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compte de cette différence de principe, il y a dans l'attitude de Socrate en face de la mort une incontestable grandeur. Ses derniers moments sont empreints d'une majesté, d'un calme solennel qu'on ne se lasse pas d'admirer. C'est peut-être le suprême effort de la nature humaine en dehors du christianisme. Et pourtant, si vous comparez les discours que Xénophon lui fait tenir à l'Épître de saint Ignace aux Romains par exemple, quel contraste et quelle distance! Il est vrai, Socrate disserte avec ses amis sur l'immortalité de l'âme ; je ne veux pas abuser du coq d'Esculape pour douter qu'il se consolât par l'espérance d'une vie meilleure. Mais au milieu de ces aspirations un peu vagues vers le beau et le bien, quelle vulgarité aux yeux d'un chrétien dans le discours qu'il tient à Hermogène, pour lui prouver que la mort est un gain :

« Si je vis, ne serai-je pas forcé de payer le tribut à la vieillesse? Ma vue s'affaiblira, mon oreille deviendra moins sensible, mon intelligence perdra chaque jour de sa force; je serai lent à comprendre; ce que j'aurai appris s'oubliera facilement, et je serai privé dès lors de tous les avantages qui auparavant auront fait mon bonheur. Si je n'ai pas le sentiment de ce déclin, j'aurai cessé de vivre ; que je m'en aperçoive, je traînerai une vie triste et malheureuse'. »

La conclusion de ce discours se résume à dire qu'il est plus avantageux pour Socrate de mourir que de rester en vie. Vous avez beau parcourir les Actes des Martyrs, jamais vous n'y trouverez l'expression de pareils sentiments; jamais vous ne surprendrez sur les lèvres d'un martyr chrétien un calcul basé sur les inconvénients de la vieillesse. Comme Socrate à Hermogène, saint Ignace dit aux Romains que pour lui le martyre est un gain. Mais, est-ce parce que ses dents vont commencer à branler, que sa vue va s'affaiblir avec l'âge et son oreille devenir moins fine, que sa mémoire et son intelligence vont se trouver en défaut?..... La question n'est point

1. Xénophon, Mém. sur Socrate, 1. iv, c. VIII.

sérieuse. Dans l'esprit d'un martyr, de pareils motifs ne sauraient entrer en ligne de compte. Si l'évêque d'Antioche souhaite le martyre, ce n'est point pour être délivré du fardeau de la vieillesse, c'est afin d'être uni à Dieu, l'objet de son amour, de le voir face à face, de le posséder éternellement; c'est parce que la terre lui semble vile en regard de cet océan de vie et de bonheur dans lequel il désire se plonger. Voilà qui est grand, qui est digne d'inspirer le sacrifice de la vie. Je m'en voudrais, Messieurs, si je cherchais le moins du monde à tourner Socrate en ridicule, cet homme dont j'estime si fort le noble caractère. Je désire uniquement vous montrer que la nature humaine ne fait que bégayer là où la grâce dicte à l'homme les sentiments les plus élevés : l'héroïsme des martyrs chrétiens est d'un ordre à part, d'un ordre surnaturel, et rien ne l'égale dans l'histoire de l'humanité. Il y a plus d'élévation dans cette autre partie du discours de Socrate :

« Je mourrai injustement! Eh bien, la honte de ma mort rejaillira sur mes bourreaux. Car, si l'injustice est une chose honteuse, comment ne serait-il pas honteux de la commettre? Et quelle honte y a-t-il pour moi d'avoir été la victime de l'ignorance et de l'injustice? En portant mes regards sur l'antiquité, je ne vois pas que la même renommée se partage entre les oppresseurs et les opprimés. Oui, j'en suis certain, les hommes honoreront ma mémoire; ils n'auront pas les mêmes sentiments pour Socrate et pour ses persécuteurs. Ils me rendront toujours ce témoignage que jamais je ne fus injuste envers personne; que loin d'être corrupteur, j'ai travaillé constamment à rendre meilleurs ceux qui m'ont fréquenté. >>

Ne soyons pas injustes dans l'appréciation de ces sentiments. Le dogme de la vie future était trop incertain aux yeux des Grecs, pour que la gloire humaine ne dût pas être le mobile suprême de leurs actions. Socrate en appelle à la postérité, du jugement inique qui le condamne au supplice, et ce n'est pas sans raison : la postérité cassera cette sen

que

tence de la haine. Mais, c'est surtout au tribunal de Dieu l'homme doit en appeler de l'injustice ou de la cruauté de ses semblables. Là est le jugement infaillible et la vraie récompense. Qu'importe au martyr chrétien que les hommes puissent honorer sa mémoire, qu'ils fassent un peu plus ou un peu moins de bruit autour de son nom? Ce souci de l'immortalité terrestre, c'est encore le plus souvent de la faiblesse. Oublié des hommes, il vivra dans le sein de Dieu : cela lui suffit. Il a accompli son devoir, il n'a pas trahi sa foi, il s'est dévoué pour elle jusqu'à la mort peu lui importe que les hommes rendent témoignage à sa constance. La vérité est en soi une trop grande chose, pour qu'il ne faille pas se sacrifier pour elle sans retour sur soi-même, et Dieu est trop juste pour ne pas égaler la récompense au mérite. Voilà le raisonnement de l'homme qui puise dans les motifs de la foi la force de confesser la vérité au prix de son sang.

