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traste de cette grande vérité, et alors il déroule cette effrayante peinture du monde déchu qui commence par l'orgueil de l'esprit et finit par la servitude de la chair. Quelle richesse, quelle plénitude de doctrines dans ces lettres où chaque mot porte une idée, où chaque phrase équivaut à un livre! Tout entier aux divines choses qu'il enseigne, saint Paul dédaigne les artifices du langage. C'est à lui que Pascal eût pu songer quand il disait que la vraie éloquence se moque de l'éloquence. Sa théorie de la prédication qu'il expose aux Corinthiens est à l'encontre de toutes les rhétoriques humaines. Il entasse ses idées sans lien ni ordre apparent. Sa phrase, parfois incorrecte, est chargée d'incidentes, les parenthèses l'entrecoupent, l'interrogation, l'exclamation, l'apostrophe, la traversent ou la tiennent suspendue. Mais quel mouvement, quelle chaleur dans ce style qui passe tour à tour et sans effort de l'énergie la plus sévère au pathétique le plus tendre, qui entraîne le lecteur par toutes les émotions que fait naître dans l'âme cette éloquence toute de feu! Si vous envisagez les résultats de sa parole, quel homme et quelle carrière! Quel homme que ce Juif de Tarse qui, du Sanhédrin à l'Aréopage, de la cour de Néron au tribunal d'Agrippa, promène la doctrine du Christ à travers toutes les attaques, toutes les contradictions; qui du sein de sa faiblesse lutte à la fois contre toutes les erreurs et les vices réunis, contre les préjugés des Juifs, les mollesses de l'Asie, les voluptés de Corinthe, l'orgueil des Romains; qui, dans l'espace de quinze ans, fait trois ou quatre fois le tour du monde civilisé, fonde les églises en courant, se multiplie sur tous les points, parle, écrit, combat, se défend, organise, crée!... Jamais le monde vit-il pareille chose? Oui, je comprends l'enthousiasme de tous les siècles chrétiens pour saint Paul; je comprends que luimême, le vieil athlète de la foi, rappelant sur la fin de sa vie ses services méconnus par quelques-uns, ait pu s'écrier avec cette légitime fierté du vétéran qui montre ses cicatrices et énumère ses campagnes : « Sont-ils ministres de

Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis encore plus qu'eux. J'ai supporté plus de fatigues, plus reçu de coups, plus enduré de prison; j'ai été battu de verges trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer, etc. >> Relisez ce compte rendu de l'apostolat de saint Paul dans sa deuxième Épître aux Corinthiens, et vous direz avec moi que jamais homme n'a reçu de Dieu ni rempli sur la terre une plus grande mission.

Moins agitée que la vie de saint Paul, la carrière de saint Jean s'est prolongée jusqu'à l'extrême vieillesse. Jeune encore, selon toute apparence, quand le Sauveur l'appela au ministère de la parole, il vécut dans la compagnie du maître dont il devint le disciple bien-aimé. Il eut l'insigne faveur de reposer à la dernière cène sur le sein de Jésus, qui à son heure suprême lui confia sa sainte Mère. Ce double trait marque assez que la profondeur et la pureté du sentiment prédominaient dans cette belle âme. Ses écrits en portent l'empreinte. Non pas, comme on a vainement. cherché à l'établir, que la doctrine de la charité soit particulière à saint Jean : elle est l'essence même du christianisme, son résumé le plus fidèle. Mais Dieu, qui proportionne ses dons aux ministères qu'il confie, voulait que cet enseignement coulât des lèvres de saint Jean avec une expression de tendresse et une onction toute particulière. C'est par là qu'il a mérité d'être surnommé par excellence l'apôtre de la charité. « Aimons Dieu qui nous a aimés le premier, qui est l'amour même : » ce mot est l'abrégé de sa prédication. Et comme rien n'est plus pénétrant que le regard du cœur, il lui a été donné de plonger plus avant que nul autre dans le mystère de la vie intime de Dieu. Ce que l'auteur inspiré du Livre de la Sagesse n'avait fait qu'ébaucher touchant le Verbe et sa génération divine, saint Jean l'achèvera dans cette page de métaphysique surnaturelle qui transporte la pensée humaine dans le sein même de Dieu. Il dressera aux yeux des gnostiques de l'Asie

Mineure cette échelle d'or qui relie la terre au ciel : il opposera à leurs interminables généalogies la véritable Genèse de l'éternité. Puis, lorsque avant de descendre dans la tombe, après un demi-siècle de travaux et de luttes, seul survivant des compagnons du Christ, le sublime vieillard aura vu de ses yeux l'Église répandue sur toute la surface du monde, Dieu lui réserve un dernier ministère. A lui de clore le livre des révélations divines, de promulguer le jugement de Dieu sur le monde déchu, de retracer avec la sombre majesté du pinceau d'Ézéchiel la chute « de la grande ville qui a fait boire toutes les nations à la coupe de l'iniquité, » d'envelopper sous le voile du mystère les destinées futures de l'Église et du monde, et d'entr'ouvrir les parvis de la Jéru–› ralem céleste aux yeux du genre humain renouvelé par le Christ.

