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bué à saint Barnabé un ouvrage rédigé de leur temps. D'ailleurs, l'objet même de la controverse agitée dans la lettre, et la forme qu'elle y revêt, ne sauraient convenir qu'au premier âge de l'éloquence chrétienne. D'autre part cependant, nous ne pouvons reculer au delà d'une date certaine celle de la destruction du temple de Jérusalem en 70, car l'auteur en parle expressément au chapitre xvio. De sorte que la critique est réduite à se mouvoir entre ces deux termes extrêmes, sans que rien lui permette de s'arrêter à une époque bien précise. Mais si, ce qui après tout est le point capital, l'ancienneté de l'Épître n'est contestée par personne, il n'est pas sans intérêt de savoir au juste à quoi s'en tenir sur son véritable auteur. Là-dessus la science s'est partagée jusqu'à nos jours. Comme dans la plupart des questions d'érudition sacrée, ce sont les bénédictins français du xvIIe siècle qui ouvrent la marche ; et pour le dire en passant, la critique allemande, si justement fière de ses travaux, ne confesse pas toujours avec la modestie qu'il faudrait tout ce qu'elle leur emprunte. C'est à deux religieux de la congrégation de Saint-Maur, dom Ménard et dom Luc d'Achéry, que nous devons la première édition de l'Épître de saint Barnabé. Avec la réserve qui d'ordinaire distingue l'esprit critique de son ordre, le P. Ménard émet des doutes sur l'authenticité de la lettre, sans se prononcer formellement., Cotelier, une des gloires de la Sorbonne, est déjà plus explicite : il incline vers la négative. Attaquée plus résolûment par Noël Alexandre, Remi Ceillier, Mosheim et Lumper, l'authenticité de l'Épître est défendue avec non moins de vigueur par Isaac Vossius, Élie Dupin, Le Nourry et Gallandi. De nos jours, le débat

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1. V. l'édition des Pères apostoliques de Cotelier. Noël Alex., Hist. ecclés., siècle 1, c. xII, art. 8. Remi Ceil., Histoire générale des auteurs sacrés, tom. I, p. 498 et suiv. - Mosh. Commentar. de rebus christ., p. 161. Lumper, Historia theol. critica, t. I, p. 150. teurs ecclés., t. I, p. 6 et suiv. - Le Nourry. Apparatus ad Biblioth. max. Patrum, t. I, dissert. 3. Gallandi, Biblioth. vet. Patrum, t. I, prolegom

Dupin, Biblioth. des au

p. 29 et seq.

s'est ravivé en Allemagne avec une force qui ne s'est pas ralentie. Les arguments se croisent pour ou contre à travers les livres et les revues de théologie si nombreuses dans ce pays. D'un côté Hug, Ullmann, Néander, Héfelé ont employé toutes les armes de l'érudition pour enlever à saint Barnabé l'Épitre qui porte son nom. Dans le camp opposé, Moehler, Henke, Roerdam et Franke ont défendu le terrain pied à pied pour maintenir l'apôtre en possession de son œuvre'. Comme il arrive d'ordinaire dans ces luttes extrêmes, un tiers parti s'est formé pour essayer d'un compromis entre les uns et les autres. Selon le docteur Schenkel, organe de cette opinion mitoyenne, une partie de l'Épître seulement reviendrait à saint Barnabé ; le reste devrait son origine à un remaniement opéré un peu plus tard par un thérapeute chrétien 2. Mais il n'a pu échapper à la destinée qui menace le plus souvent les hommes de conciliation : en venant se jeter au travers des parties belligérantes, il a eu à essuyer le feu des deux camps ennemis, et par le fait sa position n'était pas tenable. Il est hors de doute, en effet, que Clément d'Alexandrie et Origène avaient sous les yeux l'Épître telle que nous la possédons aujourd'hui, car ils la citent indifféremment dans ses diverses parties, sans distinguer l'une de l'autre.

