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LES

PÈRES APOSTOLIQUES

ET LEUR ÉPOQUE

PREMIÈRE LEÇON

Objet du cours. Coup d'œil général sur la prédication évangélique prise dans son origine. L'idée de l'apostolat est exclusivement propre à la religion chrétienne. Tendance de l'ancien monde à réaliser l'unité politique et matérielle. Seul, le christianisme s'est donné pour mission de ramener le genre humain à l'unité religieuse et morale. Ce caractère d'universalité apparaît dès le premier instant de sa fondation. - Enseignement du Sauveur; sa divine originalité. Prédication apostolique son objet et sa forme particulière selon qu'elle s'adresse aux Juifs ou aux Gentils. Saint Pierre, saint Paul et saint Jean. - Identité parfaite de leur enseignement; différences caractéristiques dans leur physionomie d'écrivain ou d'apôtre. Les Pères apostoliques continuent leur œuvre. — - Importance dogmatique et littéraire de leurs écrits. Nécessité d'étudier leur époque pour réfuter les objections du rationalisme contemporain.

Messieurs,

Je me propose d'étudier avec vous pendant cette année l'éloquence chrétienne dans les Pères apostoliques. C'est le sujet que porte mon programme. Avant de l'aborder de plus près, il importe de bien le préciser, en le circonscrivant dans ses véritables limites.

On entend par Pères apostoliques ce groupe d'évêques et de docteurs qui, après avoir été disciples des apôtres ou du moins leurs contemporains, leur ont succédé immédiatement dans le ministère de la parole et dans le gouvernement des églises, tels que saint Ignace, saint Polycarpe et saint Clément pape. Composés vers la fin du premier siècle et dans la première moitié du deuxième, leurs écrits vien

nent prendre place entre la clôture des Écritures canoniques et le commencement des apologies. Ils forment par conséquent le premier anneau de la chaîne patrologique, et peuvent être envisagés comme les monuments les plus anciens de la littérature chrétienne en dehors des livres inspirés. Il est donc tout naturel de commencer par eux cette série d'études que nous allons entreprendre sur les Pères de l'Église grecque et latine.

D'après ce que nous venons de dire, les Pères apostoliques se rattachent par un lien direct aux apôtres dont ils prolongent le ministère. Leur parole est l'écho vivant de cette grande prédication qui était venue réveiller le monde du sommeil profond où l'erreur avait plongé les intelligences. Il faut donc, pour saisir ce lien d'union, ce rapport intime de maître à disciple, que nous jetions un coup d'œil derrière nous, afin d'envisager la prédication évangélique en elle-même et dans la forme qu'elle avait reçue du Christ et des apôtres. C'est l'objet de ma leçon.

Messieurs, s'il est un fait qui domine l'histoire, qui ait imprimé une direction puissante aux choses humaines, c'est la prédication évangélique. Ce fait est tellement original, j'ajouterai même si étrange, qu'il n'en est aucun autre qui puisse lui être comparé. Je ne veux point parler en ce moment de l'objet même de cette prédication, des doctrines chrétiennes, de leur incontestable supériorité sur tout ce qui les précède ou les a suivies. Je ne m'arrêterai pas davantage, du moins à présent, aux résultats de ce fait, à la conquête et à la transformation du monde par la prédication chrétienne. Je le prends en lui-même, à son origine, dans l'esprit de ceux qui l'ont conçu ou réalisé, et je dis que l'idée seule, ou la prétention, si vous le voulez, de conquérir le monde entier à la vérité par la parole, suffit pour assurer au christianisme un caractère surnaturel et divin.

Pour prouver ce que j'avance, je vais établir que l'idée de fonder la monarchie universelle des esprits par la parole,

ou pour réduire ma proposition à des termes plus simples encore, que l'idée de l'apostolat n'avait pas de précédent dans le passé du genre humain, et ne pouvait pas naître des circonstances au milieu desquelles elle s'est produite. De telle sorte que loin d'avoir été une évolution naturelle de la conscience humaine ou un résultat du travail des siècles, elle ne prend son origine qu'en Dieu.

