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grand nombre de chrétiens habitant la ville d'Antioche, il essaya de les ramener au culte officiel par la crainte des supplices. Pour détourner le coup qui menaçait son troupeau, Ignace résolut d'attirer sur lui seul la colère de l'empereur. Il se présenta de lui-même à Trajan, et dans un colloque que rapportent les Actes de son martyre, il proclama généreusement l'unité de Dieu et la divinité de Jésus-Christ, par opposition à l'idolatrie qu'il appela le culte des démons. Trajan irrité contre un homme qui prétendait porter Dieu dans son cœur, le condamna à être dévoré par les bêtes dans l'amphithéâtre de Rome. L'évêque reçut avec joie cette sentence qui lui assurait la couronne du martyre, et après avoir prié avec larmes pour son Église, il se livra aux soldats qui le menèrent d'Antioche à Séleucie, et de là, par la voie de mer, à Smyrne, où il trouva saint Polycarpe, évêque de cette ville et comme lui disciple de saint Jean. C'est de Smyrne, première station de son pénible voyage, qu'il écrivit quelques-unes de ses Lettres.

Nous possédons, Messieurs, sous le nom de saint Ignace d'Antioche quinze Épîtres, parmi lesquelles huit sont aujourd'hui regardées par tout le monde comme apocryphes ou supposées. Pour procéder par voie d'élimination, nous commencerons par ces dernières, en nous bornant à un examen rapide. La première est adressée à la sainte Vierge, la deuxième et la troisième à saint Jean, la quatrième à Marie Cassobolite, la cinquième aux fidèles de Tarse, la sixième à ceux d'Antioche, la septième à Héron, diacre de cette ville, et la huitième aux Philippiens.

Les trois premières sont fort courtes, et n'existent qu'en latin. Ignace, encore néophyte, témoigne à saint Jean le désir de voir la sainte Vierge. Il lui demande la permission d'aller à Jérusalem dans ce but, et le prie de venir luimême à Antioche avec la Mère de Dieu. Il souhaite en outre de voir saint Jacques, à cause de la ressemblance qu'on lui prête avec le Sauveur. Il écrit également à Marie pour recevoir d'elle la confirmation des faits que saint Jean lui a rap

portés. La Vierge lui répond en garantissant la véracité du disciple bien-aimé et en promettant de visiter les fidèles d'Antioche. Le procédé du faussaire est manifeste dans ces quelques lignes, composées avec un verset du Magnificat et un texte de saint Paul. Que saint Ignace ait adressé quelques lettres à saint Jean et à la sainte Vierge, c'est ce qu'il est permis de supposer; mais rien n'indique que nous les possédions véritablement, et le témoignage de saint Bernard est trop isolé et beaucoup trop récent, pour contrebalancer les preuves contraires'.

Il n'est guère possible d'imaginer une plus grande différence de style et de caractère que celle qui existe entre les véritables Épîtres de saint Ignace et la Lettre qu'il doit avoir adressée à une néophyte nommée Marie de Cassobolis. Cette dernière aurait prié le saint martyr d'envoyer dans cette ville de la Cilicie, un évêque et deux prêtres, malgré leur jeunesse et à cause de leur grande vertu. Sur cela, le faussaire imagine une réponse dont le ton affecté fait penser à un rhéteur latin de la décadence plutôt qu'à saint Ignace. L'auteur débute par une comparaison subtile entre le commerce épistolaire et la conversation orale. Il appelle les lettres un deuxième port qui offre aux navires une station commode. Il compare les âmes justes à des fontaines attirant par leur beauté ceux-là mêmes qui n'éprouvent aucune soif. Cette rhétorique guindée nous éloigne trop de saint Ignace, pour que nous avons besoin de faire valoir contre l'authenticité de la Lettre l'absence complète de témoignages qui puissent la garantir.

Les quatre Lettres suivantes méritent plus d'attention, bien qu'on ne puisse d'aucune façon les attribuer à saint Ignace, malgré la défense peu solide qu'en ont entreprise Bellarmin et Baronius. Trois d'entre elles sont datées de Philippes, et la quatrième, adressée aux Philippiens eux-mêmes,

1. Saint Bernard, Serm. vi in psal., xc. Mabillon a soutenu que saint Bernard veut parler de Marie de Cassobolis et non de la sainte Vierge : le contexte semble autoriser son sentiment.

