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DIX-SEPTIEME LEÇON

Caractère dogmatique des Épitres de saint Ignace. Deux tendances contraires parmi les hérétiques de l'Asie Mineure. Saint Ignace combat d'une part le sensualisme théologique des Ébionites et des Cérinthiens, de l'autre, l'idéalisme fantastique des Docètes.- Aux uns et aux autres il oppose le principe catholique de l'autorité doctrinale. Exposition nette et formelle des trois degrés de la hiérarchie catholique dans chaque Épitre. Le principe fondamental du protestantisme ou le libre examen condamné par les Épitres de saint Ignace et par toute l'Église primitive. - Si le christianisme est une révélation positive et surnaturelle, le principe catholique de l'autorité est le seul système logique que la raison et l'expérience puissent accepter. - Aveux des théologiens protestants sur ce point.

Messieurs,

Dans notre dernière Leçon, nous avons fait l'historique de la controverse touchant l'authenticité des Épîtres de saint Ignace d'Antioche. Née avec la Réforme, elle s'est prolongée jusqu'à nos jours, sous trois phases successives. D'abord, peu précise pendant le xvIe siècle, elle aboutit à un premier résultat, la distinction des sept Lettres authentiques d'avec les huit apocryphes. Au xviie siècle, elle fait un nouveau pas. Le texte interpolé, dont on se servait jusqu'alors, fait place au texte véritable que découvrent Usher et Vossius, l'un à Cantorbéry, l'autre à Florence. De plus, la lutte entre Pearson, évêque de Chester, et Daillé, ministre calviniste de Charenton, fait ressortir, dans tout son éclat, le caractère d'authenticité qu'offrent les Lettres de saint Ignace. Enfin, de nos jours, l'Angleterre a donné le signal d'une reprise d'armes encore plus vive que les deux précédentes. En jetant au milieu du monde théologique un nouveau texte, la version syriaque, elle a fourni un aliment de plus à la discussion. Mais cet incident inattendu, en ravivant le débat, n'a pas eu le résultat que plusieurs s'en promettaient. Sorties victorieuses de cette triple attaque,

les sept Épîtres de saint Ignace d'Antioche sont demeurées l'un des monuments les plus authentiques de l'éloquence chrétienne.

De tout ce que nous venons de voir jusqu'à présent, il nous est déjà permis de conclure à l'extrême importance de ces Lettres. Si, à trois reprises différentes, une critique audacieuse s'est efforcée de ravir à l'Église catholique ce précieux document, il faut bien qu'elle en ait compris toute la portée; et l'on peut mesurer, à la vivacité de l'attaque, la force de l'argument qu'on essaie de détruire. C'est qu'en effet, les Épîtres de saint Ignace formulent le principe catholique avec une rigueur et une netteté qui ne laissent place à aucune échappatoire; et lorsqu'on envisage le caractère de l'auteur, sa qualité de disciple des apôtres, l'époque à laquelle il écrivit ses lettres, la vénération qui s'y attacha dès l'origine, on conçoit qu'elles aient pu troubler la conscience de nos frères séparés.

Si nous cherchons ainsi à faire ressortir l'importance de ce document de la tradition chrétienne, ce n'est pas que l'Église catholique en ait besoin pour défendre sa doctrine ou sa hiérarchie. Grâce à Dieu, sa destinée n'est liée à celle d'aucun livre. Elle trouve les preuves de sa divinité en soi, dans le seul fait de son existence et de sa conservation miraculeuse au milieu du monde. L'Écriture sainte ellemême viendrait à périr, que l'Église conserverait dans sa vie traditionnelle un titre permanent pour justifier sa céleste origine. Aussi, est-ce chose vraiment plaisante de voir avec quel air de triomphe le dernier adversaire des Épîtres de saint Ignace s'imaginait avoir porté un coup mortel au catholicisme, parce qu'il croyait l'avoir dépouillé d'un livre. La critique parviendrait-elle à saccager tous les monuments littéraires de l'antiquité chrétienne, que son œuvre ne serait guère avancée : il faudrait en même temps qu'elle pût arracher de la conscience de l'Église le sentiment de son identité personnelle. La religion catholique s'établissant et se propageant dans le monde sans le secours

d'aucun livre, n'en serait qu'un phénomène plus merveilleux. Les critiques protestants ne voient pas qu'en s'attaquant aux documents les plus vénérables des deux premiers siècles, ils démolissent leur propre système. Moins ils donnent de place à la prédication écrite, plus ils sont obligés d'en accorder à l'enseignement oral ou à la tradition. Mais, si l'Église conserve la doctrine dans une tradition toujours vivante, elle la montre à ses adversaires, écrite dès l'origine dans des documents authentiques, qui lui fournissent contre eux un argument invincible.

Approchons-nous donc des Épîtres de saint Ignace pour en étudier le caractère dogmatique et moral.

