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VINGT ET UNIÈME LEÇON

Transition des Pères apostoliques aux Apologistes chrétiens dans l'Épitre à Diognète.— Elle pose les bases de l'Apologétique chrétienne. Réfutation de l'idolâtrie sous sa forme la plus grossière, celle du fétichisme. Attaque contre le judaïsme. - TaC'est le christianisme

bleau de la vie chrétienne dans les deux premiers siècles.
qui soutient le monde moderne et qui l'empêche de déchoir de son haut degré de
civilisation. Divinité de l'Évangile prouvée par son efficacité morale. Témoi-
gnage rendu à la divinité du Verbe. Bienfaits de la Rédemption.

cours et conclusion.

Résumé du

Messieurs,

Jusqu'ici nous avons étudié l'éloquence sacrée à l'intérieur de la société chrétienne, dans le cercle des relations intimes qu'entretenaient les diverses communautés de fidèles fondées par les apôtres et par leurs successeurs. Exposer la doctrine évangélique, développer la constitution de l'Église, combattre les hérésies naissantes, étouffer toute tentative de schisme ou de division, maintenir l'unité de foi dans le lien de la charité et par la pratique des mêmes vertus, tel est le but que se proposent les Pères apostoliques dans ceux de leurs écrits qui sont arrivés jusqu'à nous. C'est aux chrétiens qu'ils s'adressent, et, s'ils ne laissent pas de toucher par divers endroits aux erreurs païennes, ils ne font que les effleurer, sans entreprendre une réfutation directe ou détaillée. Seules, les Clémentines sont une attaque dirigée contre le paganisme, en même temps qu'une défense des doctrines chrétiennes; mais, comme nous l'avons vu, cet ouvrage est postérieur à l'époque que nous étudions, bien qu'il porte le nom d'un disciple des apôtres. Cette marche suivie par l'éloquence chrétienne était naturelle. Avant d'attaquer ou même de se défendre, il faut se constituer; et ce travail de formation et de développement intérieur devait

précéder dans la vie de l'Église ses grandes luttes avec le monde païen. Mais à mesure que la nouvelle religion gagnait du terrain autour d'elle, le paganisme devait s'en émouvoir et se tourner contre elle avec tout ce qui lui restait de force et de vie. Les grandes persécutions marquent ce mouvement d'opposition violente qui allait se prolonger pendant plus de deux siècles. Alors l'éloquence chrétienne se déploie sous une nouvelle face. Il s'agit pour elle de justifier la doctrine aux yeux des païens, de réfuter leurs calomnies, de désarmer leur haine, de revendiquer la liberté de conscience ou la liberté du culte, et, par une diversion nécessaire, de porter l'attaque sur le terrain même du paganisme, pour l'obliger à confesser l'impuissance et l'inanité de ses doctrines. Tel est l'objet de l'Apologétique chrétienne, cette grande page de l'éloquence sacrée que je me propose d'étudier avec vous l'année prochaine.

Or, sur la lisière de l'Apologétique chrétienne, nous rencontrons un écrit qui marque la transition entre cette forme nouvelle de l'éloquence sacrée et les ouvrages des Pères apostoliques c'est l'Épître à Diognète. Par son caractère et la date de sa composition, elle se rattache à l'époque que nous venons de parcourir, tandis que d'autre part elle trace la voie aux apologies futures. De cette manière elle couronne tout naturellement la première période de l'éloquence chrétienne, comme elle sert de frontispice à la grande œuvre réservée aux deux siècles suivants.

Jusqu'au XVIIe siècle on s'était assez généralement accordé à voir dans l'Épître à Diognète l'œuvre de saint Justin. Mais cette opinion, qui a trouvé des partisans jusqu'à nos jours, n'est guère vraisemblable. Sans parler de la différence de style qui est fort sensible, on suit dans l'Épître à Diognète un courant d'idées qui nous éloigne tout à fait du philosophe martyr. En parlant du judaïsme, l'auteur de la Lettre ne s'exprime pas avec le même respect que saint Justin, qni se plaît au contraire à puiser ses preuves dans les écrits de l'Ancien Testament. Cette différence d'appré

ciation est telle que le docteur Bunsen, se jetant vers un autre extrême, s'est cru en droit d'attribuer l'Épître à Marcion, l'ennemi déclaré du judaïsme et de tout ce qui s'y rattache. En écartant saint Justin, les conjectures des érudits se sont portées sur d'autres écrivains de l'Église primitive, tels qu'Apollon d'Alexandrie ou saint Clément de Rome. Mais ces hypothèses sont dénuées de tout fondement sérieux; il me paraît impossible de déterminer avec la moindre apparence de probabilité quel est l'auteur de l'Épître à Diognète. J'en dirai autant du personnage auquel l'écrit est adressé, et dans lequel on a voulu voir Diognète, précepteur de l'empereur Marc-Aurèle. Loin de moi de vouloir blâmer de pareilles recherches; mais, à coup sûr, elles ne sont pas d'une grande utilité. Ce qu'il y a de certain et ce qu'il nous importe le plus de savoir, c'est que l'ouvrage est de la première antiquité, quel qu'en soit l'auteur. Je ne me joindrai pas à Tillemont et à Gallandi pour en faire remonter l'origine avant la destruction du temple de Jérusalem en l'année 70; car l'auteur pouvait parler des sacrifices de la loi ancienne comme d'une chose actuellement en usage, sans que le temple fût debout: rien n'est plus naturel que cette façon de parler qui prête au passé la couleur et la vivacité du présent. D'autre part, cependant, nous ne pouvons descendre bien avant dans le r° siècle; car l'écrivain s'intitule disciple des apôtres; il appelle l'institution chrétienne un nouveau genre de vie qui vient de commencer. Ces locutions et d'autres semblables nous reportent au milieu de l'âge postérieur aux apôtres; et Moehler me paraît se rapprocher le plus de la vérité en plaçant la composition de l'Épître sous le règne de Trajan.

