Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

concessions était en lui-même avantageux pour les finances de toute commune. L'économie politique ne conseillait-elle pas aux administrations de ne point exécuter par elles-mêmes de travaux? M. le ministre de l'intérieur (1) a essayé de détourner encore l'attention sur ce caractère d'utilité publique des concessions. M. Dumiral (2) a parlé aussi des économies qu'elles ont procurées. Ce serait à merveille s'il n'existait pas un système bien autrement avantageux, celui des adjudications publiques, et ce système est le seul que la loi devrait autoriser, puisque seul il garantit la moralité des opérations.

Quelque sous-ordre imagina ensuite de prétendre qu'on ne faisait que suivre des errements anciens. M. Berger, lorsque, en 1849, la Ville eut racheté les ponts à péage, ne paya-t-il pas les propriétaires ou concessionnaires dépossédés, en annuités, à coupons divisibles et transmisibles? L'analogie a été indiquée encore récemment par M. le ministre de l'intérieur (3). Cette analogie n'existe pas; c'est ce que M. Baronnet, qui ne veut point qu'on diminue quelque chose du mérite de son invention, a sans peine prouvé (4).

Au moins, n'est-il pas manifeste que, en se substituant des concessionnaires, la Ville n'était plus directement en face des exigences du propriétaire à exproprier, du locataire à évincer, et que les conditions de l'éviction et de l'expropriation en devenaient plus raisonnables? L'ex périence n'a pas montré que les jurys aient tenu grand compte de cette adresse de la municipalité, bien au contraire; et, pour la population, elle a eu le désagrément d'avoir affaire à des entrepreneurs qui ne yoyaient qu'une occasion de gain dans ces grands travaux, et qui ne voulaient mettre aucune élégance dans l'exercice des droits qui leur étaient concédés.

Non, non les traités de concessions n'avaient aucun avantage pour personne, si ce n'est pour les entrepreneurs et surtout pour l'administration de la Ville qui s'est par là procuré 465 millions de crédit, dont

(4) Séance du 24 février.

(2) Rapport de la Commission.

(3) Séance du 24 février. Et par M. le préfet, au Sénat, dans son discours pro domo mea.

(4) « Amortir un capital au moyen d'une cession de rentes ou créer un nouveau capital disponible qu'on ne saurait trouver, est-ce bien une seule et même chose? Si M. Berger a pu faire une cession de rentes en 1849 pour racheter le péage des ponts, c'est bien au système des bons de délégation que M. Haussmann a dû la possibilité de continuer les grands travaux de Paris. »>

335 ont servi à enrichir des personnes sans mérite, mais expropriées. La Ville, une fois son éducation faite par M. Baronnet, a en moins d'un an levé les deux tiers de cet emprunt si commode; elle a eu affaire d'abord à des gens qui lui offraient quelque garantie, puis, « par une invention merveilleuse, à des gens qui ne lui offraient d'autre crédit que le sien propre » (1).

Parmi les irrégularités ou les obscurités de cette succession d'opérations obscures et irrégulières, l'une des plus défavorables pour la bonne opinion qu'il est d'usage d'avoir de nos comptabilités municipales, c'est qu'il n'est pas possible de voir clairement comment la Ville a payé, depuis 1864, les intérêts de ses bons. Est-ce la Caisse municipale, est-ce la Caisse des travaux qui a fait la dépense? Celle-ci sans doute, en même temps qu'elle payait ses propres bons, mais son Compte moral ne le fait pas voir au net, et il a dû être ainsi dépensé plus de 50 millions d'intérêts (2). Une autre encore, plus légère ou plutôt d'un autre genre, c'est que les bons de délégation devaient être timbrés, en vertu de la loi, et ils ne l'ont pas été. Une autre encore, celle-ci plus sérieuse, car elle met le comble aux preuves amoncélées les fonds reçus par la Ville des concessionnaires du traité Berlencourt ont été employés par elle à d'autres opérations (3). Elle ne les considérait pas, dira-t-elle, comme un vrai dépôt; c'est donc qu'elle se croyait débitrice d'un véritable emprunt, et libre d'en disposer.

Toutes les parties de ce grave sujet de finances et d'administration sont si intéressantes et le débat en a été si brillant qu'il faudrait, si

(1) Discours de M. Jules Favre, séance du 5 mars,

(2) Discours de M. Calley Saint-Paul (25 février) et réponse de M. Rouher (26 février).