Messieurs, une question d'authenticité n'est jamais trèspiquante par elle-même. Quelque effort que l'on fasse pour la rendre intéressante, elle se réduit en définitive à un contrôle de témoignages et à une discussion de textes. Toutefois, ce n'est pas chose indifférente que d'assister à ces guerres de plume ou même d'y prendre part, car dût-on

1. Hug, Revue théol. de Fribourg. Ullmann, Études et critiques, t. I, p. 381. Néander, Hist. ecclés., t. I, prem. part,, page 360, Gotha, 1856. Héfelé, Recherches sur l'Ép. de S. Barnabé, Tubingue, 1840. Moehler, Patrologie, p. 85 et suiv., Ratisbonne, 1840. Henke, De l'authenticité de l'Ép. de S. Barnabé, Iéna, 1827.— Roerdam, De l'auth. de l'Ép. de S. Barnabé, 1828. Franke, Revue théol., de Guerike, 1840, etc. 2. Essai critique sur l'Ép. de S. Barnabé, 1837.

n'arriver à aucun résultat direct, c'est toujours un exercice de l'esprit qui a bien sa valeur. Aujourd'hui surtout, qu'on est très-disposé à proclamer la critique reine du monde, il n'est pas sans utilité d'observer la manière dont elle procède, de prendre sur le fait ses audaces ou ses témérités. Ce point d'étude sera pour nous de la plus haute importance, quand nous aborderons les Épîtres de saint Ignace, qui ont eu le privilége de soulever un des plus grands débats littéraires dont l'histoire fasse mention. Je me réserve à cette occasion d'étudier de plus près la critique moderne, en signalant ses défauts et ses qualités. Pour le moment, nous n'avons sous les yeux qu'une escarmouche de théologiens, si je puis parler de la sorte. Comme l'Épître de saint Barnabé ne porte pas sur des matières controversées entre les diverses communions chrétiennes, elle n'avait pas de quoi passionner la critique. Aussi, en discutant son origine, a-t-on procédé de part et d'autre avec sang-froid, ce qui est rare, et avec impartialité, ce qui est plus rare encore.

Vous n'ignorez pas, Messieurs, que l'authenticité d'une œuvre peut s'appuyer sur un double ordre de preuves bien distinctes, selon qu'on examine le contenu même du livre ou qu'on discute l'autorité de ceux qui l'ont cité. C'est ce qu'on est convenu d'appeler les preuves extrinsèques, empruntées au témoignage, et les preuves intrinsèques, tirées du livre même, de son fond ou de sa forme. Or, si nous appliquons ce double critérium à l'Épître de saint Barnabé, il est clair que l'argument traditionnel milite en faveur de son authenticité. Nous avons vu, en effet, que les deux principaux représentants de l'école d'Alexandrie n'hésitent pas à l'attribuer au compagnon de saint Paul. On répond à cela que Clément d'Alexandrie et Origène ne se font pas faute, le premier surtout, de prendre quelquefois pour authentique ce qui ne l'est pas. Je le veux bien; mais si leur témoignage n'est pas irréfragable, il n'en conserve pas moins, jusqu'à preuve du contraire, une assez grande valeur. On avait cru pouvoir leur opposer sur ce point Eusèbe et saint

Jérôme', mais l'argument se retourne évidemment contre ceux qui s'en servent. Car si saint Jérôme rapporte d'une part, qu'on lisait notre Épître parmi les écritures apocryphes, il affirme de l'autre, que saint Barnabé l'a réellement composée2 : montrant par là qu'il emploie à cette occasion le mot apocryphe dans le sens de non-canonique; et par le fait l'Épître en question n'a jamais été reçue dans le canon des saintes Écritures. Il en est de même d'Eusèbe qui, par cela seul qu'il met l'Épître de saint Barnabé sur le même rang que celle de saint Jude, montre assez qu'il n'a voulu constater qu'une chose, savoir que beaucoup hésitaient à lui attribuer une autorité canonique, sans nier pour cela qu'elle fût de saint Barnabé. En pressant davantage les paroles d'Eusèbe, on pourrait en conclure tout au plus que l'authenticité elle-même n'était pas admise généralement comme un fait indubitable 3. C'est du reste ce

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2. Unam ad ædificationem Ecclesiæ pertinentem epistolam composuit Barnabas.

