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Mes bourreaux sont là, fumans de sang; ils grincent des dents et demandent ma tête.

Adieu, mon cher compatriote, je ne sais si yous trouverez vivant à l'Abbaye, l'instituteur infortuné des sourds-muets.

SICARD.

Rien de ce qui est souligné dans cette lettre ne fut lu à l'Assemblée. La lettre même ne fut pas lue par celui à qui je l'avois écrite. If pria un de ses collègues de la communiquer, comme jouissant d'une plus grande faveur; elle intéressa et les députés et les Tribunes, et aussitôt il fut rendu un décret, qui ordonnoit à la Commune de me mettre en liberté. Ce décret n'eut aucun succès. Cependant les heures se passoient, et je voyois arriver celle qu'on avoit fixée pour mon massacre.

*

Trois heures sonnent, et je devois périr à quatre; j'ignorois si ma lettre étoit parvenue à sa destination. Je songe alors que j'ai quelques autres amis dans l'Assemblée; je me procure une demi feuille de papier, je la divise en trois morceaux, et j'écris trois billets; j'en adresse un au président (Hérault de Séchelles), un à M. Lafont-Ladebat, à cet homme qui avoit montré tant de talens, tant d'honnêteté tant de courage, pendant la tenue de l'As semblée législative, et dont j'avois été le collè gue aux académies de Bordeaux, et l'ami particulier, un autre à la mère de deux jeunes personnes dont j'avois dirigé les premières études, et qui me chérissoient, l'une comme le frère le plus tendre, les deux autres, comme leur père. Ces trois billets étoient les derniers adieux d'un infortuné qui se voyoit traîné à la mort, le dernier cri d'un mourant qui appeloit à son secours les ames sensibles, dont il savoit qu'il étoit tendrement aimé.

L'assemblée ne tenoit plus. Mais un huissier honnête et compâtissant étoit encore dans la salle. On lui remet mon billet; il court à Pinstant chez le président, qui se rend aussitôt au comité d'instruction publique; M. Ladebat ne pouvoit rien. Il songe à Chabot; il va chez lui, lui peint l'affreuse situation où je suis, lui dit combien est court le temps de me sauver; et ce qu'il n'eût jamais demandé à ce monstre pour lui-même, il lui demande la vie pour son ami Sicard. La femme à qui j'avois écrit aussi, et dont le nom ne peut qu'embellir cette triste histoire, madame d'Entremeuse, étoit absente; l'aînée de ses deux filles reçoit mon billet, s'évanouit, mais le danger que court l'abbé Sicard, son instituteur, son père, son ami, la rappelle à la vie; elle vole chez M. Pastoret, député, de qui j'étois connu; elle n'a pas le courage de parler, elle tombe sans parole et sans connoissance, mon billet dans sa main. On le lit. M. Pastoret quitte son dîner et va au comité d'instruction, dont il étoit membre; il fait, avec Hérault de Séchelles et Romme, qu'on y avoit appellé, un arrêté, qui ordonne, une seconde fois, à la Commune de voler à mon secours. Par cet arrêté, le comité me réclamoit, comme une de ses propriétés la plus intéressante. Je ne dois pas oublier l'effet terrible qu'avoit produit sur le cœur de la jeune Eléonore d'Entremeuse le billet que j'écrivois à sa mère. Elle en a été frappée de mort. Hélas! après avoir langui pendant plus d'un an, dans des douleurs inexprimables, elle a péri, à l'âge de 19 ans, me laissant des regrets éternels. Le souvenir de tant de vertus réunies à tous les charmes de la jeunesse me suivra jusques au tombeau, et répandra sur la triste vie

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que je dois à cette ame si pure, si belle, si sensible et si tendre, une amertume qui me la rendroit insupportable, si je n'avois la conviction que cette jeune personne n'a quitté cette déplo rable vie, que pour aller recevoir, dans une meilleure, le prix de ses vertus (1).

L'arrêté du comité d'instruction publique est envoyé à la Commune, qui, à la réception du décret dont j'ai parlé, avoit déjà passé à l'ordre du jour. Elle alloit y passer encore, et l'arrêté n'auroit pas eu plus de succès que le décret, s'il ne se fût trouvé dans ce moment dans le Conseil un homme de Bordeaux, noitié Guiraut, qui demanda à être chargé de l'exécution du décret et de l'arrêté. C'eût même été trop tard (car il étoit six heures du soir), si, à quatre heures, époque fixée par les égorgeurs pour me couper la tête, une pluie d'orage n'eût dissipé les groupes et ne m'eût préservé de leur fureur.