aurait été écrite peu de temps avant le martyre du saint évêque. La Lettre à Héron, diacre de l'Église d'Antioche, est une imitation ou un commentaire des Épîtres de saint Paul à Timothée et à Tite. Dans les deux Lettres aux Églises de Tarse et d'Antioche, l'auteur s'attache à démontrer la divinité de Jésus-Christ et la vérité de son incärnation. On ne saurait nier que les véritables Épîtres de saint Ignace ne portent sur le même sujet, ni qu'il y ait entre les unes et les autres une certaine similitude de style et de pensées; mais l'auteur de la supposition eût été bien malhabile s'il n'avait cherché à donner à son œuvre les couleurs de la vraisemblance. Et pourtant, malgré lui, sa main se trahit partout : il dépasse l'époque de saint Ignace dans les vérités qu'il défend comme dans les erreurs qu'il attaque. Il place dans le premier siècle de l'Église des fonctions d'origine plus récente celles de sous-diacre, de lecteur, de chantre, de portier, d'exorciste : ce fait seul suffirait pour enlever à ces Lettres tout caractère d'authenticité. L'Épître aux Philippiens, qui est la dernière de toutes, nous reporte à une époque encore plus reculée. Elle n'est guère autre chose qu'une tirade déclamatoire contre le démon que l'auteur apostrophe du commencement à la fin. De plus, elle cherche à établir qu'il n'y a pas trois Pères, ni trois Fils, ni trois Paraclets, que les trois personnes de la Trinité ne se sont pas incarnées, mais le Fils seul : questions subtiles, qui n'ont été soulevées que dans les siècles suivants. Nous n'aurions que l'embarras du choix pour signaler tout ce qui dans ces quatre Lettres ne saurait convenir au temps où écrivait saint Ignace. Aussi n'en trouve-t-on aucune mention dans les écrivains de l'Église antérieurs au vre siècle; et s'il a pu régner quelque indécision touchant leur authenticité, avant la découverte du véritable texte des sept Épîtres de saint Ignace au XVIIe siècle, cette comparaison désormais facile a tranché la question. Il existe entre ces dernières et les huit Lettres que nous venons de parcourir une différence telle, que personne ne peut songer sérieusement

à les attribuer au même auteur. Bellarmin et Baronius eussent été les premiers à ratifier ce jugement, si, au lieu de n'avoir entre les mains qu'un texte interpolé des véritables Épîtres de saint Ignace, ils s'étaient trouvés dans les conditions où nous place cette précieuse découverte de Vossius et d'Usher, archevêque d'Armagh.

Je tenais, Messieurs, à éliminer tout d'abord les œuvres supposées de saint Ignace, pour concentrer notre attention sur ses Lettres authentiques. Il est vrai que là aussi nous sommes en face d'une grande controverse, qui, née au XVI° siècle, s'est renouvelée de nos jours avec plus de vivacité que jamais. L'acquisition faite par le Musée britannique des manuscrits d'un couvent de l'Égypte, est venue prêter à cette question un caractère d'actualité que nulle autre peut-être n'offre au même degré. Le grand nombre d'ouvrages qu'a fait surgir un débat aussi intéressant qu'animé, s'explique par l'importance de ce beau monument de l'éloquence chrétienne. Les Épîtres du martyr d'Antioche, écrites en quelque sorte au seuil du christianisme, sont une confirmation éclatante des principes catholiques. De là, les efforts du rationalisme protestant pour en ébranler l'authenticité. Comme il n'est pas possible d'élever un argument solide sur une base chancelante ou ruineuse, nous ne saurions éluder cette question, qui nous permettra de signaler les qualités et les défauts de la critique moderne.

SEIZIÈME LEÇON

Controverse sur l'authenticité des sept véritables Épitres de saint Ignace.

Première

période de la controverse au XVIe siècle.- Chemnitz, Calvin, Socin, les Centuriateurs de Magdebourg. - Bellarmin, Baronius, Gretser. Résultat la distinction des sept Épitres véritables d'avec les huit apocryphes. Deuxième période de la con

troverse au XVIe siècle. Saumaise, Blondel, Daillé. Usher, Vossius, Pearson. Analyse de l'ouvrage de Pearson, évêque de Chester. -Preuves de l'authenticité des sept Epitres. Défauts de la critique purement négative. Troisième période de la controverse au XIXe siècle. Découverte du texte syriaque de trois Épitres de saint Ignace dans un monastère de l'Égypte. MM. Cureton, Bunsen et Baur. MM. Wordsworth, Uhlhorn, Petermann, Héfelé, Denzinger, etc. Exposé et appréciation de ce nouveau débat. L'authenticité des sept Epitres de saint Ignace est un fait irréfragable.

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Messieurs,

Nous avons laissé saint Ignace à Smyrne, d'où il écrivit ses quatre premières Lettres. Avant de parcourir ce beau monument de l'éloquence chrétienne, nous allons nous occuper de son authenticité. Cette question a trop d'importance et d'actualité pour ne pas mériter toute notre attention.

Je disais dans ma dernière Leçon que l'acquisition récente de plusieurs manuscrits fort anciens, faite par le Musée britannique, est venue raviver le débat. C'est qu'en effet la controverse touchant les Épîtres de saint Ignace n'est pas nouvelle : elle a traversé jusqu'à nos jours trois phases bien distinctes.

Vous n'avez pas oublié, Messieurs, que nous possédons sous le nom de saint Ignace d'Antioche quinze Lettres; et sans entrer dans les détails, nous avons établi la dernière fois que, sur ce nombre, il faut en rejeter huit comme évidemment apocryphes. Ce que nous verrons tout à l'heure achèvera de justifier ce sentiment, qui, du reste, ne trouve plus de contradicteurs. Lorsque après la découverte de l'im

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