoup de mal on fait peu de chose. La vie s'épuise en formalités dans notre système administratif. » J'ai encore écrit : « La centralisation fait ces mœurs séditieuses et serviles qui ne permettent de rien souffrir et de rien empêcher, comme le dit Dunoyer quelque part, » en renvoyant à son Droit de pétition.

Si j'ai beaucoup insisté sur les fàcheux effets de la centralisation, c'est que je regarde cette sorte d'organisation administrative comme le grand malheur de la France, au point de vue de l'autorité autant qu'au point de vue de la liberté. Et j'ai mis en lumière les pages où

(1) Dans les rapports de l'industrie et de la morale.

Dunoyer se montre favorable à la centralisation, parce qu'il importe surtout, ainsi que le disait Rossi en réfutant J.-B. Say, de combattre les opinions erronées des hommes remarquables. Je reviens d'ailleurs longuement sur ce sujet dans les autres parties de mon travail.

C'est à cet égard que je suis aussi accusé d'avoir inexactement interprété un passage de la lettre de Dunoyer à Destutt de Tracy, relatif à la nomination des maires. Voici ce que j'ai dit : « Dans une lettre de Destutt de Tracy, datée de la préfecture de Moulins, Dunoyer redoute jusqu'à l'élection des maires par les communes, de crainte des aristocrates. Et voici la phrase textuelle de cette lettre, heureusement reproduite par M. Anatole Dunoyer: « Il m'est démontré que si l'élection des maires est donnée aux communes, elles choisiront en maint endroit des aristocrates, par cela seul qu'ils savent lire et écrire, tant bien que mal. »

VI. Il s'agit ici de mon appréciation sur la nomination de Dunoyer aux fonctions d'administrateur de la Bibliothèque royale. J'ai blâme cette nomination, parce qu'elle me paraissait fâcheuse; j'ai loué la résistance des conservateurs, parce qu'elle me semblait très-digne et trèsjuste; mais ai-je accusé Dunoyer? « Certainement, ai-je écrit, Dunoyer croyait sa fonction utile; sur ce point il ne saurait y avoir de doute » (1). Là, d'ailleurs, de même qu'en traitant de la centralisation, j'ai fait remarquer, non comme éloge, mais comme vérité, que Dunoyer n'aperçoit toujours que le point qui l'a frappé d'abord. C'est à mon sens, l'un de ses traits les plus marqués, sans lequel on ne pourrait expliquer plusieurs de ses opinions ou de ses actes.

VII. Enfin, je suis accusé d'avoir fait de Dunoyer un aristocrate. En indiquant les différences qui le distinguent de Comte, et en citant, parmi ces différences, le sentiment plus vif chez ce dernier des désirs et des besoins populaires, j'ai dit que Dunoyer attribuait surtout ces différences « à sa première éducation ecclésiastique et à ses aristocratiques traditions de famille. » J'ai écrit cela en ayant ses notes sous les yeux, et je le crois encore fort exact, quoique ne me rappelant pas les termes dont il se sert. Mais cette observation ne fût-elle pas de Dunoyer, comment en résulterait-il qu'il dût être pris pour un aristocrate? J'ai dit aussi vers la fin de mon travail : « Quoiqu'une lueur assez vive de popularité ait un instant entouré Dunoyer, comme je l'ai rappelé, il s'en est toujours tenu à s'efforcer de convaincre les classes lettrées et dominantes. Sa nature d'esprit était profondément aristocratique.... » Ré

(1) M. A. Dunoyer revient souvent, à cette occasion, sur le mot de profit que j'ai employé. Voici la phrase où ce mot se trouve : «Le gouvernement de 1820, qui n'a cessé non plus de multiplier ses attributions, dans l'espoir peu justifié de se consolider, entreprit, au profit de Dunoyer, lorsqu'il eut abandonné la carrière des préfectures, d'intervenir plus directement dans l'administration de la Bibliothèque royale. »

sulte-t-il encore de là que je l'aie considéré comme un aristocrate? Et il n'y a pas un autre passage, un autre mot dans mon articie qui puisse permettre une telle supposition.

Si j'avais à apprécier les écrits, les discours, les conversations d'un homme que je n'estime pas moins que Dunoyer, et qui bien plus que lui s'est préoccupé des destinées futures des démocraties, auxquelles il croyait fatalement et légitimement réservé l'avenir, de Tocqueville, je dirais également, sans crainte d'être contredit par ceux qui l'ont suffisamment lu ou connu, que sa nature d'esprit était profondément aris. tocratique; et je dirais cela beaucoup plutôt comme un éloge que comme un blåme.

Ces faits rétablis, que reste-t-il des accusations auxquelles j'avais à répondre (1)? J'admire autant que personne le sentiment de la piété filiale, surtout quand il s'agit d'une mémoire telle que celle de Dunoyer; mais je suis loin de penser que ce sentiment autorise à parler d'un homme qu'on ne connaît pas (2), comme l'a fait de moi M. Anatole Dunoyer, en attaquant jusqu'à la liberté de l'écrivain.

Vous avez, mon cher Garnier, la seconde partie de mon Étude; vous y retrouverez le même respect, les mêmes préoccupations et la même franchise. Je viens, au reste, de vous rappeler que c'est une étude que j'ai entreprise; rien autre chose.

Gustave Du PUYNODE.

LES ADMISSIONS TEMPORAIRES DES TOILES DE COTON.

LETTRES DE MM. de hEECKEREN ET MICHEL CHEVALIER.

II Lettre de M. ED. GROS-HARTMANN à M. le sénateur
baron DE HEECKEREN.

Wesserling, le 11 mars 1869.

Monsieur le baron, j'ai lu avec le plus vif intérêt la discussion que vous avez soutenue contre M. Michel Chevalier sur la position de nos diverses industries, et me sens amené, par suite de cette lecture, à

(1) Quant à mon appréciation du style de Dunoyer, c'est à ses lecteurs d'eu décider. Je tiens seulement à dire que le mot atone qui se rencontre dans mon article est du fait de l'imprimeur; j'avais écrit monotone. Je me garderai toujours d'inventer de nouveaux mots. Pour le mot ancêtres, je renvoie au Dictionnaire de l'Académie, au risque de le voir éveiller aussi une idée bouffonne.

(2) Je n'ai vu qu'une seule fois M. Anatole Lunoyer, pendant une demi-heure environ, et je ne lui ai pas laissé ignorer combien j'étais loin de partager les sentiments exprimés par son père sous le gouvernement de 1830.

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