A sept heures, je vois s'ouvrir les portes de ma prison, c'étoit un autre libérateur, qui, en vertu du décret de l'Assemblée législative et de l'arrêté du comité d'instruction publique, venoit me rendre à la liberté et alloit me présenter à l'Assemblée nationale. Il me prit sous le bras, et sous sa sauve-garde, je passai au milieu de ceux qui, depuis trois jours, égor geoient tant de victimes dans cette cour, conSacrée autrefois à la méditation et au silence. Toutes les massues qui servoient à assommer, les sabres, les piques, tous les instrumens de

(1) Depuis que cette relation est écrite, on a appris que la jeune personne n'est point morte. Son rétablis sement et la conservation de sa santé, sont dûs au long oyage que sa tendre mère lui a fait faire. Elle est Gaus ce moment à l'Isle-de-France.

mort étoient en l'air. Je pouvois éprouver mille morts en traversant ces deux haies de cannibales féroces; mais l'écharpe municipale les rendit immobiles. Dans ce moment, Chabot étoit à la tribune de l'église de l'Abbaye, tâchant d'intéresser en ma faveur ceux qui avoient demandé ma tête. Je monte en voiture avec l'officier municipal, et avec Monnot, ce Monnot, dont le nom consacré par ma reconnoissance, ira sans doute à la postérité, avec ceux des martyrs de ces jours d'exécrable mémoire. J'arrive à l'Assemblée nationale. Tous les cœurs m'y attendoient. Des applaudissemens universels m'y annoncèrent. Tous les députés se précipitèrent à la barre où j'étois, pour m'embrasser; les larmes coulèrent de tous les yeux, quand, inspiré seulement par le sentiment le plus impérieux, je prononçai, pour remercier tous mes libérateurs, un discours que je ne pouvois conserver, puisqu'il fut l'expression soudaine de ma reconnoissance. Il fut recueilli par les journalistes et imprimé dans le Moniteur du temps, et dans presque tous les autres journaux.

SICARD.

Article omis, No. 1, page 35.

On annonce un commissaire de la Commune, qui' par son ordre parcouroit les différentes sections. Il entre et adresse ces mots au comité : « La Commune vous » fait dire que si vous avez besoin de SECOURS, elle >vous en enverra. Non, lui répondirent les commissaires, tout se passe bien chez nous. Je viens, ré

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pliqua-t-il, des CARMES et des autres prisons; TOUT

> S'Y PASSE ÉGALEMENT BIEN ».

Cette réponse expliqueroit à ceux qui pourroit l'ignorer encore, quelle part prenoit aux événemens de cette affreuse journée la COMMUNE DE PARIS.

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MORALE ET LITTÉRATURE.

DE Pinfluence des passions de l'ame dans les maladies et des moyens d'en corriger les mauvais effets, par TISSOT, docteur en médecine, avec cette épigraphe : Felix qui vividos animi pravertere motus in corpus potuit! A Besançon, 3. année républicaine, 1795, vieux style.

La lecture de cet ouvrage vaut celle d'un long traité de morale, sur les avantages de la vertu et les inconvéniens du vice. Nous y trouvons les preuves répétées de cette grande vérité trop méconnue dans le monde, savoir: que la cause la plus ordinaire de nos maux est dans nos propres passions; et que le moyen le plus sûr de nous conserver des jours heureux, est de résister sans cesse aux mouvemens désordonnés de nos sens.

L'homme, dès sa première enfance, est soumis au pouvoir des passions. C'est à les écarter du berceau de son enfant, qu'une mère doit apporter ses premiers soins. Les cris violens causés par la colère, les mouvemens convulsifs occasionnés par la jalousie, attestent combien, dès l'âge le plus tendre, les effets sont à redouter. La fable a sans doute voulu nous parler des passions, quand elle nous a peint ces serpens qui se glissent dans le berceau d'Hercule pour l'étouffer.

Mais c'est sur-tout dans la jeunesse qu'on a le plus à redouter leur influence. Les passions

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