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voient leur détresse, et cette détresse ne secoue pas leur énergie et ne les pousse à aucun effort. »

M. Colas, dans son excellent ouvrage, va encore plus loin : « Les musulmans sont aujourd'hui à l'Europe, écrit-il, ce que l'Europe barbare était aux Arabes, conquérants de l'Espagne du vine au xe siècle; malheureusement l'insouciance et la faiblesse des sultans a laissé cet amoindrissement se produire d'une façon presque non interrompue. Tandis que les progrès de l'industrie faisaient grandir les autres nations, l'empire ottoman a vu sa décadence s'accomplir. >>

XII. PROPRIÉTÉ. C'est seulement depuis février 1856 que les Européens ont obtenu l'autorisation de posséder des propriétés immobilières (1). Dans un temps donné, cette concession doit ouvrir la voie à un immense progrès en agriculture. Voici quelles sont les conditions qui sont imposées aux étrangers qui veulent s'établir en Turquie Ils deviennent sujets de la Porte, sans réserve ni restrictions; mais ils peuvent suivre sans entrave l'exercice de leur religion. Chaque famille doit, à son arrivée, posséder une somme minimum de 1,350 fr. Les terres qui leur sont concédées gratuitement sont exemptées de toute rétribution territoriale et personnelle, et du service militaire, ou de son équivalent en argent pendant six ans, s'ils sont installés en Roumélie, et pendant douze s'ils sont établis en Asie. Les colons ne peuvent vendre les terres qui leur ont été accordées qu'après un espace de temps d'au moins vingt ans. Ceux qui veulent quitter le pays avant l'expiration de ce délai, restituent les terres sans aucune compensation, ainsi que toutes les constructions qu'ils y ont élevées. Enfin, le gouvernement s'est réservé le droit d'expulser de l'empire ceux des colons qui commettraient des crimes, ou dont la conduite serait mauvaise. Ces prescriptions détruisent les priviléges accordés aux étrangers par des capitulations; aussi le gouvernement turc avait-il chargé le conseil d'État de modifier ces dispositions de l'acte de février 1856; mais ce n'est que dans un protocole du 9 juin 1868, approuvé par un décret du 27 du même mois, inséré au Moniteur universel du 16 juillet suiyant, qu'ont été réglementées les conditions dans lesquelles le droit de propriété pourra désormais s'exercer en Turquie envers les étrangers.

Comme conséquence de la mesure qui permet aux étrangers d'acquérir et de posséder des immeubles en Turquie, une commission a

(1) Le 5 novembre dernier, l'Autriche a signé le protocole relatif à la faculté, pour les étrangers, d'acquérir des immeubles en Turquie,

été instituée dans le mois de novembre dernier, pour préparer une loi sur l'établissement du cadastre dans l'empire ottoman, et notamment pour établir le recensement de toutes les maisons des quartiers formant Constantinople, c'est-à-dire Stamboul, Galata et Péra.

Par un récent firman impérial, l'exploitation des mines peut être accordée par l'État pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Le Trésor perçoit 5 0/0 sur le produit brut, plus une redevance de 5 paros (2 centimes 1/2) sur chaque 30 pieds carrés de surface exploitée.

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XIII. LIBERTÉ INDIVIDUELLE. Voici la disposition qui la concerne; ce n'est pas la moins importante du protocole du 9 juin 1868:

« La demeure de toute personne habitant le sol ottoman étant inviolable, et nul ne pouvant y pénétrer sans le consentement du maître, si ce n'est en vertu d'ordres émanés de l'autorité compétente, et avec l'assistance du magistrat ou fonctionnaire investi des pouvoirs nécessaires, la demeure du sujet étranger est inviolable au même titre, conformément aux traités, et les agents de la force publique ne peuvent y pénétrer sans l'assistance du consul dont relève cet étranger. Dans les localités éloignées de neuf heures au moins de marche de la résidence consulaire, les agents de la force publique pourront, sur la réquisition de l'autorité locale, et avec l'assistance de trois membres du conseil des anciens de la commune, pénétrer dans la demeure d'un sujet étranger sans être assistés de l'agent consulaire, mais seulement en cas d'urgence et pour la recherche ou la constatation du crime de meurtre, de tentative de meurtre, d'incendie, de vol à main armée, ou avec effraction ou de nuit, dans une maison habitée, de rébellion armée et de fabrication de fausse monnaie, et ce, soit que le crime ait été commis par un sujet étranger, ou par un sujet ottoman, et soit qu'il ait eu lieu dans l'habition de l'étranger, ou en dehors de cette habitation, et dans quelque autre lieu que ce soit. »>

XIV. ARMÉE. Elle a été organisée en 1842. Elle se compose de deux catégories principales: l'armée active, où la durée du service est de cinq années et qui se compose de 149,000 hommes; l'armée de réserve, dont le service est de sept années et qui est composée d'un même nombre de soldats sortant de l'activité. Les contingents auxiliaires fournissent 116,000 hommes et les troupes irrégulières 86,000, ce qui porte à 500,000 hommes l'effectif de l'armée.

