Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Barnabé cherche à élever l'intelligence de ses lecteurs audessus de la lettre simple et nue de l'Ancien Testament, afin d'en exprimer le rapport prophétique et figuratif avec le Nouveau. C'est ce qu'il appelle à diverses reprises une connaissance supérieure ou la Gnose. Nous verrons plus tard comment ce mot, que saint Paul emploie dans le même sens, a servi pour désigner un double courant d'investigation scientifique, selon qu'il s'est développé une véritable gnose dans le christianisme, et une fausse gnose au sein des hérésies. Je réserve ce point d'étude pour l'histoire de l'éloquence chrétienne dans l'école d'Alexandrie. Examinons à présent l'origine et la valeur de cette argumentation de saint Barnabé tirée du symbolisme de l'Écriture.

Et d'abord nul doute, Messieurs, qu'eu égard aux lecteurs et aux adversaires de saint Barnabé, ce mode d'interprétation allégorique n'eût la force relative d'un argument personnel. Nous ne savons pas, il est vrai, à quelle Église particulière l'Épître était destinée : l'absence d'une adresse quelconque laisse même à supposer que l'auteur n'avait pas en vue un cercle de chrétiens déterminé : de là le titre de catholique qu'Origène donne à sa lettre. Mais ce qui ressort de tout le contenu, c'est qu'il cherchait à prémunir les fidèles contre les erreurs des Juifs et d'une partie des chrétiens judaïsants. Or, en s'appuyant contre ces derniers sur le caractère figuratif de la loi mosaïque, il partait d'un principe convenu de part et d'autre. S'il est un fait avéré, c'est que les Jui fseux-mêmes reconnaissaient que leur histoire était une grande allégorie du règne messianique. A côté des livres saints, ils admettaient l'existence d'une tradition non interrompue, qui interprétait le texte dans un sens plus élevé. Chaque personnage biblique offrait à leurs yeux, dans sa personne ou dans sa vie, quelque trait symbolique de la grande figure du Messie. Les paraphrases chaldaïques, qui

teur la célébration du dimanche en place du sabbat était générale parmi les chrétiens: « Nous célébrons, écrit-il, le huitième jour dans la joie. »>

remontent au delà de notre ère, aussi bien que les ouvrages des Juifs postérieurs à l'établissement du christianisme, tels que le Sepher Ietzira ou livre de la Création, le Zohar, la Mischna qui contient le texte du Talmud et la Ghemara qui en est le commentaire et le développement: toutes ces productions témoignent de la persuasion où ils étaient, qu'outre le sens propre et littéral, l'Écriture renferme un sens allégorique. Ils ne limitaient pas même l'élément symbolique aux faits ou aux passages principaux de la Bible, mais leurs docteurs les plus renommés prétendaient le trouver à chaque ligne et, pour ainsi dire, dans chaque mot, dans chaque chiffre de là le mysticisme de la Cabale. Quoi qu'il en soit, ce qui était universellement admis, c'est que la lettre de l'Écriture comporte fort souvent un sens plus relevé que les mots, pris comme tels, ne semblent l'indiquer. Par leur éducation religieuse, par la coutume qu'il avaient de lire et d'interpréter la loi tous les samedis dans les synagogues, les Juifs étaient préparés à ce genre d'arguments tirés du symbolisme de l'Écriture. Mais il s'en faut bien que l'interprétation allégorique des livres saints n'ait eu qu'une valeur relative au peuple juif; elle a son fondement rationnel dans le caractère même du mosaïsme.

De nos jours quelques critiques allemands, marchant sur les traces de Semler, se sont élevés contre l'interprétation allégorique de l'Écriture qu'ils déclarent vaine et arbitraire. Cette assertion accuse plus de témérité que de science ou de véritable largeur dans les idées. C'est méconnaître entièrement la nature du mosaïsme et briser le lien qui le rattache au christianisme. Ou la loi mosaïque ne signifie rien, ou elle est une grande prophétie de la religion chrétienne. Tout lui assigne ce dernier caractère : il n'est pas une de ses cérémonies qui offre par elle-même un sens complet, ou du moins qui n'ait besoin de se référer à une réalité future, pour y trouver une signification plus haute et plus relevée. On peut discuter sur le sens, sur l'application de telle

prédiction, de telle figure en particulier, mais on ne saurait nier la corrélation étroite des deux Testaments, sans détruire ce qu'il y a d'harmonique dans les œuvres de la Providence. Dès lors, pourquoi ne pas admettre que le christianisme se soit préexisté dans le mosaïsme comme dans son germe, qu'il y ait vécu, pour ainsi parler, d'une vie prophétique et figurative, que ces deux grandes pages de la révélation se répondent l'une à l'autre, ligne par ligne et mot pour mot, et que Dieu se soit plu à dessiner par avance, dans une ébauche imparfaite, quelques traits de cette grande histoire qui allait devenir celle du monde? N'est-ce pas la marche régu lière de la Providence, même dans l'ordre matériel et physique, où nous voyons les petites choses préluder aux grandes, et ce qu'il y a de moins parfait, laisser deviner ou faire pressentir la perfection? Loin de choquer la raison, rien ne la satisfait mieux que cette exacte correspondance entre les figures du passé et les réalités de l'avenir. Mais nous n'en sommes pas réduits à cette induction générale pour établir le caractère typique de l'Ancien Testament. Le Sauveur a consacré le principe en s'appliquant lui-même quelques-unes de ces figures, celle du serpent d'airain érigé par Moïse, celle de Jonas enseveli pendant trois jours dans le ventre de la baleine '. A l'exemple du divin Maître, saint Paul interprète plus d'un passage de l'Écriture dans le sens allégorique. Après avoir montré dans Agar et dans Sara la figure des deux alliances, l'une qui n'enfante que des esclaves, l'autre qui donne la vie aux enfants de la promesse, il ajoute : « Tout ceci est une allégorie 2. » L'épître aux Hébreux n'est que le déloppement ou la preuve détaillée du principe général posé dans la première Épître aux Corinthiens : « Toutes ces choses qui arrivaient au peuple juif étaient la figure de ce qui nous concerne 3. » On ne saurait à coup sûr exiger pour l'interprétation allégorique de l'Écriture un fondement plus solide. Aussi verrons-nous dans le cours de nos études

