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tées par la municipalité. Douze heures se passent encore; l'on ne parle plus que des préparatifs du départ et des moyens de se rendre son exil plus tolérable. Trois commissaires se présentent, le samedi, veille du 2 septembre, pour prendre les noms de ceux qui vont être mis en liberté. On les entoure, on les ¿presse. C'est à qui donnera son nom pour le faire inscrire sur la fatale liste. Un de mes adjoints (Laurent) est le premier. Je causois avec un nouvel ami que je m'étois fait dans les prisons, lorsqu'on vient me reprocher ma lenteur à me faire inscrire. Je m'avance et je donne mon nom. On l'écrit. Il me vient alors l'idée d'ajouter que je suis l'instituteur des sourds et muets. On me dit que je ne dois pas sortir ce jour là avec les autres, et on efface mon nom. Le surveillant Labrouche veut donner le sien ; on lui ; demande s'il est employé dans mon institution, et sur sa réponse affirmative, on refuse de l'inscrire.

Que falloit-il penser d'une exception aussi extraordinaire? Je crus que les motifs de mon arrestation, n'étant pas encore communiqués à l'Assemblée, j'étois retenu jusqu'à ce qu'ils le fussent. Tous mes camarades, devenus mes amis, me quittèrent en m'embrassant; tous me témoignoient leur douleur de me laisser. Un d'eux, sur-tout, me donna les plus grandes marques de tendresse. Rien ne rapproche tant les hommes que l'identité d'infortune.

Nos deux ames, me dit-il, en m'embras» sant, s'étoient collées l'une à l'autre; elles » s'étoient touchées par tous les points. Je » viendrai vous revoir. Mon cœur demeure au

» près de vous, nous ne pouvons plus vivre » séparés

Toute la prison devint en un instant un vrai désert. J'y étois resté seul avec le surveillant Labrouche et un ancien avocat au parlement de Paris, nommé Martin de Mariveaux. Cette salle énorme me parut couverte d'un voile funèbre, et rien ne fut plus triste pour moi que cette affreuse solitude.

Mais bientôt elle devoit être remplie par de nouvelles victimes. La nuit du premier au 2 septembre, je vis arriver successivement vingt-quatre prisonniers, qui prirent la place de ceux qui m'avoient quitté. Je crus que mes camarades avoient obtenu leur liberté et qu'ils s'étoient retirés chez eux.

Quelle fut ma surprise, quand le lendemain, ceux qui venoient régulièrement visiter leurs amis dans la prison, revinrent pour les voir. « Vous les trouverez chez eux, disois-je, à tous ceux qui se présentoient, on vint hier » au soir les mettre en liberté. Ils ne sont » pas chez eux, me répondoient-ils, nous en >> venons. Peut-être ont-ils été transférés » dans une autre prison. Ils étoient en effet à l'Abbaye. On revint m'en apporter la fâcheuse nouvelle. J'en fus consterné.

Cependant le ministre de l'intérieur avoit fait demander à Pétion, alors maire de Paris, les motifs de mon arrestation. Il avoit répondu que cela ne le regardoit pas ; qu'il falloit s'adresser au comité d'exécution. Le comité répondit à son tour, que les scellés ayant été mis sur ses papiers, on ne pouvoit rendre compte de ces motifs. C'étoit un prétexte imaginé pour justifier le refus. On n'ignoroit pas à la Mai

rie,

, que l'Assemblée Législative vouloit me sauver, si mes accusateurs ne pouvoieut rien prouver contre moi; et on voyoit bien que les motifs de mon arrestation ne seroient pas trouvés suffisans. L'assemblée générale de la section de l'Arsenal avoit d'ailleurs rendu la ́veille un arrêté, qui invitoit toutes les autorités constituées de me faire subir la loi dans toute son étendue ; « attendu qu'il étoit prouvé » que j'étois un fauteur de la tyrannie, que » j'entretenois correspondance avec les tyrans » coalisés, qu'il falloit se hâter de me desti» tuer, et de me remplacer par le savant et » modeste Salvan. Il fut dit en outre, que cct arrêté seroit porté sur-le-champ à tous les guichetiers des prisons, à la commune, etc.

