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vengeur, dévolu au rationalisme. Sans doute, ce système audacieux, qui s'attaque au fait même de la révélation, a semé bien des ruines dans le monde moderne. Mais, comme toutes les erreurs qui s'échelonnent sur la route de l'Église, il servira au triomphe de la vérité. Né de la Réforme, du libre examen que n'arrête aucune autorité vivante, il a pour mission de se retourner contre le principe qui lui a donné naissance, pour le détruire en le développant. A lui de miner peu à peu toutes ces frèles constructions qui s'élèvent en face du grand édifice de l'Église, de dessécher de son souffle mortel toutes ces branches détachées du vieux tronc de la vitalité catholique, de dissoudre l'une après l'autre toutes ces associations factices qui ne se rencontrent plus que dans une même négation; à lui de pousser le protestantisme à ses conséquences logiques, d'effacer sur son front ce vernis de surnaturalisme que les premiers réfor mateurs y avaient laissé, pour le placer, sans détour possible, entre la négation totale du christianisme et le retour à l'unité catholique. C'est pourquoi ne soyons ni surpris ni effrayés de cette œuvre de destruction qui s'accomplit dans son sein de cette critique négative qui cherche à lui enlever une à une toutes les parties de l'Écriture, et déchire ses vieilles confessions de foi pour les réduire à un symbole dont la maigreur ferait peur au mahométisme lui-même. Tout ce travail de sape et de démolition que le rationalisme poursuit sous nos yeux avec une opiniâtreté toujours croissante, c'est le fait de l'erreur qui venge la vérité par ses propres excès, c'est le châtiment ouvrant la voie du retour. A la vue de cet abîme, qui va s'élargissant de plus en plus, il est impossible que le sentiment chrétien ne se réveille pas chez nos frères séparés et qu'ils ne se reportent involontairement vers cette autorité tutélaire qui seule peut imposer un frein au rationalisme, parce que seule elle ne lui donne prise sur aucun point. La critique rationaliste est un dissolvant qui prépare la réunion; et nous assistons aux premiers symptômes de ce mouvement de retour vers l'unité catholique

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que les passions des hommes et leurs fautes peuvent entraver, mais qui est inévitable. C'est la crainte du rationalisme qui a rejeté vers les traditions catholiques le puseyisme anglais et le piétisme allemand; il est vrai qu'ils se sont arrêtés à moitié chemin, mais c'est une première étape sur une route désormais frayée. Une fois imprimé au grand nombre, le mouvement ne se ralentira pas, et c'est l'étude des Pères qui devra l'accélérer. Quiconque, en effet, les étudiera consciencieusement et sans parti pris, se convaincra avec Gibbon, « qu'un homme instruit ne peut aller contre ce fait historique, que dans toute la période des quatre premiers siècles de l'Église, les principes catholiques étaient déjà reconnus en théorie et en pratique'. Tous répéteront ce que disaient les calvinistes dans un mémoire dressé en 1775 : « Si Irénée, Grégoire, Cyrille, Athanase, Augustin et Chrysostôme revenaient aujourd'hui au monde, ils ne retrouveraient la société dont ils étaient membres que dans l'Église catholique2. » Quand de pareils aveux, faits par des protestants, seront entrés dans la conscience publique, le retour des sectes dissidentes à l'unité doctrinale sera chose assurée; et tout chrétien, pénétré de sa foi, doit placer en tête de ses plus chères espérances l'accomplissement de ce grand fait réservé à l'avenir.

1. Gibbon, Mémoires, t. I, c. I.

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2. Mémoire adressé au roi Louis XV par les Églises évangéliques de

France.

DIX-HUITIEME LEÇON

Satire de Lucien contre les martyrs en général et saint Ignace d'Antioche en particulier. Idée du martyre chrétien dans l'Épitre de saint Ignace aux Romains. Analyse de ce chef-d'envre de l'éloquence chrétienne dans les Pères apostoliques. L'amour divin, son enthousiasme et son langage passionné. Influence morale du dévouement des martyrs sur le reste de la société chrétienne. Leur constance est une preuve certaine de la divinité du christianisme. Le martyre des chrétiens et le suicide des stoïciens. La mort de Socrate et la mort des martyrs.

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Messieurs,

Dans une Épître adressée à l'un de ses amis, Cronius, Lucien de Samosate rapporte une histoire fort étrange. Étant allé assister, pour la cinquième fois, aux jeux Olympiques, il eut l'occasion de voir un spectacle plus surprenant que les combats des athlètes, celui d'un philosophe, nommé Pérégrinus, qui se brûla vif sous les yeux de la multitude. Or, voici ce qu'il put recueillir sur le compte de ce personnage excentrique. Né à Parium, dans la Mysie, Pérégrinus, qui se donnait également le nom de Protée, s'était rendu coupable de plusieurs crimes, à la suite desquels il avait quitté sa patrie. Arrivé en Palestine, il se fit initier à la doctrine des chrétiens, de telle sorte qu'il devint leur chef. Il interprétait les Écritures, composait des livres bref, il s'acquit la vénération publique. Ce haut rang le désignait à la persécution. Jeté en prison et chargé de chaînes, il n'en fut que plus révéré des chrétiens, qui, se sentant tous frappés dans sa personne, n'oublièrent rien pour le délivrer. Ne pouvant arriver à leur but, ils mirent tout en œuvre pour améliorer sa position. De grand matin, on voyait des veuves et des orphelins assiéger sa prison, pendant que les principaux d'entre les chrétiens corrompaient les gardiens pour