Je m'arrête, Messieurs. Aussi bien ce parallèle est-il trop saisissant pour qu'il soit nécessaire de le développer plus au long. Le martyre chrétien est, dans l'ordre moral, un phénomène surnaturel dont rien n'approche dans l'histoire de l'humanité; et si j'ai analysé avec quelque peu d'étendue les sentiments qu'exprime saint Ignace dans l'Épître aux Romains, c'est que l'idée du sacrifice y apparaît dans sa plus haute réalité. Je ne sais si je n'abuse, mais il me semble que rien ne serait utile aux hommes de notre époque comme l'étude et le voisinage de ces héros du christianisme naissant. Grâce à Dieu, depuis les Ignace et les Polycarpe, les temps sont bien changés : la religion chrétienne n'a pas seulement conquis son droit de cité dans le monde; elle le gouverne par sa doctrine et par ses préceptes. Mais, comme nous disions tout à l'heure, on ne peut se dissimuler qu'il n'y ait aujourd'hui peu de fixité dans les principes et une grande mollesse dans les convictions. L'esprit moderne est d'une souplesse telle qu'il s'accommode facilement du pour et du contre, selon qu'il trouve quelque

intérêt dans le changement. De là ces variations, cette mobilité de conduite, ces transactions dans des matières qui n'en comportent pas, cette tolérance excessive qui, passant de l'ordre civil dans l'ordre intellectuel, aboutit à un pur scepticisme : toutes choses enfin, qui accusent peu de fermeté dans les caractères et beaucoup d'indifférence pour la vérité. Eh bien, l'exemple de ces hommes de l'Église primitive, dont les tourments les plus cruels ne pouvaient ébranler le courage ni faire fléchir les convictions, me paraît éminemment propre à relever les caractères et à retremper les âmes. Sans aller jusqu'à l'héroïsme comme eux, ce qui est toujours rare, il est impossible qu'en étudiant leur vie et leurs actions, on ne se sente pas pénétré d'un plus grand respect pour la vérité et d'une plus vive ardeur pour en soutenir les droits. C'est d'eux, en effet, et du divin Maître qui inspirait leur conduite, que date dans le monde cet attachement au vrai et au bien qui fait la noblesse de l'âme ; et si depuis cette mémorable époque, le genre humain est entré en possession de ces grandes choses qui ne périront plus le respect de la dignité humaine, l'inviolabilité de la conscience, la liberté du vrai et la liberté du bien; si depuis ce moment-là, en dépit des passions humaines qui survivent à tout, il n'est plus donné à une puissance quelconque d'étouffer la doctrine dans les étreintes de la force, nous le devons après Dieu à ces hommes héroïques qui ont écrit avec leur sang, sur le berceau du monde chrétien, les droits immortels de la vérité.

DIX-NEUVIÈME LEÇON

portance dogmatique.

L'éloquence pastorale dans l'Épitre de saint Ignace à saint Polycarpe. — L'évêque chrétien, chef de la communauté spirituelle et directeur des âmes. Tableau de sa vie et résumé de ses devoirs. - L'idéal de l'évêque réalisé dans saint Polycarpe. - Son Épitre aux Philippiens. Caractère moral de cette exhortation écrite. Son imL'authenticité du Nouveau Testament garantie par les écrits des Pères apostoliques. Les Evangiles et les écrits des apôtres cités par les Pères de la fin du er et du commencement du me siècle. - Système d'Angusti, de Planck et de Wegschseider sur les prétendues divergences doctrinales qui auraient existé entre saint Pierre, saint Paul et saint Jean. Les écrits des Pères apostoliques prouvent une identité parfaite de vues et de doctrines dans l'enseignement des divers apôtres. Importance particulière des Épitres de saint Ignace et de saint Polycarpe sous ce rapport.

Messieurs,

L'Épître de saint Ignace aux Romains nous a offert l'idée du martyre chrétien dans sa plus haute expression, de même que les cinq Lettres de l'évêque d'Antioche aux Églises de l'Asie Mineure nous avaient présenté le principe catholique dans sa formule la plus rigoureuse. Avec l'Épître à saint Polycarpe, nous entrons dans un nouvel ordre de pensées c'est l'idéal d'un évêque, tracé dans une exhortation pastorale, à l'imitation des Épîtres de saint Paul à Tite et à Timothée.

Pendant son séjour à Smyrne, le saint martyr avait pu admirer le zèle avec lequel Polycarpe administrait l'Église de cette ville. Arrivé à Troade, il avait profité de quelques instants de répit que lui laissaient ses gardiens, pour témoigner aux fidèles de Smyrne combien ils l'avaient édifié par la vivacité et la constance de leur foi. Mais cette lettre adressée à la communauté entière, avait un caractère trop général, pour qu'il ne dût pas éprouver le besoin d'écrire en particulier à l'évêque, qu'une sainte amitié unissait à lui

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