On doit se rappeler, qu'au moment où l'on vint opérer la translation des prisonniers de la Mairie à l'Abbaye, je fus excepté du nombre des transférés. Il est évident que l'ou vouloit alors me sauver. Mais l'arrêté rendu par trois scélérats de la section de l'Arsenal, dans la nuit qui précéda le 2 septembre, avoit changé toutes ces bonnes dispositions. Ma perte venoit une seconde fois d'être jurée. Déja on se disposoit à l'affreux massacre. Nous touchions au moment fatal. On nous apporte à dîner. Il étoit deux heures. On entend tirer le canon d'alarme. Chacun des prisonniers s'en étonne. Un trouble subit agite les ames. Tout y jette l'épouvante et l'horreur. Un de nous inquiet, agité, se porte vers une fenêtre; il distingue plusieurs soldats dans la cour de la Mairie. Il leur demande la cause de ce canon d'alarme. C'est lui dit-on, la prise de Verdun par les Prussiens. C'étoit une fausseté. Verdun

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ne fut pris que quelques jours après. Tout le monde sait aujourd'hui, que le canon d'alarme devoit, dans ce jour de sang, être le signal du massacre. Tous les assassins avoient ordre de commencer les égorgemens, au troisième

coup.

A l'instant même, des soldats Avignonois ou Marseillois se précipitent en foule dans notre prison. Ils renversent les tables, nous saisissent et nous jettent dehors, suns nous donner le temps. de prendre nos effets. Réunis dans la cour, ils nous annoncent qu'on va nous conduire à l'Abbaye, où nos camarades avoient été transférés la veille. Ils nous proposent de nous y rendre en voiture ou à pied. Martin de Marivaux demande d'y aller en voiture. J'étois perdu avant d'y arriver, si j'avois préféré tout autre moyen. On fait venir six voitures. Nous étions 24 prisonniers. Ici tous les détails deviennent précieux; c'est à la réunion des moindres évènemens que j'ai dû ma vie. J'allois laisser mes camarades prendre les premières places de la première voiture, et il importoit à mes jours de choisir la première. Marivaux me fit monter; il prit la deuxième place, un autre prit la troisième. Nous occupions le fond. Labrouche, surveillant de mon institution prit la quatrième; deux autres prisonniers montèrent après lui. Nous voilà six dans cette première voiture; les autres prisonniers remplissent les cinq autres. On donne le signal du départ, en recommandant à tous les cochers d'aller très-lentement, sous peine d'être massacrés sur leurs siéges; et en nous adressant mille injures, les soldats qui devoient nous accompagner, nous annoncent que

nous n'arriverons pas jusques à l'Abbaye, que le peuple, à qui ils vont nous livrer, se fera enfin justice de ses ennemis, et nous égorgera dans la route. Ces mots terribles étoient accompagnés de tous les accens de la rage, et de coups de sabres, de coups de piques que ces scélérats assenoient sur chacun de nous. Les voitures marchent, bientôt le peuple se rassemble et nous suit en nous insultant. « Oui, » disent les soldats, ce sont vos ennemis, les complices de ceux qui ont livré Verdun, » ceux qui n'attendoient que votre départ pour » égorger vos enfans et vos feinmes. Voilà nos sabres, nos piques, donnez la mort à ces

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» monstres ».

Qu'on imagine combien le canon d'alarme, la nouvelle de la prise de Verdun, et ces discours provocateurs durent exciter le caractère naturellement irascible d'une populace égarée, à laquelle on nous dénonçoit comme ses plus cruels ennemis. Cette multitude effrénée grossissoit de la manière la plus effrayante à mesure que nous avancions vers l'Abbaye par le Pont-Neuf, la rue Dauphine et le Carrefour Bussi. Nous voulûmes fermer les portières de la voiture, on nous força de les laisser ouvertes, pour avoir le plaisir de nous outrager. Un de mes camarades reçut un coup de sabre sur l'épaule; un autre fut blessé à la joue, un autre au-dessous du nez. J'occupois une des places dans le fond; mes compagnons recevoient tous les coups qu'on dirigeoit contre moi. Qu'on se peigne, s'il se peut, la situation de mon ame, pendant ce pénible voyage.... Le sang de mes camarades commençant à couler sous mes yeux, sans défense, au milieu

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