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obtenir la faculté de rester avec lui bien avant dans la nuit. On lui apportait des mets variés; le temps se passait en colloques pieux, et Pérégrinus était aux yeux de tous un nouveau Socrate. Les villes de l'Asie lui envoyaient des députations pour lui offrir des secours et des consolations. « Car ces malheureux, dit Lucien, ne reculent en pareil cas devant aucun sacrifice. Ils s'imaginent qu'ils seront immortels : de là, leur mépris de la mort; ils s'offrent d'eux-mêmes au supplice. De plus, leur premier législateur leur a fait accroire qu'ils sont tous frères. C'est pourquoi ils dédaignent les biens terrestres, qu'ils partagent entre eux. » Sur ces entrefaites, le gouverneur de la Syrie fit relâcher Pérégrinus qu'il regardait comme un fou sachant que le chef des chrétiens cherchait la gloire dans la mort, il lui enleva cette espérance. De retour dans sa patrie, Pérégrinus distribua son patrimoine aux pauvres de Parium, puis s'exila de nouveau, pour chercher au milieu des chrétiens d'abondantes ressources. Ayant enfreint une de leurs lois touchant les aliments défendus, il se vit réduit à l'indigence; banni de leur société, il passa dans l'École des cyniques. L'Égypte, l'Italie et la Grèce le virent tour à tour, cherchant la célébrité dans la liberté de son langage et la singularité de sa vie. Enfin, tourmenté par cette soif de réputation qui le dévorait, il alla se retirer à Olympie, d'où il fit savoir à toute la Grèce qu'il se brûlerait à la prochaine célébration des jeux. Il tint parole, et, entouré des chefs de l'École cynique, il s'étendit sur un bûcher qu'il avait allumé de sa propre main. On dit qu'un vautour, s'échappant de ses cendres, s'écria d'une voix humaine : « Je quitte la terre et je monte vers l'Olympe. » Ce qu'il y a de certain, c'est que les habitants de l'Élide et le reste des Grecs lui élevèrent des statues. On rapporte également qu'il avait adressé à presque toutes les villes célèbres, des Épîtres remplies de préceptes et d'exhortations; et même, il avait établi à cet effet, parmi ses compagnons, un certain nombre d'envoyés, qu'il appelait les messagers de la mort et les courriers des enfers. Après

avoir achevé ce singulier récit, Lucien épuise sa verve à tourner en ridicule cette mort qui n'avait pour motif qu'une vaine soif de célébrité.

Lorsqu'on a égard aux habitudes de Lucien, à ce ton de persiflage qui lui est familier, on est amené tout naturellement à se demander ce que signifie cette narration. Est-ce une histoire véritable? ou bien, n'est-ce qu'un roman imaginé dans un but quelconque ? Dans sa traduction de Lucien, Wieland s'est évertué à défendre le caractère historique du récit, jusque dans ses moindres détails. Mais ce sentiment est dénué de toute vraisemblance. Un fait aussi étrange que celui d'un évêque chrétien se brûlant aux jeux olympiques, aurait excité une sensation trop vive pour qu'il n'en fût pas resté quelque vestige dans la tradition des premiers siècles. Athénagore, Tatien, Tertullien et Eusèbe parlent de la mort d'un philosophe païen nommé Pérégrinus, sans laisser soupçonner qu'il eût eu rien de commun avec les chrétiens'. Nous pouvons donc rejeter comme une invention de Lucien le rôle que ce bizarre personnage aurait joué dans l'Église catholique. Reste la partie vraiment historique, confirmée par Aulu-Gelle, par Philostrate et par Ammien Marcellin2. Il exista, en effet, un philosophe cynique, nommé Pérégrinus, qui, n'ayant pu réussir à se faire un nom pendant sa vie, résolut de s'immortaliser par sa mort en se brûlant aux jeux olympiques la 5o année de Marc-Aurèle, 167 ans après JésusChrist. Mais en admettant cette particularité, on se demande dans quel but Lucien s'est avisé de broder tout un roman sur un canevas si léger. Or, j'en suis certain, vous n'avez pas eu de peine à remarquer les traits de ressemblance qu'offre la vie de Pérégrinus, telle qu'elle est rapportée par Lucien, avec celle de saint Ignace d'Antioche. Épiscopat en Syrie, emprisonnement pour la foi, concours de chrétiens

1. Athen. legat. pro christianis, no 26; Tert., ad Martyres, iv; Eus., Chronique; Tatien, Orat. contra Græcos, 25.

2. Aulu-Gelle, Nuits attiques, 1. XII, c. 11; Philɔst., Vie de Hérode Atticus, 11; Am. Marcel., 1. xxix.

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