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LITTÉRATURE,

Le temps n'est plus où les nouvelles de la république des lettres occupoient la première place dans les feuilles périodiques, où l'analyse d'une pièce de théâtre, l'annonce d'un recueil de poésies, fixoient l'attention universelle, où une réception académique étoit une affaire d'état. De plus importantes matières enflent les gazettes du jour. Dans les mille et un journaux qui existent, deux à peine consacrent une petite place à la littérature. Celui-ci fera le troisième. Heureux si notre franchise inflexible, notre zèle à séparer l'or du clinquant, à rappeler les principes d'un goût sévère, si méconnus aujourd'hui, nous obtiennent le suffrage des sincères amis des lettres, et contribuent à relever la littérature elle-même de cet avilissement déplorable où les circonstances l'ont plongée.

Ce seroit envain que nous le dissimulerions. La littérature a déchu, et cela devoit être. Quand un état éprouve les secousses d'une révolution, quand tous les esprits sont agités d'esperance et de crainte, tout ce qui ne tient pas directement à la chose publique, ne peut avoir qun foible intérêt. Dans un pareil moment, Gu dévore la lecture du journal du soir; on n'achete pas l'almanach des muses.

Certaines classes de citoyens ont été fort maltraitées dans la révolution. Celle des gens de lettres est de ce nombre. Combien de littérateurs estimables ont acheté, par les plus durs

sacrifices, l'espoir de vivre sous un meilleur gouvernement. Tel poëte fameux a été réduit à vendre sa bibliothèque, et des volumes enrichis de notes manuscrites les plus précieuses; tel autre a consumé sa montre et ses meubles en échange d'assignats. Or, l'esprit n'est guères porté à la composition, quand l'estomach souffre. Le besoin de vivre est plus impérieux que ne l'est celui de polir des phrases.

Une des ressources qui ont été offertes aux écrivains par la révolution, c'est la rédaction des journaux. Quand les papiers-nouvelles sont devenus la seule lecture de la majorité des citoyens, il a bien fallu se résoudre à rédiger des papiers - nouvelles. Mais qu'est-il résulté delà? Que l'obligation de fournir chaque jour à la curiosité publique plusieurs pages à lire, a mis les rédacteurs dans l'impossibilité de se livrer à la composition d'ouvrages de longue haleine, et étrangers aux affaires du moment; que l'habitude de rédiger à la hâte le journal du lendemain, a fait perdre au style de beaucoup d'écrivains une partie de sa vigueur et de sa correction; que la nécessité de se ployer aux circonstances diverses, qui four-à-tour ont éclairci ou rembruni l'horizon politique, la crainte de blesser tel ou tel parti, ont bien plus occupé le journaliste, que le desir de soigner sa diction.

La rédaction des journaux a été bien plus funeste aux jeunes littérateurs. Dans l'âge où ils auroient dû acquérir encore, être sans cesse occupés de la lecture des grands modèles, pour parvenir avec le temps à s'en rapprocher davantage; cultiver dans la solitude et dans le calme du cabinet, les germes de talent que

la nature déposa dans leur esprit, combien n'ont pas été forcés par le besoin, de se livrer à une composition ingrate et précoce! Tel par con mérite, seroit arrivé peut-être un jour à la gloire des grands talens, qui, poussé par d'impérieuses circonstances, a vu dépérir son imagination sur la banquète d'un journaliste.

Non-seulement la plupart des littérateurs ont été contraints par la nécessité sur le choix de leurs travaux, mais le défaut absolu d'instruction publique a empêché encore la génération naissante de s'adonner à la culture des lettres. Il existe depuis six ans une lacune dans l'éducation, qui n'est pas aussi sensible qu'elle le sera dans la suite. La génération éclairée existe encore, les hommes érudits, les littérateurs profonds n'ont pas tous été victimes du vandalisme. Mais à côté d'eux s'élève une génération d'ignorans, qui ne pourra jamais les remplacer,

Oui, quand même l'instruction publique seroit aussitôt organisée dans les départemens. que le gouvernement le désire, il y aura toujours une classe de jeunes gens dans la France entière, qui se ressentira, pour la vie, de la nullité de son éducation pendant les années révolutionnaires.

Nous ne rappellerons pas ici les persécutions dont les gens de lettres ont été l'objet avant le 9 thermidor, le projet bien formé par les triumvirs d'en éteindre à jamais la race. Parmi les écrivains qui ont été les victimes de cette affreuse tyrannie, qui n'a pas donné des regrets, au sensible et modeste Florian? Les ouvrages qui sont sortis de sa plume auroient dû désarmer l'envie. En peignant les vertus des bergers, il a peint celles de son cœur.

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Des descriptions riantes de la nature, des récits touchans, une morale douce et naïve, des fables que la Fontaine lui-même n'auroit pas désavouées, voilà les crimes qui le plongèrent dans un cachot. Le 9 thermidor brisa ses fers; il sortit malade de sa prison, et il mourut deux jours après (1).

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Dans le moment présent, quoique la littérature soit peu cultivée, les livres se vendent fort cher. Les belles éditions sont à un prix considérable. On achète, mais on ne lit pas. Un livre passe souvent dans plusieurs mains sans être ouvert une seule fois. Le Rousseau de Kell, le Voltaire de Beaumarchais, les collections de Didot, sur-tout quand le maroquin les décore, circulent avec une activité incroyable, des salles de vente publique, chez les agioteurs. On n'a ni le temps, ni le désir de les parcourir et en effet, ce seroit souiller l'exemplaire, ce seroit lui ôter ce duvet, cette fraîcheur de dorure, cet éclat éblouissant qui le font monter à un si haut prix, à l'hôtel de Bullion. Etre acheté sans être lu, est aujourd'hui le comble de la gloire pour

un auteur.

Quant à nous, qui sommes étrangers aux savantes et fondes combinaisons de l'agiotage, nous lirons les ouvrages nouveaux pour en rendre compte, et en les analysant, nous leur chercherons un autre mérite que celui de la reliure.

(1) Florian a fait deux poëmes, dont le sujet est tiré de l'écriture sainte; Ruth et Tobie. Le premier a rem porté le prix de l'Académie, en 1784.

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DEJA du haut des Cieux le cruel sagitaire
Avoit tendu son arc et ravageoit la terre;
Les côteaux et les champs et les prés défleuris,
N'offroient de toutes parts que de vastes débris:
Novembre avoit compté sa première journée.

Seul alors et témoin du déclin de l'année,
Heureux de mon repos, je vivois dans les champs :
Et quel poëte, épris de leurs tableaux touchans,
Quel sensible mortel, des scènes de l'automne,
N'a chéri quelquefois la beauté monotone?
O, comme avec plaisir, la rêveuse douleur,
Le soir, foule à pas lents ces vallons sans couleur,
Cherche les bois jannis, et se plaît au murmure
Du vent qui fait tomber leur dernière verdure!
Ce bruit sourd a pour moi je ne sais quel attrait.
Tout-à-coup si j'entends s'agiter la forêt,
D'un ami qui n'est plus, la voix long-temps chérie,
Me semble murmurer dans la feuille flétrie.
Aussi, c'est dans ce temps où tout marche au cercueil
Que la Religion prend un habit de deuil;
Elle en est plus auguste, et sa grandeur divine
Croît encore à l'aspect de ce monde en ruine.

}

Aujourd'hui ramenant un usage pieux,
Sa voix r'ouvroit l'asyle où dorment nos ayeux.
Hélas! ce souvenir frappe encor ma pensée.
L'aurore paroissoit : la cloche balancée,

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