Le recrutement par le sort a été introduit en 1843. Il a lieu par voie d'appel à l'aide d'un tirage entre les jeunes gens âgés de 20 ans. Le

contingent annuel est de 25,000 hommes. Tout individu valide est appelé à en faire partie; toutefois, on n'enrôle qu'un fils par famille et les fils uniques sont exempts de droit.

Tout compris, solde et rations en nature, la solde mensuelle est de 12 fr. 70 pour le soldat; de 80 fr. pour le capitaine; le colonel reçoit 557 fr. 50; le général de brigade, 2,012 fr. 50; le général de division, 4,025 fr.; le maréchal, 17,252 fr. 65 c. Quant aux rations en nature, le soldat en reçoit une, le capitaine 2, le colonel 16, le général de brigade 32, le général de division 64 et le maréchal 128.

XV. DES RÉFORMES. La Turquie n'a réellement retrouvé sa tranquillité intérieure que depuis l'extermination par Mahmoud II, le 15 juin 1826, de la redoutable corporation des janissaires qui disséminés, au nombre de cent mille, dans toute l'étendue de l'Empire et notamment dans les villes principales, étaient devenus la terreur du pays. « Depuis le règne de Bajazet, a écrit M. de Lamartine (1), ils avaient établi en loi de l'État l'usage d'une gratification immense imposée au sultan à chaque avénement d'un nouveau règne. Ils avaient ainsi intérêt à déposer souvent et à immoler quelquefois leurs maîtres; il fallait acheter d'eux, à prix d'or, de priviléges et de faveurs, chaque année du trône. Leur protection coûtait à l'Empereur ses trésors accumulés dans le sérail pour servir à la défense et à l'admiration de l'Empire; leur abandon détrônait ou sacrifiait les sultans, mais corrompus et amollis par cette tyrannnie sans contrôle, ils avaient perdu, depuis le commencement du xvm siècle, les seules vertus qui rachetaient tant de vices, la discipline, le patriotisme et le courage, et étaient arrivés à n'inspirer que la terreur au sérail, le mépris à la nation. ▾

Les janissaires dont la création remontait à 1328 et qui, dans l'origine, étaient en quelque sorte une garde particulière du chef de l'État (2), étaient tenus de marcher au premier rang des troupes chaque fois que l'étendard du prophète était porté à la suite du grand visir hors de la capitale, et ils avaient ainsi coopéré, presque entièrement, aux conquêtes des Ottomans. Comme ils avaient été bénis dans les premiers

(1) Histoire de la Turquie, vol. 8, p. 40.

(2) Les janissaires se recrutaient au moyen des enfants que les provinces habitées par les infidèles étaient tenues de fournir au sultan. On es élevait dans les principes de l'islamisme; leur éducation exigeait quatre ou cinq années, après lesquelles ils étaient répartis dans les différents corps; il leur était interdit de se marier (Ubicini.)

temps par un derviche de la plus grande vénération, une sorte de caractère sacré s'attachait à leur institution. Le fanatisme et le patriotisme fortifiaient ainsi leur existence. Ils nommaient eux-mêmes leurs officiers, à l'exception du général en chef appelé l'aga des janissaires et qui seul était désigné par le sultan. Après le grand visir c'était le plus redoutable de l'Empire. La garde de la capitale lui était confiée ainsi que celle des palais de l'Empereur à l'extérieur.

Le massacre des janissaires n'était pas sans précédent du même genre. Ainsi, en 1811, Méhémet-Ali, vice-roi d'Egypte, avait fait exterminer, par trahison, 570 chefs de cette milice redoutable qui formait le corps des mamelouks. Ceci dit pour établir qu'en Turquie la réforme ne pouvait pas toujours s'accomplir par les moyens mis en pratique chez les autres nations.