Si vous vous rappelez, Messieurs, ce que nous avons dit du rang important qu'occupait l'Église d'Antioche au premier siècle, vous comprendrez sans peine que la condamnation de l'évêque de cette ville ait dû être un événement pour les Églises de l'Asie. La réputation de sainteté dont jouissait Ignace, les relations particulières qu'il avait eues avec les Apôtres, achèvent d'expliquer la vive sensation que produisit cette nouvelle. Tous les chrétiens de l'Orient se sentirent frappés dans la personne de celui qui, avec saint Polycarpe, leur retraçait le mieux l'image des disciples de Jésus-Christ. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'au témoignage d'Eusèbe, les fidèles des villes par où passait le saint martyr, se pressassent autour de lui, pour recueillir de sa bouche quelques paroles d'édification. Car, bien que les soldats romains aient suivi la voie de mer, de Séleucie à Smyrne, il est probable qu'ils relâchaient par intervalle dans les villes du littoral. Mais c'est à Smyrne qu'Ignace trouva l'affluence la plus nombreuse. Un séjour assez long dans cette grande cité permit aux Églises voisines d'y envoyer une députation, pour saluer l'auguste prisonnier et se recommander à ses prières. C'était Onésime, évêque d'Éphèse, avec le diacre Burrhus; Damas, évêque de Magnésie, accompagné des prêtres Bassus et Apollonius; Polybe, évêque de Tralles, et l'évêque des Philadelphiens.

Ignace insinue lui-même que ces généreux chrétiens obtenaient à prix d'argent, de la cohorte romaine, la faculté de converser avec lui; et ce trafic convenait trop à la rapacité des soldats, pour qu'ils ne songeassent point à en profiter. Admis auprès du saint vieillard, les évêques lui transmettaient les vœux de leurs Églises, l'informaient des besoins de la foi et recevaient de vive voix les recommandations qu'il leur adressait. Trop heureux si, de retour au milieu de leur troupeau, ils pouvaient lire dans l'assemblée des fidèles quelque lettre, testament suprême scellé d'avance par le sang du martyr! Alors, Ignace profitait de quelques heures de répit que lui laissaient ses gardiens, pour rédiger une courte exhortation qu'il remettait aux évêques. Ceux-ci l'avaient instruit des périls qui menaçaient leurs Églises, où de faux docteurs altéraient la pureté de la foi et semaient des divisions. Par là, les liens de la discipline se relâchaient et l'unité de doctrine disparaissait avec l'esprit de soumission. C'était le commencement de cette fermentation d'idées qui, sous le nom de gnosticisme, réservait à la religion chrétienne de si rudes combats. Pénétré de la charité la plus vive pour ces Églises dont il était à la veille de se séparer, le saint martyr répandit dans ses Lettres toute la chaleur de son âme; et dans l'espoir que sa parole tirerait quelque force du sang qu'il allait verser pour Jésus-Christ, il conjura du ton le plus pressant les chrétiens de l'Asie Mineure de fuir les doctrines des hérétiques, en persévérant dans l'unité de foi. Telle est l'origine des Lettres qu'il adressa de Smyrne aux Éphésiens, aux Magnésiens et aux Tralliens; et plus tard de Troade, aux Philadelphiens et aux Smyrniens.

Si, parmi les écrits du premier et du deuxième siècle que nous avons étudiés jusqu'à présent, il en est un qui se rapproche des Épîtres de saint Ignace par l'analogie du sujet, c'est la Lettre de saint Barnabé. Or, s'il vous en souvient, Messieurs, nous avons établi que cette œuvre, si remarquable à plus d'un titre, se rattache à la controverse primitive entre

le christianisme et le judaïsme. Prémunir les fidèles contre les idées étroites et charnelles d'un bon nombre de chrétiens judaïsants: tel est son caractère et son but. Par là, saint Barnabé donne la main à saint Paul qui, dans presque toutes ses Épîtres, s'élève avec force contre ces funestes tendances. C'est qu'en effet, il résultait de là un grave péril pour le christianisme, au sein duquel le judaïsme cherchait à se prolonger avec tout l'attirail de ses observances. Ce mouvement rétrograde ne se bornait pas à la Palestine, où il ne tarda pas à donner naissance à la secte des Ébionites; nous le retrouvons dans toutes les communautés chrétiennes composées en partie de Juifs convertis, à Philippes, à Thessalonique, à Corinthe, à Rome; mais particulièrement dans celles de l'Asie mineure, à Colosses, à Éphèse et dans la Galatie. Les Épîtres adressées par saint Paul à ces trois dernières Églises, témoignent des efforts que faisaient les faux docteurs dans cette partie de l'Orient, pour allier les éléments disparates de la loi mosaïque et de la religion chrétienne. Cette polémique dirigée contre les hérétiques de l'Asie Mineure, saint Jean la continue dans son Évangile, dans ses Épîtres et même dans son Apocalypse, où il signale aux évêques de Smyrne et de Philadelphie ce faux judaïsme qui cherche à faire invasion dans l'Église. Bien qu'il ne faille s'attendre à aucun système bien cohérent dans cette ébullition d'idées qui prépare le gnosticisme, on peut voir dans l'école de Cérinthe, contemporaine de saint Jean, le pendant des Ébionites. A l'exemple de ces derniers, dont nous avons analysé la doctrine, en parlant des Clémentines, Cérinthe ne voyait dans le christianisme qu'un replâtrage du mosaïsme, et dans le Christ qu'un pur homme, dont le Saint-Esprit s'était servi comme d'un organe, depuis son baptême jusqu'à sa passion. Ainsi, la négation de la divinité de Jésus-Christ d'une part, de l'autre, la nécessité pour les chrétiens d'observer les prescriptions du rituel mosaïque, tels sont les deux points auxquels on peut réduire la doctrine de Cérinthe et des hérétiques judaïsants de

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