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Fin de la relation du C. Sicard, instituteur des Sourds et Muets, sur les dangers qu'il a courus les 2 et 3 septembre 1792, à un de

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ses amis.

A cette demande en succède une autre, Nos braves frères travaillent depuis long> temps dans la cour, s'écrie un autre égor» geur qui entre au comité tout essouflé: ils » sont fatigués, leurs lèvres sont séches ». Je viens vous demander du vin pour eux. Le comité arrête qu'il leur sera délivré un bon pour 24 pots de vin.

Quelques minutes après, le même komme vient renouveller la même demande. Il obtient encore un autre bon. Aussitôt entre un marchand de vin de la section, qui vient se plaindre de ce qu'on donne la pratique aux marchands étrangers, quand il y a quelque bonne fête, On l'appaise, en lui permettant d'envoyer aussi du vin aux braves frères qui travailloient dans la cour.

La nuit étant déjà fort avancée, je demandai au comité la permission de me retirer. On ne savoit trop où m'envoyer, Le concierge de l'Abbaye m'offrit de me donner asyle chez lui; je préférai d'être mis dans une petite prison, qu'on nommoit le Violon, qui étoit. à côté de la salle du comité. Ce fut encore ici une marque signalée de la protection divine; car si je m'étois retiré chez le concierge, j'aurois péri, comme deux autres infortunés, qui y allèrent sur mon refus, et qui y furent

massacrés.

Quelle nuit, que celle que je passai dans cette prison! Les massacres se faisoient sous ma fenêtre. Les cris des victimes, les coups de sabre qu'on frappoient sur ces têtes innocentes, les hurlemens des égorgeurs, les applaudissemens des témoins de ces scènes d'horreurs, tout rétentissoit jusques dans mon cœur, Je distinguois la voix même de mes camarades qu'on étoit venu chercher, la veille, à la Mairie. J'entendois les questions qu'on leur faisoit et leurs réponses. On leur demandoit s'ils avoient fait le serment civique. Aucun ne P'avoit fait; tous pouvoient échapper à la mort par un mensonge; tous préférèrent la mort. Tous disoient en mourant : « Nous sommes soumis à toutes vos loix, nous mourons tous, fidèles à votre constitution; nous n'en exceptons que ce qui regarde la Religion et qui intéresse notre conscience ».

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Ils étoient aussitôt percés de mille coups, au milieu des vociférations les plus horribles; les spectateurs crioient en applaudissant: vive la nation, et ces cannibales faisoient des danses abominables autour de chaque cadavre.

Vers les trois heures du matin, quand il n'y eut plus personne à égorger, les meurtriers se ressouvinrent qu'il y avoit quelques prisonniers au Violon, ils vinrent frapper à la petite porte qui donnoit sur la cour. Chaque coup étoit pour nous une annonce de mort. Nous nous crûmes perdus. Je-frappai doucement à la porte qui communiquoit à la salle du comité, et en frappant, je tremblois d'être entendu par les massacreurs, qui menaçoient d'enfoncer l'autre porte. Les commissaires nous répendirent brutalement qu'ils n'avoient point de

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clef. Il fallut donc attendre patiemment notre affreuse destinée.

Nous étions trois dans cette prison. Mes deux camarades crurent appercevoir au-dessus de notre tête un plancher qui nous offroit un moyen de salut. Mais ce plancher étoit trèshaut; un seul pouvoit y atteindre, en montant sur les épaules des deux autres. L'un d'eux m'adressa ces paroles : « Un seul de nous » peut se sauver là haut. Vous êtes sur la terre plus utile que nous, il faut que ce soit vous. Nous allons de nos deux corps vous former » une échelle; ils s'élèverent l'un sur l'autre. » Non, dis-je à ces généreuses victimes, jo ne profiterai pas d'un avantage que vous ne » partageriez pas. Si vous ne pouvez vous sau» ver par la voie que vous m'offrez, je saurai

