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frais, de telle sorte qu'il n'y ait aucune espèce de réalité dans les faits qu'ils mentionnent? ou bien peut-on admettre qu'ils reposent sur un fonds traditionnel plus ou moins embelli ou défiguré? Je commencerai par dire, qu'ici comme en tout point, l'Église catholique a montré sa profonde sagesse, en ne leur reconnaissant ni valeur doctrinale ni même aucun caractère d'authenticité. Car le mot apocryphe a ce double sens dans l'antiquité chrétienne. Il désigne ou des livres qui n'ont pas été reçus dans le canon des Écritures, ou des écrits qui portent un nom d'auteur supposé. Appliqué aux Évangiles en question, ce terme a les deux significations. On ne citerait pas un Père qui les ait regardés comme inspirés, ni même comme authentiques. Si quelques écrivains des premiers siècles en ont fait usage, ils s'en servaient comme d'un document historique dans lequel tout n'est pas à rejeter. Saint Justin, Tertullien et Eusèbe s'appuient à la vérité du témoignage des actes de Pilate; mais bien que cette relation ait été fondue dans l'Évangile de Nicodème, ce dernier est un ouvrage tout différent et postérieur à ces trois écrivains. Saint Jérôme s'élève avec force contre les rêveries des apocryphes en plusieurs endroits de ses écrits; saint Augustin va jusqu'à leur refuser toute autorité dans sa controverse avec Fauste le manichéen, et le pape Innocent I n'hésite pas à condamner tout ce qui, en dehors des Écritures canoniques, a paru sous le nom des apôtres. Enfin le pape Gélase les a tous réprouvés dans son célèbre décret sur les apocryphes inséré dans le corps du droit canon 2. Mais de ce qu'un livre ne jouit d'aucune autorité en matière de doctrine, ou de ce qu'il a été faussement attribué à un auteur, s'ensuit-il que tout ce qu'on y rencontre soit absolument controuvé? Je ne le pense pas. Ainsi, tout en faisant la part de ce qu'il y a de fabuleux dans les Évangiles apocryphes, on

1. S. Jérôme, contra Helvidium, c. VII et XII; com. in Matth., xxiii, 35. S. August., 1. XXIII, cont. Faustum, c. 1x. - Innocent, 1, Epistola ad Exsuperium.

2. Dist. xv, can. 3.

peut leur reconnaître une certaine base historique, si peu large qu'elle soit.

Cette observation s'applique surtout à la vie de la sainte Vierge, telle qu'elle est retracée dans les Évangiles apocryphes. J'ai déjà dit, Messieurs, que ce point historique peu détaillé dans l'Écriture sainte, devait naturellement éveiller la curiosité de plusieurs. et exercer l'attention pieuse des auteurs de nos légendes. Il règne là-dessus entre eux une rare conformité. Ainsi la longue stérilité d'Anne mère de la sainte Vierge, la promesse qu'elle fait de consacrer son enfant au service de Dieu, la présentation de Marie au temple à l'âge de trois ans, l'éducation qu'elle y reçoit au milieu des Almas ou vierges d'Israël élevées dans le lieu saint, le vœu qu'elle fait de persévérer dans la virginité, les cérémonies de son mariage avec Joseph, l'âge avancé de Joseph à l'époque de ses fiançailles, tous ces détails et mille autres se retrouvent à peu près les mêmes dans le Protévangile attribué à saint Jacques, dans l'Évangile de la nativité de Marie, et dans l'Histoire de la naissance de Marie et de l'enfance du Sauveur. On admettrait difficilement que différents auteurs eussent pu se rencontrer à un tel point, si tout n'était que fiction dans leur récit, ou bien s'ils n'avaient pas puisé dans un fond traditionnel commun à tous. Il est clair qu'après les grands événements dont la Judée venait d'être témoin, l'attention publique ne pouvait manquer de se reporter vers la mère de Jésus. On a dû remonter jusqu'aux années de son enfance, recueillir avec soin toutes les traditions qui s'y rapportaient. Que l'esprit légendaire s'y soit mêlé pour les embellir ou même les altérer, tout porte à le croire; mais rien n'autorise à penser qu'il n'y ait point dans les parties principales du récit une exactitude de renseignements, qui les élève, sinon à la certitude, du moins à un haut degré de probabilité. C'est ce qui explique comment au moyen âge par exemple, on a pu sans violer les règles d'une saine critique, invoquer le témoignage des Évangiles apocryphes pour quelques détails moins connus de la vie de Marie. Du

reste, sur certains points, leur narration se trouve confirmée par les Pères et par la tradition. Ainsi l'apparition de l'ange à Joachim pour lui annoncer la naissance de Marie est également rapportée par saint Épiphane'. Saint Jérôme, quoique peu favorable aux Évangiles apocryphes, s'accorde avec eux sur quelques particularités de la naissance du Sauveur dans l'éloge de Paula qu'il adresse à Eustochie. De même, sans parler de saint Jean Damascène, nous retrouvons les circonstances de la présentation de Marie au temple et de l'éducation qu'elle y reçut dans une foule d'auteurs grecs, tels que Nicéphore, Georges de Nicomédie, André de Crète, l'empereur Léon, Cedrène. De sorte qu'en résumé, il me paraît tout aussi peu raisonnable de rejeter un fait précisément par ce qu'il est relaté dans un Évangile apocryphe, que de l'admettre sans discussion sur ce fondement unique.

