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QUATRIÈME LEÇON

Lutte primitive du christianisme avec le judaïsme. L'Épitre de saint Barnabé. Origines de cette controverse. Monothéisme d'Israël, trait particulier à la physionomie de ce peuple. - L'idée messianique a été l'âme d'Israël et le point central de son activité historique. Altération progressive de cette idée, cause de l'opposition des juifs au christianisme. L'Église vient se greffer sur la partie saine d'Israël. La dispersion des juifs offre un point d'appui à la prédication évangélique. C'est par les synagogues répandues dans le monde que les apôtres commencent l'œuvre de la conversion des âmes. Danger qu'offre à l'Église naissante l'incorporation des juifs. Deux classes de chrétiens judaïsants. Point de départ Elle se prolonge dans celle de

de la controverse dans les épitres de saint Paul. saint Barnabé. - Authenticité de cette Epitre.

Messieurs,

La première lutte doctrinale que le christianisme ait eu à soutenir dans le monde, c'est la controverse avec le judaïsme. Sorti du milieu d'Israël, il rencontra chez ce peuple au lieu d'un auxiliaire fidèle un adversaire obstiné. C'est à cette lutte née avec le Christ et les apôtres que vient se rattacher le premier monument de l'éloquence chrétienne dans les Pères apostoliques, l'Épître de saint Barnabé.

Pour nous rendre un compte exact de l'origine de cette controverse et de la forme qu'elle avait prise vers la fin du premier siècle, il faut que nous jetions un coup d'œil rapide sur l'histoire du peuple juif, afin d'y découvrir les motifs de cette opposition qui s'est prolongée jusqu'à nos jours, sans rien perdre de sa force ni de son âpreté.

Or, ce qui frappe dès l'abord dans l'histoire du peuple juif, c'est qu'il occupe une place à part au milieu du monde ancien, c'est qu'il présente à l'observateur le moins attentif ou le plus prévenu une physionomie unique. Tandis qu'autour de lui tous les peuples de l'antiquité, même les plus éclairés, sont voués à l'adoration panthéistique de la nature, Israël seul est monothéiste depuis le commencement

jusqu'à la fin de son histoire. On a beau dire, pour atténuer ce contraste, que parmi les philosophes païens quelquesuns se sont élevés à l'idée pure de Dieu. Cette assertion, fût-elle mille fois mieux démontrée qu'elle ne l'est en réalité, n'ôterait rien au contraste que je viens de signaler, de son éclat ni de son étrangeté. Chez les Hébreux, ce ne sont pas quelques individualités plus puissantes ou mieux douées, c'est le peuple entier qui depuis le premier jusqu'au dernier professe en masse la doctrine de l'unité de Dieu. Cela posé, et les livres d'Israël ne permettent pas le moindre doute à cet égard, d'où pouvait provenir cette différence? Serait-ce que le peuple juif fût doué d'un génie supérieur à celui de toutes les nations du vieux monde réunies? Qui oserait le dire? Rien qu'à s'en tenir à la Grèce, on y surprend un développement scientifique et littéraire à tout le moins égal, pour ne pas dire supérieur. Serait-ce qu'Israël dût à son origine sémitique, à sa position au milieu des peuples de l'Orient, cette fortune singulière d'avoir sauvé la doctrine de l'unité de Dieu du naufrage universel des croyances? Mais c'est ici précisément que le contraste éclate dans toute sa force. Seuls parmi les Sémites, les descendants de Jacob sont restés monothéistes. Une simple observation le prouve jusqu'à l'évidence. Certes, les tentations n'ont pas manqué au peuple juif dans le cours de sa longue histoire pour le faire glisser sur la pente de l'idolâtrie. Eh bien, d'où provenait pour lui la permanence de ce péril? De son contact avec les peuples de race sémitique, de ses rapports avec la Syrie, la Chaldée, la Phénicie. Loin d'expliquer le monothéisme d'Israël, les nations issues de Sem comme lui en font ressortir par leur polythéisme même le caractère exceptionnel et unique. Donc en dépit de toutes les hypothèses, nous sommes en présence d'un fait que rien d'humain n'explique suffisamment : seule parmi les peuples de l'antiquité, la nation juive a conservé pure et intacte la doctrine de l'unité de Dieu. Or, quand la science est impuissante à rendre compte d'un phénomène physique ou moral par des causes naturelles, elle fait preuve de bon sens

et de logique en recourant à un ordre de choses plus élevé; et dans le cas présent, elle est réduite, sous peine de s'abdiquer elle-même, à reconnaître l'existence et la divinité de la révélation mosaïque.