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

que

les Pères ont été unanimes à l'admettre et à s'en servir. Quelques-uns même ont abusé parfois de ces rapprochements, surtout les docteurs de l'école d'Alexandrie. Mais ce qui ne saurait faire l'objet d'un doute, c'est que le symbolisme de l'Écriture n'ait son double fondement dans le caractère général de l'Ancien Testament et dans l'autorité du Christ et des apôtres.

C'est donc par inadvertance que Néander a cru retrouver l'esprit de Philon et des Juifs alexandrins, dans le mode d'interprétation qu'emploie saint Barnabé '. S'il fallait absolument chercher un précédent, le Nouveau Testa-, ment était là pour l'indiquer clairement. A la vérité, le savant historien n'est pas le premier qui ait attribué à Philon cette influence sur l'exégèse des premiers Pères. Déjà Photius avait émis cette opinion, que l'interprétation allégorique de l'Écriture avait passé du Juif alexandrin dans l'Église 2. Si l'auteur du schisme grec qui, pour le dire en passant, fait de Philon un chrétien apostat, s'était borné à soutenir que Clément d'Alexandrie et Origène ont emprunté au philosophe juif quelques rapprochements plus subtils que fondés, son assertion serait exacte. Origène professe, en effet, pour les écrits de Philon et d'Aristobule son devancier une admiration exagérée 3. Mais les livres du Nouveau Testament qui forment le point de départ de l'interprétation allégorique, remontent à une époque où les ouvrages de Philon, à peine composés en Égypte, n'étaient pas même connus en Palestine. Du reste, l'écrivain juif s'est chargé de combattre à l'avance l'opinion de Photius, en déclarant qu'il n'avait fait que suivre une voie tracée depuis bien des siècles par les anciens interprètes. Mais ce qui achève de la détruire, c'est la comparaison du système allégorique de Philon avec la méthode de saint Paul et des auteurs inspirés du Nouveau Testament. Tandis que ceux-ci appliquent à l'ère messianique

1. Hist. ecclés., 1, 361.

-

2. Cod., cv, p. 150. 1. IV. 4 Franck, la Kabbale, p. 271 et suiv. p. 211; de Vitâ contempl., 465, édit. Mangey.

3. Orig. c. Celsum,

5. De Circumcis.,

les figures de l'ancienne loi, le mode d'interprétation de Philon porte le caractère de sa philosophie qui est, comme on sait, une tentative de conciliation entre l'hellénisme et le mosaïsme. Ce qu'il cherche sous le voile des allégories bibliques, ce n'est pas l'histoire figurée du Messie, ce sout les données de la philosophie grecque; et lorsqu'il ne réussit pas à faire plier la lettre de l'Écriture aux idées préconçues de Platon ou de Pythagore, il n'hésite pas à l'abandonner comme fabuleuse. Vous mesurez d'un coup d'œil l'abîme qui sépare un pareil procédé de celui des apôtres. J'insiste là-dessus parce qu'une certaine critique qui se paie aisément de mots, s'ingénie à trouver au christianisme des sources partout, excepté là où elles sont réellement, dans l'Ancien Testament et dans la révélation du Nouveau. Voici par exemple un curieux échantillon qui fera ressortir la différence du système allégorique de Platon avec la méthode suivie par saint Paul.

Il s'agit, Messieurs, de la création de la femme et de son union conjugale avec l'homme, d'après le récit du chapitre 1o de la Genèse. « Il ne se trouvait pas pour Adam, dit le saint livre, d'auxiliaire semblable à lui. Le Seigneur Dieu envoya donc à Adam un sommeil profond, et pendant qu'il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chair en sa place. Le Seigneur Dieu forma ainsi une femme qu'il avait tirée d'Adam et l'amena devant lui. - Et Adam dit : Voilà maintenant l'os de mes os et la chair de ma chair. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils seront deux dans une même chair. » Fidèle à cette grande pensée, que l'Ancien Testament préfigure le Nouveau, l'apô

1. C'est dans la Philosophie du christianisme, par le docteur Staudenmaier, que le Philonisme se trouve exposé et discuté avec le plus de sagacité. L'idée de faire dériver du Juif d'Alexandrie les systèmes gnostiques est sans doute quelque peu contestable par sa trop grande généralité; mais ce point de vue ne manque pas d'une justesse partielle. Nous regrettons que ce bel ouvrage du théologien de Fribourg n'ait pas encore été traduit en français. Nul n'a saisi avec plus de pénétration l'affinité des anciennes hérésies avec la nouvelle philosophie allemande.

« ZurückWeiter »