Au surplus, ce n'est que depuis 1838 que la Turquie est entrée ouvertement dans la voie des réformes véritables, en ce qui, notamment, concerne le commerce. Les monopoles, les douanes intérieures, la prohibition ont été supprimés complétement; les droits à la frontière ont été réduits dans de larges proportions, et de nombreux impôts vexatoires ont été abolis, etc.

Une des institutions les plus importantes a été le tanzimat, ou charte d'organisation, par lequel le sultan Abdul-Medjid, en novembre 1838, dans le hatti-chérif de Gulhané, assure à tous les citoyens de la Turquie, sans distinction de religion, des garanties quant à leur vie, leur honneur et leur fortune. Il a posé, en outre, les bases d'une réforme qui embrassait tout le système politique, administratif et judiciaire, ce que son nom indique, car tanzimati kairie signifie mot à mot la réforme salutaire. Ce hatti-chérif (1) a été complété en février 1856 par le même sultan.

Voici un fait entre mille, qui prouvera combien le gouvernement rencontre d'obstacles dans l'accomplissement des réformes qu'il cherche à introduire dans l'administration. Il y a quelques années, dans le but de favoriser l'agriculture, le sultan avait fixé à 8 0/0 l'intérêt des sommes qui pourraient être prêtées aux habitants des campagnes; mais les capitalistes n'ayant pas consenti à faire des prêts à ce taux, le firman fut retiré six mois plus tard, et l'intérêt légal fut élevé à 12 0/0.

Au mois de février 1867, Fuad-Pacha avait été chargé d'élaborer un

(1) Hatti--chérif signifie écrit noble. On désigne ainsi les ordonnances où le sultan a apposé sa signature ou qui renferment quelques mots de son écriture. Le plus célèbre est celui que nous mentionnons icí,

mémorandum au sujet de l'établissement de chambres représentatives, et on s'attendait à des réformes étendues; mais, à ce qu'il paraît, aucune suite n'a encore été donnée à ces projets dont l'exécution devrait être si profitable à ce pays. C'est presque toujours ainsi que le gouvernement procède; beaucoup de promesses, et très-rarement leur réalisation. C'est ici le lieu de donner une notice sur cet éminent homme d'état dont la mort récente doit être considérée comme une calamité pour la Turquie. La carrière politique de Fuad-Pacha remonte à l'année 1840. Depuis lors, il s'était constamment voué à son pays pour lui préparer un avenir de prospérité. Plusieurs fois appelé au ministère ottoman ou chargé de missions politiques des plus importantes, il s'est fait remarquer par la grandeur de ses vues et la persévérance dans sa volonté. Notons en passant que c'est à lui qu'est due, en grande partie, l'innovation si longtemps demandée par toutes les autres puissances, nous voulons parler de la décision en vertu de laquelle les étrangers sont devenus aptes à acquérir des immeubles en Turquie. Fuad-Pacha n'était pas seulement un grand politique et un économiste très-avancé, c'était un savant érudit, un littérateur, un poète, à l'imitation de son père IssetMollah et de sa tante Leïla-Khatoun, l'une des femmes la plus distinguée de ce pays, où elle ne sont pas aussi rares qu'on le croit généralement ailleurs. Il est mort à l'âge de 55 ans, alors qu'il méditait la plus grande innovation économique en Turquie, c'est-à-dire la cessation du protectorat que les puissances chrétiennes persistent à vouloir exercer absolument en faveur de leurs coreligionnaires sujets de l'empire ottoman. Il faut espérer que Aali-Pacha, son ancien collaborateur et ami, continuera l'œuvre entreprise par cet éminent homme d'Etat, dont le sultan a récompensé le dévouement en accordant à la veuve une pension proportionnée aux services de son ancien grand visir.

On ne saurait trop le répéter, ces réformes tentées sur une large échelle par le gouvernement turc, fussent-elles même appuyées par les fonctionnaires et les agents principaux, tout cela n'empêcherait pa la population musulmane de paralyser tous ces efforts. Mais comme la Porte est loin de posséder des fonctionnaires capables et surtout désintéressés, et une force armée suffisante et disposée à les seconder énergiquement, il est à craindre que toutes les tentatives de réforme aboutissent uniquement à provoquer chez les musulmans une réaction qui pousserait les chrétiens à des extrémités que l'on cherche à prévenir. Tel a été de tout temps le résultat des tentatives de réforme en Turquie, Au nombre des réformes projetées et non réalisées, citons en première ligne une meilleure organisation de l'instruction et des travaux, et une

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