La critique a le droit de se montrer plus sévère envers l'Évangile de l'enfance et celui de Thomas l'Israélite. Le grand nombre de faits merveilleux, attribués à l'enfance de Jésus dans ces deux livres, rencontre d'abord une difficulté sérieuse dans le passage de saint Jean, où il est dit que le changement de l'eau en vin aux noces de Cana, fut le premier miracle opéré par le Christ. Mais on peut répondre à cela que l'Évangéliste ne parle ici que des prodiges par lesquels le Sauveur se manifesta au monde. De première vue, il paraissait en effet assez vraisemblable qu'avant de commencer sa vie publique, l'Homme-Dieu eût déjà préludé à sa mission future, en laissant échapper çà et là quelques rayons de sa divinité. C'est probablement sur cette vraisemblance que se sont fondés les Évangiles apocryphes pour imaginer ou pour grossir cette série de miracles qui en forme le tissu. Selon M. Tischendorf, cette supposition de faits merveilleux doit s'expliquer par un motif tout différent. Ce savant n'hésite pas à attribuer à un gnostique l'Évangile de Thomas qui a passé tout entier dans celui de l'Enfance. Or les gnosti

1. Heres. LXXIx, n. 5.

ques, particulièrement les Docètes, étaient amenés par leur système sur la matière comme principe du mal, à refuser au corps du Sauveur une existence réelle. Partant de ce. principe, ils multipliaient les miracles de l'enfant Jésus, pour établir qu'il n'avait été soumis qu'en apparence aux conditions de la vie terrestre et humaine. C'est ce qui explique la haute faveur dont l'Évangile de Thomas jouissait parmi les Manichéens, à tel point que saint Gyrille de Jérusalem l'attribuait à un disciple de Manès nommé Thomas. Sans nier tout ce que cette hypothèse a de plausible, nous devons ajouter néanmoins qu'ici encore la tradition ne faisait pas complétement défaut aux Évangiles apocryphes. J'ai déjà parlé de la chute des idoles à l'arrivée de la sainte famille sur la terre d'Égypte. Sozomène, Eusèbe et saint Athanase la mentionnent également. On n'a qu'à lire dans Le Nain de Tillemont les nombreux témoignages qu'il recueille à ce sujet; et quand Tillemont s'empare d'une question d'érudition, on peut se fier à lui c'est, comme disait Gibbon, le mulet des Alpes; il pose le pied sûrement et ne bronche pas. Il est facile de s'expliquer la vogue que ces légendes ont obtenue dans tout l'Orient, lorsqu'on songe qu'au XVIIe siècle encore on montrait en Égypte la trace des miracles de l'enfant Jésus'. Mahomet lui-même n'a pu s'empêcher d'en parler dans le troisième chapitre du Coran, où il raconte le miracle des oiseaux de boue animés par le Sauveur. Mais ces autorités ne sont pas suffisantes pour garantir la véracité d'un récit qui ne présente par lui-même aucun caractère de certitude historique.

Quelque opinion, Messieurs, qu'on puisse se former sur la valeur historique des Évangiles apocryphes, ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils offrent de grandes beautés littéraires. Ce cycle de légendes relatives à la vie du Sauveur peut être envisagé comme le premier monument de la poésie chrétienne. Nous l'étudierons sous ce point de vue dans notre prochaine réunion.

1. Thévenot, Voyage au Levant, l. 1, ch. 75, édit. de 1665.

ractère moral.

TROISIÈME LECON

Les Évangiles apocryphes envisagés au point de vue littéraire. Ils forment la poésie légendaire du christianisme naissant. Légende de Joseph le charpentier; son caProtévangile de saint Jacques le mineur; Évangile de Thomas l'Israélite; Évangile de la nativité de Marie; Histoire de la naissance de Marie et de Beautés littéraires qui s'y rencontrent; fictions grossières qui les déparent. - Évangile de Nicodème; poëme de la descente de Jésus-Christ Influence des Évangiles apocryphes sur le développement de l'art et de la poésie chrétienne. Ils se réfléchissent dans la peinture, dans l'éloquence, dans la poésie épique et surtout dans le drame chrétien au moyen âge. Conclusions.

l'Enfance du Sauveur.

aux enfers.

Messieurs,

Nous avons cherché dans notre dernier entretien à expliquer l'origine des Évangiles apocryphes et à déterminer leur véritable caractère. Laissant de côté ceux qui ont été fabriqués par les hérétiques et que nous ne possédons plus, nous nous sommes attachés aux récits légendaires dont le texte est arrivé jusqu'à nous. Fruits de la crédulité naïve ou de l'instinct poétique, ces derniers doivent leur origine à ce besoin du merveilleux qui, n'étant pas satisfait de la réalité, cherche à y suppléer par la fiction. En parcourant l'Évangile de l'Enfance, qui, parmi toutes ces légendes, a eu le plus vogue en Orient, nous nous sommes convaincus que telle est en effet leur vraie physionomie. Nous avons vu que loin d'infirmer le témoignage des auteurs inspirés, elles confirment au contraire le récit des Evangiles canoniques, dont elles font ressortir par leur contraste même le caractère surnaturel et divin. Enfin, bien qu'on ne puisse pas méconnaître tout ce qui s'y trouve de fabuleux ou d'incertain, on ne saurait néanmoins leur refuser une certaine base historique, qu'il n'est pas toujours facile de déterminer avec quelque précision.

de

Aujourd'hui nous envisagerons les Évangiles apocryphes

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