Avec saint Jean finit le siècle apostolique. La prédication chrétienne a achevé son premier cycle. Une seconde génération d'hommes va faire suite aux apôtres : race nouvellé, formée à leur école, nourrie de leur enseignement et digne de continuer leur œuvre. C'est à ce point de transition que je prends l'éloquence chrétienne pour la suivre à travers le siècle suivant. A l'inspiration divine qui fait des saintes Écritures une littérature à part, laquelle ne rentre pas dans mon domaine, va succéder dans les Pères apostoliques le travail de la pensée humaine dirigé par l'esprit de Dieu. Ce moment est grave dans l'histoire de l'Église. C'est, si je puis m'exprimer de la sorte, sa première crise dogmatique et sociale; les hérésies éclatent dans son sein et se prolongent hors d'elle. D'une part, le judaïsme cherche à la retenir dans les proportions d'une secte ou d'une religion nationale par l'étroitesse de ses vues. D'autre part, le gnosticisme tend à défigurer sa doctrine par l'alliage bizarre des systèmes de l'Orient. Cette double controverse, née du temps même des apôtres, va continuer après leur mort. Le paganisme enfin se prépare à faire contre la religion nouvelle un premier essai de sa force. Pour faire face à ces dangers multiples, Dieu

suscitera des hommes qui, par l'énergie de leur caractère, la vivacité de leur foi et leur vigilance pastorale, conjureront ces périls naissants. Leurs écrits forment la meilleure. défense du dogme catholique, en même temps qu'on y retrouve la première ébauche de l'éloquence chrétienne sous toutes ses formes. De là, leur importance dogmatique et littéraire. Aussi je ne m'étonne pas que les efforts du rationalisme protestant en Allemagne et en Angleterre aient porté de nos jours sur ce siècle postérieur aux apôtres, dont les témoignages l'embarrassent beaucoup. Cela suffit pour vous montrer que ce groupe d'écrivains primitifs offre le plus vif intérêt. Mais avant de nous engager dans l'étude de leurs œuvres, nous rencontrons sur notre chemin, au seuil même de la littérature chrétienne, un monument dont l'étrangeté seule suffirait pour attirer nos regards : je veux parler des Évangiles apocryphes, qui remontent pour la plupart au premier âge de l'Eglise. Fixer leur date, expliquer leur origine, discuter leur valeur historique et littéraire, tel sera le sujet de ma prochaine leçon.

DEUXIÈME LECON

Les Évangiles apocryphes sont le premier monument littéraire qui s'offre à nous en dehors des Écritures canoniques. · Collections anciennes et récentes. Différence radicale d'avec les Evangiles canoniques. Explication de leur origine. — L'Evangile de l'Enfance, spécimen de ces légendes. Elles fournissent un argument solide en faveur de la publicité des faits primitifs du christianisme. -Leur composition est postérieure de beaucoup à celle des Évangiles canoniques. - Appréciation de la valeur historique des Évangiles apocryphes.

Messieurs,

Le premier monument littéraire qui s'offre à nous en dehors des Écritures canoniques, ce sont les Évangiles apocryphes. Nous nous en occuperons aujourd'hui.

Vers la fin du XVIIe siècle, un jeune professeur d'éloquence, qui venait de débuter à Hambourg, eut l'occasion. d'entrevoir dans la bibliothèque d'un de ses amis quelques écrits apocryphes du premier âge de l'Église. La vue de ces monuments étranges de la littérature des premiers siècles chrétiens le frappa vivement ; et malgré les difficultés que présentait une pareille entreprise, il conçut le projet d'en donner au public une édition complète. Après des recherches sans nombre qui exigeaient autant de patience que d'érudition, Albert Fabricius parvint à recueillir ces pièces diverses, et en 1703 il publia en deux volumes son Codex apocryphus Novi Testamenti, qu'il augmenta en 1719 d'un troisième volume.

Cette publication produisit une vive sensation dans le monde érudit, bien que la tentative de Fabricius n'eût pas été la première de ce genre. Déjà au xvIe siècle, Michel Néander, théologien allemand, avait fait un recueil savant mais incomplet des Évangiles apocryphes, qu'il avait annexé à une édition gréco-latine du petit catéchisme de Luther.

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