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mont Calamon, elle instruisait par la parole et par l'exemple les femmes qui venaient à elle, attirées par la renommée de ses vertus. Une dernière agresssion vint troubler la vierge dans le lieu solitaire qu'elle s'était choisi. Quelques médecins de Séleucie, irrités de ce que les malades prenaient le chemin du Calamon au lieu de s'adresser à eux, apostèrent des hommes vicieux, qui pénétrèrent dans la caverne pour y exécuter leur infâme projet. Mais, au même instant, le rocher s'entr'ouvre et se referme sur la sainte qu'il protége contre la violence des scélérats. Thécla était parvenue à l'âge de quatre-vingt-dix ans quand le Seigneur appela son âme à lui.

Il y a quelque temps, je lisais dans un livre publié l'an dernier sous le titre d'Études d'histoire religieuse, cette phrase qui ne laissa pas de me surprendre beaucoup. « La femme est l'élément essentiel de toutes les fondations religieuses. Le christianisme a été, à la lettre, fondé par des femmes.'» Mon premier mouvement fut de chercher le motif de cette assertion qui, à défaut de tout autre mérite, me paraissait avoir celui de la nouveauté. L'auteur aurait-il pris par hasard le Christ, les apôtres et leurs disciples pour des femmes ? Malgré une audace d'affirmation peu ordinaire que dénote l'ouvrage entier, le bon sens de l'écrivain ne me permettait pas une pareille supposition. Le nom de Thécla et un renvoi indirect aux Actes de saint Paul et de sainte Thècle me donnèrent la clef de l'énigme. C'était sur l'écrit dont nous venons de parler, qu'on prétendait s'appuyer pour attribuer littéralement aux femmes la fondation du christianisme. Si on avait pris la peine de consulter l'antiquité, on aurait lu dans Tertullien, un peu plus rapproché des événements que nous et par suite témoin plus digne de foi, ces mots que je citais au commencement de cette Leçon et que vous me permettrez de vous rappeler : « Si ceux qui lisent les écrits de saint Paul invoquent

1. Études, etc, par M. Renan, p. 285,

l'exemple de Thécla pour attribuer aux femmes le droit d'enseigner et de baptiser, qu'ils sachent qu'un prêtre de l'Asie convaincu d'avoir fabriqué cet écrit sous le nom de saint Paul, a reconnu avant de mourir qu'il l'avait composé par amour pour l'apôtre. Comment croire, en effet, qu'il eût accordé à une femme le pouvoir d'enseigner et de baptiser, lui qui écrivait aux Corinthiens Je veux que les femmes se taisent dans l'Église»? Le rôle que les Actes attribuent à sainte Thècle semblait donc à Tertullien si peu conforme à la doctrine de saint Paul et à la pratique de l'Église, qu'il arguait précisément de là contre la fidélité de cette partie du récit. Mais admettons que la vierge d'Icone ait réellement prêché l'Évangile à Antioche ou à Séleucie, et que cette mission exceptionnelle se soit répétée sur quelques points, est-ce là un fait qui justifie cette incroyable assertion, que « le christianisme a été à la lettre fondé par des femmes »? Et les apôtres qui ont parcouru le monde dans tous les sens! Et leurs disciples, et Tite, et Timothée, et Barnabé, et Clément, et Polycarpe, et Ignace, pour m'arrêter au 1er siècle et à quelques noms : ils n'ont donc rien fondé! Leur rôle a donc été nul et insignifiant! Ce sont les femmes qui ont tout fait! Mais c'est faire trop de cas d'une plaisanterie, que je ne relèverais même pas, si elle n'était tombée d'une plume sérieuse et pleine de dédain pour tout ce qui n'atteint pas à la « haute culture intellectuelle ». En tout cas, j'incline à penser que dans la basse culture on trouverait difficilement assez d'imaginative pour attribuer à des femmes la fondation du christianisme.

Est-ce à dire, Messieurs, qu'en cherchant à faire justice de ces exagérations, il faille refuser aux femmes aucune part dans cette grande œuvre de rénovation religieuse et morale? A Dieu ne plaise. Mon but a été précisément de vous montrer, dans ce fragment poétique de l'histoire primitive du christianisme, la condition nouvelle que la prédication évangélique a su faire à la femme, son ennoblissement