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mourir avec vous. Il faut où nous sauver ensemble, ou mourir tous ensemble ». Ce combat de générosité et de dévouement dura quel ques minutes; ils me rappellèrent les sourdsmuets que ma mort rendoit orphelins; ils exagérèrent même le peu de bien que je pouvois faire encore, et me forcèrent à profiter du stratagême innocent que leur amitié généreuse avoit imaginé. Il fallut céder à de si pressantes sollicitations, et consentir à leur devoir la vie, sans pouvoir contribuer à sauver la leur. Je me jettai au col de ces deux libérateurs; jamais il n'y eut de scène plus touchante. Ils alloient mourir infailliblement; ils me forçoient à leur survivre. Je monte donc sur les épaules du premier, puis sur celles du second, enfin sur le plancher, en adressant à mes deux camarades l'expression d'une ame oppressée de douleur, d'affection et de reconnoissance.

Mais le Ciel ne voulut pas me rendre la vie au prix de celle de mes deux sauveurs; j'aurois été trop malheureux. Au moment où la porte alloit enfin céder aux efforts de nos égorgeurs, au moment où j'allois les voir périr sous mes yeux, on entend dans la cour les cris accoutumés, de vive la nation, et le chant de la Carmagnole. C'étoit deux prêtres qu'on étoit allé arracher de leurs lits, et qu'on amenoit dans cette cour, jonchée de cadavres. Les égorgeurs se rallioient tous à ce signal de meurtre et de carnage. Ils vouloient tous avoir part au massacre de chaque victime. Ceux-ci oúblièrent notre prison.

Je descendis du haut de mon plancher, pour associer de nouveau mes craintes et mes espérances à celles de mes généreux compagnons. Quelle fut longue cette nuit affreuse qui vit couler tant de sang innocent!

La troupe effrénée des massacreurs interrogeoit les deux victimes amenées sur ce théâtre de carnage. Elles répondoient avec la même douceur, le même calme, le même courage, qu'on avoit déjà remarqués dans toutes les autres. Vois, leur disoit-on, « cette montagne de » cadavres de ceux qui n'ont pas voulu se sou» mettre à nos loix; fais le serment, où tu vas » à l'instant en augmenter le nombre. Donnez» nous le temps de nous préparer à la mort. » Permettez-nous de nous confesser entre nous, voilà la seule grace que nous vous demandons. Nous sommes aussi soumis que vous à toutes vos loix civiles; nous serions bien mauvais chrétiens, si nous n'étions de bons citoyens. Mais le serment que vous nous proposez n'est pas seulement un serment civil

» c'est un renoncement à des articles essen» tiels de notre croyance religieuse. Nous pré» férons la mort au crime dont nous nous ren»drions coupables, en le prêtant.

» Eh bien! qu'ils se confessent, ces scélérats, » répondirent tous d'une voix les égorgeurs. » Aussi-bien n'en avons nous aucun autre » pour amuser aujourd'hui les voisins. Qu'ils » se confessent; ils donneront le temps aux » curieux du quartier de se lever, et de venir nous voir faire justice de ces coquins. En attendant nous débla verons la cour. Allez chercher des charretiers; envoyons à la » voirie tous ces aristocrates, ils infecteroient

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» cette cour ».

Aussitôt l'ordre est donné; des charretiers arrivent; on charge les voitures de tous les cadavres. Et on les emporta hors la porte St. Jacques, bien avant dans la campagne, aux pieds de la première Croix de fer, où l'on creusa une large fosse pour les enterrer tous.

Mais la cour de l'Abbaye se trouvoit ruisseler de sang, tel que le sol encore fumant, où l'on vient d'égorger plusieurs bœufs à la fois.

Il fallut la laver. La peine fut extrême. Pour n'avoir plus à y revenir, quelqu'un proposa de faire apporter de la paille, de faire dans le fond de la cour une sorte de lit, audessus duquel on mettroit tous les habits de ces infortunés, et qu'on les feroit venir là pour les y égorger. L'avis fut trouvé bon. Mais un autre se plaignit que ces aristocrates mouroient trop vîte, qu'il n'y avoit que les premiers qui eussent le plaisir de les frapper; et il fut arrêté qu'on ne les frapperoit plus qu'avec

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