(3) Extrait du rapport de la Cour des Comptes sur l'exercice 1864, publié en 1868, à l'article des 20 millions de dépôts affectés au payement des expropriations et des frais généraux. « La Ville prenait l'engagement d'acquitter les dépenses susdites avec les sommes versées. (Elle garantissait de plus une somme de 1,000 fr. par mètre de terrain livré à la voie publique, subvention évaluée pour l'immeuble à 21,023,350 francs, et stipulés payables : 1,033,350 fr. après la réception de la voie, et les 20 millions de surplus en six annuités, à partir du 1o juillet 1866.) »

Il n'en a pas été ainsi. « Un simple rapprochement entre la recette et la dépense des opérations de voirie pour 1864 donne lieu de constater que la somme de 20 millions déposée a été employée presque totalement à des opérations étrangères à sa destination. »

on le pouvait, s'arrêter sur la question spéciale de savoir si, oui ou non, les bons de délégation constituaient un emprunt déguisé.

Au mois d'avril 1867, en discutant la loi des conseils municipaux, le Corps législatif a été saisi de cette question, mais il ne l'a point résolue dans le sens du droit et du sens commun. Heureusement que, en deux ans, sa conscience s'est éclairée.

M. Berryer disait alors: « On a introduit dans la discussion une étrange confusion des choses et de la nature des engagements et des contrats. On a dit que, quand on achète à terme, on ne fait pas un emprunt. On a dit que, quand une ville fait un marché payable en trois ans, pour la fourniture de bois et de chandelles, ce n'est pas un emprunt. Cela n'est pas sérieux. Il est évident que, dans toute vente à terme, le vendeur a égard au terme qui lui est demandé le prix se modifie dans sa pensée selon qu'on lui demande crédit pour un, deux, cinq ou dix ans, mais il n'y a pas là le caractère d'un emprunt. On s'engage à payer dans un délai déterminé; la concession de ce délai devient un objet d'appréciation de la part du vendeur, qui détermine son prix à raison du délai.

«Mais si l'acheteur crée un papier négociable, si ce papier est mis en circulation, et si ce papier, réalisé au moment même du contrat, sert à payer le vendeur, évidemment l'émission de ce papier, sa mise en circulation constituent un emprunt. » Impossible de mieux distinguer l'acte d'administration permis de l'acte illégal d'emprunt.

M. Rouher qui, comme la Chambre, n'avait pas encore sa conscience éclairée suffisamment, crut qu'un discours pourrait avoir encore raison de la raison, et il ne se trompa pas : il nia que les traités eussent leurs échéances échelonnées sur plus de six années, quoiqu'ils le fussent sur huit; il parla des bons de délégation comme d'une création adminis trative; il fit valoir cette création, dont l'existence n'était qu'un fait administratif, comme une mesure de prudence, d'économie, de régularité même (1).

(1) Séance du 11 août 1867.

Voici la fin du discours prononcé dans la circonstance qui nous occupe:

« Je vais plus loin, et c'est par là que je termine. Il y a d'autres travaux à faire pour ceux-là la sollicitude du gouvernement veille!

<«< S'ils devaient absorber au delà des ressources ordinaires, réellement, sérieusement, prudemment, disponibles de la ville de Paris, nous ne permettrions pas l'exécution des projets sans que l'autorisation du Corps législatif soit obtenue, sans que l'emprunt soit venu assurer les

Mais, en 1869, quel changement ! « Je n'hésite pas à le confesser: on a dépassé le droit d'administration, on a atteint le droit de disposition, et votre autorisation préalable était nécessaire. On a méconnu une des prérogatives du Corps législatif; on ne doit pas recommencer. » Ceci c'est la déclaration du Ministre d'Etat, de M. Rouher. Voici celle du ministre des finances, de M. Magne, qui a tort de dire que personne ne contestait la régularité des opérations financières de la ville de Paris.

Le système des bons ne sera pas continué. Jusqu'à ces derniers moments tout le monde pouvait être excusable de les supposer réguliers, puisqu'ils n'étaient pas contestés; à partir d'aujourd'hui, ce serait bien plus qu'une faute; suivant moi, ce serait quelque chose d'autrement grave que de continuer un système qui a reçu de la Chambre une appréciation peu favorable. »

N'en demandons pas davantage, et admettons qu'il n'y a qu'une irrégularité de commise (1). Mais nous ne nous en sommes pas moins

ressources ordinaires. Mais, tant que loyalement, honnêtement, nous restons dans l'emploi des ressources ordinaires de la Ville de Paris, dans l'affectation de ces ressources ordinaires aux travaux publics, je ne comprends pas qu'on voie là la violation de la loi, et je demande à la Chambre de clore cet incident en reconnaissant la régularité d'opérations qui ont leur importance et leur véritable grandeur. » (Bravos prolongés et applaudissements.)