par la virginité, sa réhabilitation par l'héroïsme, sa liberté personnelle conquise par le sacrifice. Si la mission de l'enseignement et de l'apostolat proprement dit ne lui a pas été confiée, une autre activité s'ouvrait devant elle. Du moment que, grâce à l'Évangile, elle reprenait sa place naturelle au foyer domestique et par suite. dans la société, elle y retrouvait l'ascendant moral de l'épouse et de la mère, cette force de persuasion que lui assure son âme aimante et dévouée. C'est par là que depuis dix-huit siècles elle a puissamment contribué à cette révolution morale que le christianisme a opérée dans le monde. Pour faire valoir cette influence, on n'a nul besoin de l'exagérer par ellemême elle a été grande et forte. Car la vie de famille prélude à la vie sociale, et c'est dans l'éducation maternelle que nous recevons le germe de notre développement futur. Nous pouvons le dire hautement et avec reconnaissance : c'est à nos mères que nous devons pour la plupart du temps ce que nous sommes, nos qualités d'homme et nos vertus de chrétien. Ce que nous recevons d'ailleurs ne fait que fortifier ce qu'a mis en nous ce ministère de l'affection, de tous le plus saint et le plus fécond. Rome païenne avait déjà compris par instinct cette grande loi humaine qui a fait sa force aux beaux jours de son histoire. Tout en tenant la femme dans un état de sujétion humiliante, elle sentait que toute autre main est inhabile à préparer les caractères énergiques et les mâles vertus. Ses plus grands hommes ne sont devenus tels que par leurs mères. C'est aux Cornélie, aux Aurélia, aux Atia, que les Gracques, les Scipions, les César, les Auguste ont dû en partie leur élévation et leur force d'âme. Le christianisme n'a eu garde de contrarier cette loi de la nature. Ce que l'instinct de la conservation avait dicté au civisme romain, l'Évangile l'a confirmé par une sanction plus haute. C'est au nom des intérêts les plus sacrés de la foi, de l'honneur des générations futures, que la mère chrétienne est devenue et reste encore le premier et le plus sérieux des instituteurs. De ce point de vue,

il est vrai de dire que le christianisme a trouvé un auxiliaire puissant dans cet apostolat intime qui sait retenir au foyer domestique la pureté de la foi et la dignité des mœurs. Et si l'esprit religieux, aidé par l'esprit de famille, s'est conservé parmi nous si fort et si vivant; si les théories mauvaises qui nous envahissent de toutes parts ont affaibli la foi sans l'éteindre; si dans la vie des hommes d'aujourd'hui, vie d'entraînement plutôt que de calcul ou d'opposition haineuse, nous sommes témoins de ces retours souvent tardifs mais qui ne manquent presque jamais, c'est qu'on n'a pu toucher à cette base de l'éducation chrétienne, c'est qu'il reste au foyer domestique une puissance de foi qui ne perd jamais son empire, parce qu'elle s'impose à nous avec la double autorité de l'affection et de la vertu.

DOUZIÈME LEÇON

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Originalité de l'éloquence chrétienne dans les Pères apostoliques. Elle s'est développée pendant cette période sans influence sensible de la part des littératures profanes. Comment s'explique l'absence d'art dans les premiers monuments de l'éloquence sacrée. Les écrits des Pères apostoliques sont la première ébauche des chefs-d'œuvre de l'éloquence chrétienne dans les siècles suivants. Le Pasteur d'Hermas, premier essai d'un traité élémentaire de théologie morale. Vénération de l'Église primitive pour ce livre. - Incertitude sur son auteur et sur la date de sa composition. Première partie : Les Visions. Exhortation morale sous forme d'apocalypse. Les apocalypses dans les premiers siècles de l'Église. - Développement des Visions d'Hermas. - Leurs rapports avec l'apocalypse de saint Jean et le quatrième livre d'Esdras. La forme apocalyptique dans la Divine Comédie de Dante.

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Messieurs,

C'est par le Pasteur d'Hermas que nous reprenons la suit de nos Études interrompues par les fêtes de Pâques. Avant d'aborder ce nouveau monument du premier âge de l'éloquence chrétienne, je crois devoir jeter un coup d'œil rapide sur l'espace que nous avons parcouru.

Vous n'avez pas perdu de vue, je l'espère, le sujet qui devait nous occuper pendant cette année. Étudier l'éloquence chrétienne dans les deux premiers siècles de l'Église, en nous attachant particulièrement aux écrits des Pères apostoliques, telle est notre tâche. A cet effet, nous avons pris notre point de départ à la clôture des Écritures canoniques, qui ne rentrent pas dans notre domaine; et, après avoir déterminé le caractère et la forme de l'enseignement du Sauveur et des apôtres, nous nous sommes tournés vers les premières productions de la littérature chrétienne. Ce qui s'offrait à nous dès l'abord, dans cet âge postérieur aux apôtres, c'étaient les Évangiles apocryphes. Expliquer leur origine, fixer leur date, discuter leur caractère doctrinal, leur valeur historique et littéraire : tel a été l'objet de quel

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