C'est, Messieurs, ce que l'un des savants les plus distingués de l'Allemagne moderne, Néander, peu suspect de facilité à faire intervenir les causes surnaturelles dans l'explication des événements, proclamait en tête de son grand ouvrage sur l'histoire de l'Église'. Or, si nous laissons derrière nous ce premier fait, pour entrer plus avant dans la vie intime du peuple juif, nous y rencontrons un deuxième phénomène non moins original. Chaque nation de l'antiquité a vécu d'une idée propre qui, née avec elle, a traversé son histoire et se reflète avec plus ou moins de force dans son activité. Sparte, c'est l'esprit militaire qui cherche à s'immobiliser dans des institutions de fer; Athènes, c'est la civilisation avec son caractère d'expansion illimitée; Rome, c'est le génie politique qui aspire à la domination du monde. On peut donc se demander quel ressort intime a mis en jeu tout le mécanisme de la nationalité juive : de quelle idée mère ce peuple a-t-il vécu? Quelle est la pensée fondamentale qui se fait jour à travers ses lois, ses institutions, son activité religieuse et morale? C'est ici que la philosophie de l'histoire vient toucher derechef à un fait unique dans son genre. Mieux que tout autre peuple, Israël est tout d'une pièce et se résume dans une idée qui est l'âme de son histoire. C'est un peuple d'attente et d'espérance. Cela est si vrai, qu'à deux mille ans de la plus terrible catastrophe qui ait mis fin à la vie d'une nation, ses débris dispersés par tous les vents du ciel sont toujours là, qui conservent la même attitude; ils attendent, on ne sait plus trop quoi, mais enfin ils attendent. Évidemment c'est là le trait le plus caractéristique de la physionomie de ce peuple. Or, quel était l'objet de son attente avant que l'épée de Rome eût détruit sa na

1. Histoire universelle de l'Église. Introd. p. 19 et 20, 3e édit., 1856.

tionalité? Lois, institutions, prophéties, tout l'exprime. Israël attend un personnage mystérieux qui devra établir le règne de Dieu sur la terre. Cette idée, sans laquelle le peuple juif reste une énigme indéchiffrable, n'existe pas chez lui comme dans la conscience des autres peuples, vague et confuse, sans unité ni consistance : elle revêt dans ses livres une forme claire et précise. Le personnage qu'il attend y apparaît avec le triple attribut qui devra le distinguer : la prophétie, le pontificat et la royauté. Depuis Moïse qui ouvre le cycle des prédictions nationales jusqu'à Malachie qui le ferme, législateurs, rois, prophètes, tous désignent du doigt le prophète unique que Dieu suscitera, le grand prêtre selon l'ordre de Melchisédech qui réunira tous les peuples sous le sceptre de sa domination. Cette idée est tellement enracinée dans l'esprit de ce peuple, que rien ne peut y porter atteinte : ni les révolutions intérieures qui modifient la forme de son gouvernement, ni la guerre étrangère qui le jette deux fois sur le chemin de l'exil. Au milieu des revers les plus cruels, il nourrit cette espérance qu'il porte dans son sein, et dont le sentiment se prolonge jusqu'au déclin de sa nationalité avec une vivacité et une énergie toujours croissantes.

Que l'idée messianique, et par là j'entends tout l'ensemble des prophéties et des croyances relatives au Messie, que l'idée messianique, dis-je, ait été l'âme du peuple juif et le point central de son activité historique, personne ne le conteste. Ce qu'on a cherché à révoquer en doute, c'est l'origine et le caractère surnaturels de cette idée. Strauss disait : « Ce n'est pas le Christ qui a fondé l'Église, mais l'Église qui a fait le Christ à son image ; » comme si l'empire romain avait fait Auguste et non pas Auguste l'empire romain. A son exemple, on a retourné la pyramide pour le peuple juif, et l'on a dit : « Ce n'est pas l'idée messianique qui explique le peuple juif, c'est le peuple juif qui a créé l'idée messianique. » Mais je répéterai sur ce point ce que j'ai dit du monothéisme d'Israël. Pourquoi cette idée est-elle particulière au peuple juif, ou du moins, pourquoi se montre

t-elle chez lui avec ce caractère de précision et de permanence qui ne se retrouve nulle part, pas plus chez les peuples de race sémitique que dans les autres branches de la famille. humaine? Pourquoi l'orgueil national des Égyptiens ou des Chinois, qui se vantaient d'être les premiers-nés du genre humain, ne leur a-t-il pas suggéré l'idée que d'eux sortirait la monarchie universelle des esprits? Pourquoi cette idée singulière a-t-elle germé exclusivement au sein d'une petite peuplade perdue dans un coin de l'Asie? D'où vient qu'elle a échappé au spiritualisme de la race hellénique, à l'esprit cosmopolite de la Phénicie ou de Rome? Peuple agricole et sédentaire, Israël ne pouvait sans folie prétendre de lui-même à des destinées si glorieuses, encore moins caresser pendant deux mille ans avec quelque apparence de raison un rêve chimérique que rien ne justifiait. Loin de favoriser le progrès naturel de cette idée, son esprit exclusif, sa constitution religieuse et politique, limitée à un faible territoire et à quelques tribus, y répugnaient essentiellement. Le triomphe de l'idée messianique allait entraîner de soi la ruine de ce qu'il avait de plus cher, sa nationalité. Qui ne voit dès lors qu'une pareille idée ne peut être envisagée d'aucune façon comme un produit de l'esprit national; qu'elle n'a pu qu'être imposée au peuple juif par une volonté supérieure? C'était une mission qu'il avait reçue, mais qu'il ne s'était pas donnée. Ce que je dis là est si fondé en raison, qu'au moment où l'idée messianique se réalisera dans sa plénitude, Israël se cramponnera avec une énergie sauvage aux débris de sa nationalité mourante, plutôt que de s'associer au triomphe d'une doctrine dont il avait malgré lui porté le germe dans ses flancs. Tant il est vrai qu'au lieu d'avoir été l'expression de l'instinct national ou une création spontanée de son génie propre, l'idée messianique ne s'explique chez le peuple juif, comme son monothéisme, que par une révélation surnaturelle et divine.

Ceci, Messieurs, nous amène à l'explication d'un troisième fait non moins surprenant dans l'histoire du peuple juif. S'il

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