Nous voyons par la lettre de Pline le Jeune adressée à ce prince que le christianisme, jusque-là confondu avec le judaïsme dans une réprobation commune, commençait à éveiller l'attention des meilleurs esprits. La doctrine des chrétiens, leur genre de vie qui contrastait si fort avec les mœurs de l'époque, leur constance au milieu des supplices ne pou

vaient manquer de faire impression sur les cœurs droits et honnêtes. En présence de pareils effets, ils se sentaient tout naturellement portés à en rechercher la cause. Qu'était-ce que cette religion nouvelle qui se répandait avec une telle rapidité? D'où lui venaient ce grand nombre d'adhérents et cette efficacité merveilleuse sur la conduite morale? Telle est la question qui surgissait des progrès mêmes du christianisme pour tout esprit qui, témoin du fait, cherchait à en pénétrer la raison. Je ne m'arrête pas à considérer si ce Diognète auquel s'adresse l'auteur est un personnage réel, ou bien un type générique qui exprime l'état d'une intelligence avide de connaître la vérité. Toujours est-il que cette situation d'esprit est parfaitement retracée au début de la Lettre.

« Je vous vois, excellent Diognète, très-désireux de connaître la religion des chrétiens, de savoir au juste à quel Dieu ils ont foi, quel culte ils pratiquent, d'où provient leur dédain pour le monde et leur mépris de la mort, pourquoi ils se tiennent également éloignés des dieux des Grecs et de la superstition des Juifs, quelle est cette charité qui les unit entre eux, pour quelle raison enfin cette nouvelle institution ou ce nouveau genre de vie s'est introduit si tard et non pas plus tôt. Ce désir que vous manifestez, je ne puis l'accueillir qu'avec faveur; et je prie Dieu, qui nous donne la faculté de parler et d'entendre, de me suggérer des paroles qui rendent meilleur celui qui écoute, et de vous prêter une intelligence qui n'attriste point celui qui parle. >>

C'étaient là, en effet, les problèmes que cherchaient à résoudre ceux d'entre les païens qui voulaient se livrer à un examen sérieux de la religion chrétienne. L'origine du christianisme, son caractère particulier, son opposition au paganisme et au judaïsme, la raison de son avénement tardif, le genre de vie de ses adhérents voilà le cercle d'idées dans lequel devait se mouvoir une investigation de cette nature. Quant à la forme et au ton de cette entrée en matière, vous avez dû remarquer que rien de pareil ne s'est

offert à nous jusqu'à présent. A travers cette simplicité qui exclut toute vaine enflure, on trouve une précision, une netteté d'exposition qu'on chercherait en vain dans l'épanchement familier des Lettres de saint Clément ou de saint Ignace. Évidemment l'art grec a passé par là, et nous touchons à cette période de l'éloquence chrétienne, où, sans cesser d'être simple et sévère, elle emprunte à l'éloquence profane plus de méthode dans la structure du discours et dans l'arrangement des matières. C'est pourquoi l'Épître à Diognète est éminemment propre à marquer ce point de transition. Mon dessein n'est pas, Messieurs, de traiter au long toutes les questions qu'elle soulève, parce que nous les retrouverons sur notre chemin. Je cherche uniquement à vous montrer de quelle manière elle pose les fondements de l'Apologétique chrétienne. Aussi, contrairement à mon habitude, je citerai beaucoup, parce que je ne saurais mieux vous faire connaître cette première ébauche des apologies postérieures.

Le principal grief que les païens faisaient valoir contre les chrétiens, c'était le mépris que ces derniers professaient pour les dieux. De là pour l'apologie une première série d'arguments dirigés contre l'idolâtrie; et l'appréciation que les Pères de l'Église ont faite de l'idolâtrie dans ses formes et dans ses causes nous fournira l'une des questions les plus intéressantes que l'on puisse traiter. Il s'agira d'établir, · à cette occasion, que le mouvement des études mythologiques au xvш siècle et dans le nôtre n'a point renversé le jugement des Pères sur les religions de l'antiquité. C'est un point d'étude que je réserve comme tout ce qui se rapporte directement à l'Apologétique. Je vous demande pardon, Messieurs, de tracer ainsi à l'avance mon programme pour l'année prochaine, mais c'est un avantage que je retire de l'Épître à Diognète et je dois en profiter. Le système d'attaque adopté par l'auteur est ce qu'on peut appeler l'argumentation populaire ou de sens commun, de toutes la plus saisissable. Voici comment il démontre à son lecteur la vanité

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