A l'époque de la prédication chrétienne, quarante siècles avaient passé sur l'humanité. Dans ce long intervalle, le monde avait vu naître et mourir bien des religions, bien des philosophies. Mais pour quiconque a tant soit peu étudié leur origine et leurs formes, il reste évident qu'elles avaient toutes un caractère essentiellement exclusif et local.

C'est la conclusion que tout esprit impartial tirera de l'étude des religions et des philosophies anciennes. Tout y est particulier, étroit, limité à un territoire ou à une race. L'idée de la nationalité, d'une nationalité concentrée en elle-même, dans sa vie propre, sans autre rapport au dehors que le ravage ou la conquête, y est tellement prédominante, qu'elle eût étouffé toute tentative pour ramener quelque unité même apparente dans les divers cultes. Mais cette tentative, personne ne la faisait ni ne songeait à la faire.

Prenez en effet l'humanité avant le Christ, sur le triple théâtre principal de son activité religieuse et intellectuelle : l'Orient, la Grèce et Rome; vous y trouverez autant de religions que de nationalités diverses, toutes parfaitement isolées, sans qu'aucune d'elles songe à se propager au dehors, de vive voix ou par écrit. L'Inde a son culte, la Chine ses croyances, la Perse son système religieux, l'Égypte ses mystères, l'Assyrie ses temples; mais il ne vient à l'esprit d'aucun fondateur d'école ou de religion, de Confucius pas plus que de Lao-Tseu, de Zoroastre que de Bouddha, de prendre quelques semences de sa doctrine, pour les jeter par delà les frontières de son pays. A qui eût dit au brahmine de prendre d'une main les Védas et de l'autre son

bâton de voyageur pour aller, loin de sa tente ou de sa pagode, convertir à son culte des peuples étrangers, l'Indien eût répondu que pour lui le monde se termine au Gange, et l'humanité à sa caste tant l'idée d'un rapprochement quelconque des peuples entre eux par un lien religieux, tant l'idée d'un apostolat de la parole restait étrangère au vieux monde.

Mais peut-être qu'en passant de l'immobile Orient à la Grèce ardente et progressive, nous trouverons quelque aspiration vers l'unité religieuse, un effort généreux pour répandre au loin les lumières d'un culte unique. Et pourquoi une telle idée, s'il était vrai qu'elle fût naturelle à l'esprit humain, ne serait-elle pas sortie de son sein? Pourquoi la race hellénique, si richement douée, n'aurait-elle pas conçu l'apostolat religieux? Pourquoi n'aurait-elle pas mis au service d'une pareille tentative son caractère expansif et son incomparable éloquence? La Grèce n'a-t-elle pas été la patrie des sciences et des arts, le foyer le plus brillant et le plus actif de la civilisation ancienne? N'a-t-elle pas produit un siècle où toutes les splendeurs de la gloire littéraire sont venues rayonner autour des plus grands noms dont la philosophie s'honore? Et pourtant, votre pensée a prévenu ma parole. Moins encore que l'Orient, la Grèce n'a conçu l'idée d'une croyance identique et générale, ni fait un effort pour la réaliser. Ici, non-seulement chaque nationalité, mais chaque ville, chaque bourg a son culte, ses rites, ses dieux. Sous l'imagination mobile des Grecs, la pensée religieuse revêt mille formes et se teint de toutes les couleurs d'une poésie capricieuse et bizarre. Produit pur de l'esprit national, leur mythologie ne convient qu'à eux et ne s'adapte au génie d'aucun autre peuple. De là l'absence complète du prosélytisme religieux. Si leur philosophie porte un caractère moins particulier, moins individuel; si elle remue des idées plus générales, elle n'aspire pas davantage à sortir de l'enceinte d'une école, des murs d'une cité. Plus elle est élevée, moins elle cherche à s'étendre, plus elle aime le mystère,

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