3. Ce qui prouve qu'Eusèbe, en appliquant à l'Épitre de S. Barnabé l'épithête de vos, illégitime, ne la prenait pas dans son sens propre, c'est qu'il emploie à trois reprises, pour la désigner, une expression beaucoup plus adoucie, celle de άvrikeyouevos, controversée. Il se sert également de ce dernier mot pour l'Épitre aux Hébreux, pour le Livre de la Sagesse, pour celui de l'Ecclésiastique, qui, dans le principe, trouvèrent quelque difficulté à être admis dans le canon des Écritures. Il n'y a rien là qui puisse nous étonner. Comme les livres du Nouveau Testament n'ont pas été composés en un seul lieu ni en un seul temps, la collection complète ne pouvait être faite qu'après le premier siècle de l'ère chrétienne. Ce n'est qu'en se communiquant mutuellement les lettres que les divers Apôtres leur avaient adressées, que les églises particulières pouvaient arriver à fixer le canon des Écritures par un consentement unanime. Or il devait se faire que l'une ou l'autre Épitre, peu connue ou peu répandue dans l'origine, éprouvât quelque peine à ètre reconnue comme inspirée par telle communauté chrétienne qui en prenait connaissance pour la première fois. Il ne faudrait pas s'imaginer que la deuxième Épitre de S. Pierre par exemple, aussitôt écrite, ait été répandue dans l'univers par plusieurs milliers d'exemplaires. L'imprimerie n'était pas là pour opérer ce qui nous paraît tout naturel, et ce qui alors eût été un prodige. Les choses ne se passaient pas ainsi. Les Églises se transmettaient de main en main, et sans nul doute, avec beaucoup d'empressement, les lettres qu'elles avaient reçues des disciples du Seigneur. Il devait en résulter que

qu'a reconnu le plus habile défenseur de l'opinion contraire, le docteur Héfelé, de Tubingue. De sorte qu'à s'en tenir aux preuves traditionnelles, la question serait à peu près vidée, ou du moins il en résulterait un préjugé très-favorable pour l'authenticité de l'Épître.

Pour enlever à ces témoignages de l'antiquité une partie de leur force, on a fait valoir une considération qui n'est pas sans importance. Déjà saint Augustin la mettait en avant, à propos des livres apocryphes attribués à saint André et à saint Jean: «S'ils étaient l'ouvrage de ces deux apôtres, écrivait-il, l'Église n'aurait pas manqué de les admettre au canon des Écritures'. » Si en effet l'inspiration divine n'a fait défaut à aucun apôtre, on ne voit pas ce qui aurait pu empêcher l'Épître de saint Barnabé d'être reçue comme canonique, si ce n'est qu'elle ne fût pas réellement son œuvre. Comme vous le voyez, l'argument ne laisse pas d'être spécieux. Cependant une simple observation suffit pour le réduire à sa juste valeur. Il s'en faut bien que saint Barnabé doive être assimilé aux douze apôtres qui avaient reçu leur mission immédiatement du Christ, ou à saint Paul qui la tenait d'une révélation directe de Dieu. Si donc saint Luc donne au compagnon de saint Paul le titre d'apôtre, ce n'est pas dans le sens

plusieurs d'entre elles suspendaient leur jugement, ne se croyant pas suffisamment édifiées sur la véritable origine ou la valeur dogmatique de telle Épitre en particulier. De là, sur bien des points le doute, la contestation même. Quand plus tard le canon des saintes Écritures se trouva irrévocablement fixé, les Pères du 1o et du ïve siècle les distinguèrent en deux classes, tout en les environnant d'une égale vénération : celles qui, dès l'origine, avaient été universellement admises, et celles qui, pour un motif quelconque, avaient rencontré çà et là une opposition momentanée. On appliquait à ces dernières les epithetes de ἀντιλεγομέναι, controversées, ἀμφιβαλλομέναι, ballottées par l'opinion publique, etc.; aujourd'hui encore, nous les appelons deutéro-canoniques, et de même qu'on s'explique l'hésitation de plusieurs à ranger parmi les Écritures canoniques telle Épître réellement inspirée, il n'est pas moins facile de concevoir que d'autres, excédant la mesure, aient pu regarder comme inspiré ce qui ne l'était pas. De là vient qu'Origène, par exemple, a pu assimiler l'Épitre de S. Barnabé aux Écritures canoniques. Évidemment le jugement infaillible de l'Église pouvait seul opérer ce discernement, en délimitant le domaine de l'inspiration divine.

1. Contra adversarium legis et prophetarum, 1, 20.

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