Ainsi c'est par des applaudissements et des bravos prolongés que la Chambre, en 1867, a accueilli cette péroraison du discours ministériel. Il ne prouve pourtant ou ne semble prouver qu'une chose, c'est que, puisque la Ville avait de si larges ressources à sa disposition, il était absolument inutile qu'elle demandât des fonds aux concessionnaires de ses entreprises, ou que, si elle en voulait recevoir à titre de cautionnenements, elle ne devait pas émettre (ou laisser émettre) de bons pour les représenter, et surtout de bons revêtus d'un endos et négociables. Mais la vérité était que M. Haussmann, pour accomplir la pensée impériale, avait été fort heureux de trouver le crédit nouveau qui lui avait élé offert et de se jeter tête baissée dans le tourbillon de démolitions et de gros ouvrages manuels que la politique de l'empire impose à Paris.

Au vote, 27 voix seulement contre 198 se sont prononcées pour que l'administration de la Ville fût ramenée au respect de la loi. M. Haussmann et le Conseil municipal en triomphèrent pour un temps encore.

(1) « La plus éclatante violation de la loi qu'on ait jamais commise, la plus éclatante violation du droit de 1789, du droit de voter l'impôt, qui appartient au pays. Jamais, à aucune époque, on n'a osé, en face d'assemblées chargées de voter l'impôt, on n'a osé emprunter, d'une manière détournée, 465 millions. » (Discours de M. Thiers, séance du 2 mars).

trouvés en présence d'une émission de plusieurs centaines de millions de titres divers que les tiers porteurs ont négociés, et qui ont fini par arriver tous dans les mains du Crédit foncier. Une fois ses bons arrivés là, la Ville, au lieu de les lui payer en huit ans, ce qui lui était devenu impossible, a désiré traiter pour ne les payer qu'en soixante ans.

Jamais la Ville n'a tort. La Ville pouvait parfaitement payer ses bons (1). Sans doute elle n'avait pas réussi à bien égaliser les annuités, mais, en somme, que devait-elle ? 465 millions, moins 72 que la Caisse des travaux (on ne parle plus ici des bons spéciaux de la Caisse, c'està-dire d'un passif de 159 millions), a par devers elle en terrains, et autres valeurs. La dette n'est ainsi que de 392 ou 393 millions, ou de 39 millions par an pour les dix ans à courir. Il y a les intérêts à ajouter; tout balancé c'est 10 millions par an, et en tout 49. Est-ce que, dès 1868, l'excédant des recettes de la Ville sur les dépenses n'est pas de 53 millions? En 1869 on dispose de 58. En 1872, la situation devient merveilleuse. « Les engagements que le traité proroge n'avaient donc pas été pris imprudemment. >>

La Ville n'a traité que pour décharger prochainement l'octroi. Tel est le prétexte mis en avant pour justifier le traité de la Ville avec le Crédit foncier, comme déjà, en 1865, M. le préfet et M. Devinck le mettaient en avant afin de motiver l'emprunt de 250 millions dont ils avaient besoin. Prenons-en acte, mais ne perdons pas de vue que, si la Ville en est arrivée à traiter avec le Crédit foncier pour le rachat de ses bons, nous avons d'abord à examiner comment le Crédit foncier, banque d'État, qui a des statuts particuliers et une mission spéciale, s'est trouvé détenteur des titres de 398 millions empruntés et dus par la Ville, en coupures de 5,000 francs au moins.

VI

Les concessionnaires, une fois reçus les bons, les avaient portés à l'escompte de divers banquiers et d'établissements de crédit, comme la Société générale et le Crédit lyonnais, qui, vu la situation du marché et le prix des escomptes, demandèrent 7 1/4, et même plus, a-t-on dit. La différence entre ce prix et les 5 d'intérêt garantis par la Ville était grande. Elle a permis aux escompteurs de réaliser de forts béné fices, sans risques à courir. Quelques-uns de ces escompteurs, au lieu de garder leur papier et d'attendre, préférèrent limiter leur bénéfice et faire escompter eux-mêmes les titres de la Ville à un moins haut prix

(1) Rapport du préfet de la Seine à l'Empereur.

« ZurückWeiter »